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09/03/2022

La démocratie sanitaire en France 20 ans après la loi Patients

​​​​​​​Trois questions à Gérard Raymond

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La démocratie sanitaire en France 20 ans après la loi Patients
 Gérard Raymond
Président de France Assos Santé

Il y a 20 ans, la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite "loi Kouchner" était promulguée. Cette loi constitue un changement fort pour le système de santé, en plaçant le patient comme acteur du système de soins et en lui reconnaissant des droits propres. L’objectif était d’amorcer une nouvelle relation entre soignants et soignés et de donner une voix aux patients. Gérard Raymond, Président de France Assos Santé, revient sur les 20 dernières années et les enjeux de la démocratie sanitaire en France.

Nous fêtons les 20 ans de la loi Patients, qui a permis notamment la reconnaissance de la place des patients dans le système de santé. Quelles en ont été les grandes lignes, et quelles nouvelles transformations a-t-on pu observer en pratique ?

La loi du 4 mars 2002, est intervenue suite à la pandémie du VIH, pendant laquelle les associations de patients ont largement milité pour leurs droits. À la suite des États Généraux de 1998-1999, la loi Kouchner a reconnu les droits des patients à l’échelle individuelle comme collective. Parmi ces droits, on peut citer celui du libre accès à son dossier médical. La loi a aussi permis aux patients de devenir acteurs de leur parcours de santé et de siéger au sein d’institutions comme représentants des usagers (commission des usagers) que ce soit à l’échelle locale (conseillers territoriaux de santé), régionale (ARS) ou nationale (CNAM, HAS, ANSM). La loi Kouchner impose aussi des devoirs aux médecins, comme celui d’informer au mieux ses patients ou la responsabilité de déclarer des accidents médicaux.

Depuis, ce corps législatif n’a été que renforcé avec notamment la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires) de 2009, qui avait alors mis en place les Conférences régionales de la santé et de l’autonomie (CRSA), des organismes consultatifs composés d’usagers qui participent à la définition et à la mise en œuvre de la politique régionale de santé aux côtés des ARS. La loi de modernisation de notre système de santé de 2016 a reconnu, elle, l’Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé, "composée des associations d'usagers du système de santé agréées au plan national qui apportent à l'union leur adhésion". Désormais plutôt connu sous le nom de France Assos Santé, cette union a un véritable poids institutionnel qui permet de faire entendre la voix des usagers au sein de notre système de santé.

Le défi va être maintenant de pérenniser cette transformation en accompagnant l’acculturation tant des patients [...] que des soignants.

Depuis, des organismes de l'État ont été en capacité d’impliquer les patients dans la construction de notre système de santé. Au-delà d’un rôle consultatif, nous avons pu co-construire avec la Délégation du numérique en santé l'outil qu’est devenu "Mon Espace Santé" au cours des quatre dernières années. Ce projet, tant par sa gestion que par ce qu’il a créé, concrétise aujourd’hui l'ensemble des textes qui nous ont donné des droits. Il explicite une volonté de donner à chacun les moyens d’être responsable de sa santé. 

Le défi va être maintenant de pérenniser cette transformation en accompagnant l’acculturation tant des patients, qui ne sont pas tous en mesure de se saisir de cet outil, que des soignants, qu'il faudra former et inciter à l’utilisation de cette nouvelle plateforme. Ce projet est aussi un bel exemple des moyens par lesquels l’intelligence collective peut servir l’intérêt de tous.

Pensez-vous que les professionnels de santé sont assez formés et que le savoir des patients est assez reconnu dans notre système ?

La loi Kouchner a fait rentrer un nouvel acteur dans l'organisation des soins, le patient, en lui conférant notamment la possibilité d’évaluer son système de santé. À l'époque de sa rédaction, une part du personnel médical redoutait un environnement dans lequel les médecins ne seraient plus en mesure de soigner, où les procès fuseraient et les scandales éclateraient. Or cela n’a pas du tout été le cas. Néanmoins, la formation médicale reste à humaniser, en y intégrant bienveillance, capacité d’écoute et travail en équipe. C’est en effet une profession difficile, qui demande une étendue de connaissance très large et une modalité de relation médecin-patient particulière. La question aujourd’hui est de transformer cette pratique solitaire en pratique solidaire.

Malgré ces limitations, des évolutions intéressantes ont clairement eu lieu dans la gestion de certaines pathologies chroniques. La loi Kouchner, en permettant aux associations de gagner en indépendance vis-à-vis des professionnels de santé, a permis aux patients d’exprimer au mieux leurs besoins.

La question aujourd’hui est de transformer cette pratique solitaire en pratique solidaire.

C’est le cas de la Fédération Française des Diabétiques, qui a progressivement été en mesure de rendre le patient acteur de son parcours de soin, en tissant des meilleures relations avec leurs professionnels de santé. C’est un changement qui a aussi été soutenu par l’innovation numérique et technologique, telle que la lecture de la glycémie à distance, qui a permis aux patients de gagner en autonomie.

Quelles seraient les mesures prioritaires pour réellement permettre la mise en œuvre de la démocratie sanitaire en France ? Quelles sont les recommandations que vous aimeriez lire dans les programmes des différents candidats ?

Fait exacerbé par la crise du Covid, la santé est l’une des grandes préoccupations des citoyens français. La crise sanitaire nous a rappelé qu’il ne suffisait malheureusement pas de mettre en place des textes législatifs pour assurer une participation citoyenne à l’élaboration d’une politique de santé. Si je comprends la volonté de former de nouveaux médecins et personnel soignant, il faut garder en tête que les effectifs ne se renouvelleront pas instantanément. Il faut d’emblée prendre appui sur des structures et mesures qui existent déjà. Nous devons ensemble réorganiser l’offre de soin de proximité en fonction des attentes et des besoins de la population.

Du point de vue institutionnel, malgré de nombreux progrès, la Conférence nationale de santé est trop dépendante du Ministère de la Santé, tout comme les Conférences régionales de la santé et de l'autonomie le sont des Agences Régionales de Santé. Il s’agit de continuer à soutenir des structures qui portent la démocratie en santé en leur permettant de gagner en autonomie et de donner aux usagers davantage de place dans la construction de notre système de santé. À ce titre, France Assos Santé a proposé au cours du Ségur de la santé des parlements sanitaires territoriaux indépendants rendant des avis à caractère opposable.

Sur le terrain, il faut pérenniser les nouvelles pratiques de co-construction et d’évaluation de la qualité, qui ont émergé au cours des dernières années. L'implémentation de "Mon Espace Santé" dans les mois qui viennent reste une priorité dans la construction de cette démocratie en santé. À l’hôpital, la HAS s’est appuyée sur le numérique pour développer des méthodes d’évaluation du système de santé comme e-satis, mais il reste encore de nombreux progrès à faire pour développer et intégrer de meilleurs PREMs et PROMs dans nos critères d’évaluation. Un système qui prendrait davantage en compte les besoins du patient permettrait ainsi de répondre aux besoins réels des populations, tout en s’émancipant du modèle médical paternaliste. À mon avis, il serait temps de lancer des États Généraux ou un nouveau Ségur de la santé pour repenser en profondeur la démocratie en santé de ce pays.
 

 

Copyright : Patrick T. Fallon / AFP

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