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07/10/2020

États-Unis : l'effritement d’un rêve ?

Trois questions à Maya Kandel

États-Unis : l'effritement d’un rêve ?
 Maya Kandel
Historienne, chercheuse associée à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 (CREW)

En cette fin de mandat de Donald Trump marquée par une gestion contestée de la crise du Covid-19, un sondage du Pew Research Center publié le 15 septembre dernier révèle une dégradation significative de l’image des États-Unis dans le monde. La fin de la puissance américaine ? Maya Kandel, historienne et spécialiste de la politique américaine, nous livre son analyse de ces résultats.

Le sondage du Pew Research Center révèle une forte dégradation de l'image de la première puissance mondiale. Pourriez-vous nous en détailler les résultats - parmi les interrogés européens notamment ?

L’étude du Pew Research Center, institut réputé sérieux et bipartisan, donne en effet des résultats alarmants sur l’image des États-Unis dans le monde, la perception du Président Trump et la vision des politiques menées par son administration. L’étude portait sur 13 pays en Amérique du Nord, en Europe et Asie.

Dans tous les pays considérés, la vision des États-Unis est la plus négative depuis que le Pew a commencé ce type d’enquêtes au début du siècle. En France par exemple, les opinions favorables sont à 31 %, au plus bas depuis la guerre d’Irak de 2003. En Allemagne, le chiffre est de 26 % d’opinions favorables, là aussi un niveau similaire à 2003. En Grande-Bretagne, 41 % ont une opinion positive, un record (négatif) dans toute l’histoire des sondages du Pew. Ce niveau est similaire à celui observé au Japon (41 %), en Italie (45 %) ou en Espagne (40 %). La seule exception est la Corée du Sud, où 59 % conservent une vision positive des États-Unis. Le point le plus bas est en Belgique (24 %).

S’agissant du Président Trump lui-même, les résultats sont encore plus négatifs. À la question "Avez-vous confiance en Donald Trump pour faire les bons choix ?", les résultats en Europe se situent tous entre 9 % et 19 %. Le score le plus élevé de Trump se situe au Japon, à 25 %, résultat sans doute de la proximité affichée par Trump à l’égard de Shinzo Abe, ainsi que de la satisfaction de l’opinion japonaise face à la posture américaine plus ferme vis-à-vis de la Chine.

À la question "Avez-vous confiance en Donald Trump pour faire les bons choix ?", les résultats en Europe se situent tous entre 9 % et 19 %.

Les Belges détiennent à nouveau le record de défiance, avec seuls 9 % qui disent faire confiance au président américain. L’étude a comparé ces résultats à la confiance exprimée vis-à-vis d’autres dirigeants européens et mondiaux : elle montre que le score moyen de Donald Trump (16 %) est inférieur même à la confiance exprimée vis-à-vis de Xi Jinping (19 %) et Vladimir Poutine (23 %), tandis que les leaders européens inspirent davantage de confiance (Boris Johnson à 48 %, Emmanuel Macron 64 % et Angela Merkel 76 %).

Enfin, l’étude a cherché à évaluer la polarisation des attitudes européennes vis-à-vis de Trump et constate que les électeurs des partis d’extrême-droite en ont une vision beaucoup plus favorable : ainsi en Espagne, 45 % des partisans de Vox ont une vision positive de Donald Trump – contre seulement 7 % des autres électeurs. On retrouve des résultats similaires en Allemagne chez les partisans de l’AfD (34 % favorables à Trump, contre seulement 5 % chez les autres électeurs), en France chez les soutiens du Rassemblement national (28 % contre 6 %), en Suède chez les Démocrates suédois (33 % contre 7 %), ou encore au Royaume-Uni parmi les Brexiters (33 % contre 15 %).

Quel a été l'impact de la crise du Covid-19, et de sa gestion par le président américain, sur la dégradation de l'image des États-Unis révélée par ce rapport ?

