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09/05/2023

D'un couronnement à l'autre

D'un couronnement à l'autre
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Chaque semaine, Dominique Moïsi, conseiller géopolitique de l'Institut Montaigne, partage ses réflexions sur les grands enjeux politiques qui structurent l'actualité internationale. Ce lundi, il se penche sur le couronnement de Charles III, la figure du nouveau roi et l'image que la Grande-Bretagne renvoie à l'international.

Mes premiers "souvenirs politiques" remontent à l’année 1953 : le couronnement de la reine Élizabeth II regardé aux actualités cinématographiques, suivi six mois plus tard par l’élection (après 13 tours de scrutin) du Président René Coty. Soyons honnêtes, je ne me souviens de ce dernier événement que pour des raisons intimes et familiales : ayant la grippe, mes parents avaient choisi de dîner dans ma chambre, amenant leur radio avec eux.

Diversification, féminisation

Le contraste entre les deux couronnements de 1953 et 2023 est frappant. En 1953 - au-delà de la personnalité gracieuse de sa toute jeune reine - la Grande-Bretagne célébrait encore sa résilience et sa victoire sur le nazisme, et la grandeur de son Empire. Soixante-dix ans plus tard, en 2023, le contexte mondial a si profondément changé, la Grande-Bretagne aussi. Et pour "couronner" le tout, le nouveau monarque est le plus âgé à avoir jamais accédé au trône dans toute l’histoire de la Grande-Bretagne. En 2023, l’Occident n’est plus le centre du monde, le Royaume-Uni n’est plus à la tête d’un vaste empire, et sa composition ethnique et religieuse s’est considérablement diversifiée. Une diversification, une féminisation aussi, reflétées par la cérémonie du couronnement elle-même.

À l’heure des transformations radicales qui interviennent dans le monde, (comme celles potentiellement produites par l’intelligence artificielle), il y a quelque chose de profondément rassurant dans la continuité (et la modernité) d’une cérémonie dont les fondamentaux remontent à 973 et au couronnement du roi Edgar à Bath. Dans un monde aussi, où toute notion de transcendance est le plus souvent absente, la dimension spirituelle de la cérémonie était bienvenue. Avec la réaffirmation par le monarque d’une foi protestante, ouverte et respectueuse de la diversité : entre deux "classiques" de Haendel et d’Elgar, le Gospel s’est fait entendre. Dans un rituel sorti tout droit du Moyen- ge, le nouveau roi a insisté à plusieurs reprises sur son rôle de serviteur du peuple. Des mots forts dans la bouche d’un monarque, qui a fait de son engagement pour la préservation de la nature et l’avenir des jeunes, le cœur de ses priorités depuis des décennies. Pourquoi mentirait-il ? Charles III n’est ni Donald Trump, ni Viktor Orbán… ni Boris Johnson. Ce n’est pas un leader populiste qui considère que les promesses de campagne n’engagent en rien. Il n’a bien sûr jamais fait campagne, même s’il est clair qu’il est soucieux de son image et de sa popularité auprès des Britanniques.

Il est bien conscient que succéder à sa mère est une tâche difficile, sinon impossible. Mais Charles possède une qualité essentielle : son âge et la maturité qui va avec. Contrairement à certains dirigeants élus – peut-être parvenus aux responsabilités suprêmes trop jeunes - il a eu largement le temps de se préparer à l’exercice du pouvoir symbolique.

Sa personnalité est complexe, mais ses valeurs sont claires. Et ce sans la moindre ambiguïté. Il a compris d’entrée – son premier voyage officiel en Allemagne en a fourni la preuve – ce que l’on attendait de lui : à savoir, dans le cas d’espèce, renouer les liens qui s’étaient gravement distendus entre Londres et Berlin depuis le Brexit.

Il est certes facile de critiquer le côté dispendieux et archaïque de la monarchie britannique. Et il est légitime de dénoncer le fossé qui existe toujours entre le peuple et ses élites. Parlent-ils la même langue ? On pourrait également insister sur le fait que la démocratie en Grande-Bretagne souffre avant tout du dysfonctionnement de son système parlementaire, avec des débats trop souvent calamiteux qui font honte à la Mère des Démocraties. Et que dire du choix de Premiers Ministres qui se révèlent parfois catastrophiques ?

Mais la Monarchie n’est en rien responsable de ces errements. Bien au contraire, elle permet de garder le cap face à la tempête et de maintenir le pays uni, grâce à l’existence d’un arbitre non élu et naturellement au-dessus de la mêlée. Les cérémonies qui accompagnent les événements autour de la famille royale sont l’occasion de manifestations populaires qui facilitent l’intégration des nouveaux arrivés au sein du Royaume-Uni. La cérémonie du couronnement permet aussi le maintien et l’expression de cette communauté que constitue le Commonwealth. Peu importe demain, si comme cela est probable, il se rétrécit. Il continuera d’exister et d’exprimer une forme particulière de solidarité.

France et Grande-Bretagne, des défis assez proches

On peut préférer les émotions positives aux émotions négatives, et penser que les premières sont moins dangereuses que les secondes pour les individus comme pour les collectivités. Sur ce plan, on ne peut que constater les différences majeures existant aujourd’hui entre la France et la Grande-Bretagne. Les deux pays peuvent faire face à des défis assez proches, de l’inflation à la crise de leur système de santé respectifs. Pour autant, en termes d’images, les deux nations sont perçues très différemment dans le monde.     

La France semble être le pays des pavés et des barricades au moment où la Grande-Bretagne est celui des parades festives.      

"Vous les Français, vous avez les "Gilets Jaunes"" me disait après le couronnement de Charles III, un de mes amis anglais qui vit en France depuis de nombreuses années. "Nous les Britanniques, nous avons les Tuniques rouges. Grâce à