L’étude du Pew Research Center rappelle que la tendance était déjà négative vis-à-vis des États-Unis, mais que la gestion de la pandémie par Donald Trump a été observée avec consternation par le reste du monde : dans tous les pays, plus de 79 % des personnes interrogées considèrent que les États-Unis ont mal géré la pandémie, les deux "extrêmes" étant le Japon (à 79 %) et la Corée du Sud (93 %). L’institut compare ces chiffres aux opinions exprimées vis-à-vis d’autres acteurs, en particulier l’UE, dont la gestion de la pandémie est vue positivement par 57 % des personnes interrogées (contre 39 % d’opinions négatives), l’OMS (64 % positif contre 34 % négatif) ou encore la Chine (37 % positif contre 60 % négatif). À noter que les personnes interrogées jugent positivement l’action de leur propre gouvernement (74 %).

Des éléments qualitatifs tirés d’autres études et articles éclairent ces résultats : avec la pandémie, événement global s’il en est, et le confinement simultané d’une large partie de la planète, le monde entier a observé avec un mélange de fascination, sidération, et consternation, la réponse de Donald Trump au virus, son dédain de l’expertise scientifique, y compris au sein de sa propre administration, mais aussi les conséquences de la pandémie aux États-Unis, exacerbées par les inégalités sociales et l’absence de système de santé universel. Un article récent du New York Times interrogeait des responsables politiques et des chercheurs du monde entier, du Canada à la Birmanie, qui tous exprimaient une variante de cette réponse d’un parlementaire birman : "cela nous fait de la peine pour les Américains".

Le virus a été "l’ennemi parfait" pour Trump, irréductible à ses tactiques habituelles d’intimidation et de communication, tactiques que l’on retrouve dans les 11 commandements de son best-seller,The Art of the Deal. Là où tout autre président aurait recherché la cohésion et l’unité nationales (et en aurait sans doute bénéficié en termes de popularité), Trump s’en est montré incapable. Au-delà enfin, la pandémie a été un moment darwinien pour l’Amérique, mettant en lumière un certain nombre de problèmes systémiques, connus certes, mais qui se sont manifestés crûment et simultanément. Ce n’est pas un hasard si les mobilisations suite à l’affaire George Floyd, en mai-juin dernier, ont été parmi les plus importantes de l’histoire américaine.

Quelles sont les conséquences de l'érosion de l'image américaine dans le monde ?

Si le monde n’a plus confiance dans le leadership des États-Unis sous Trump, ses partisans aux États-Unis ne soutiennent plus eux-mêmes le rôle traditionnel de leadership américain dans le monde.

Elles sont à la fois préoccupantes, et à relativiser. À relativiser car ces études ont toujours montré, notamment s’agissant de l’Europe, une grande variation suivant les présidents américains : ce n’est pas un hasard si les points de comparaison les plus bas ramènent à la présidence de George W. Bush. Les opinions européennes "votent" majoritairement démocrate et Trump arrive après Obama…

Mais elles sont préoccupantes, car au-delà de la personnalité clivante, pour ne pas dire plus, de Donald Trump, elles montrent aussi l’érosion du pouvoir d’influence des États-Unis : à cet égard, les réactions mondiales au premier débat présidentiel ont été aussi révélatrices, avec le même mélange de sidération et consternation. Les opinions et dirigeants mondiaux sont conscients de l’affaiblissement interne des États-Unis, des dégâts de la polarisation extrême dont Trump est un produit mais qu’il a exacerbée et aggravée durant sa présidence. Aujourd’hui, l’inquiétude porte même sur le processus démocratique aux États-Unis, et la capacité des institutions, mais aussi du corps social américain, à résister aux assauts trumpiens.

Un point à noter enfin, avec la parution simultanée du rapport annuel du Chicago Council sur l’opinion américaine sur la politique étrangère, est que, si le monde n’a plus confiance dans le leadership des États-Unis sous Trump, ses partisans aux États-Unis ne soutiennent plus eux-mêmes le rôle traditionnel de leadership américain dans le monde. Pour 58 % des Républicains, les États-Unis devraient être "auto-suffisants" et ne pas dépendre du reste du monde ; seuls 40 % d’entre eux se disent favorables à une forme de coopération internationale sur la pandémie.

Affaiblissement interne et polarisation des attitudes aux États-Unis, ces deux éléments montrent qu’au-delà de l’image et de l’influence des États-Unis à l’international, le reste du monde s’interroge également de plus en plus sur la capacité et sur la volonté des Américains à s’impliquer de manière constructive et coopérative dans les affaires mondiales.

 

 

Copyright : SAUL LOEB / AFP

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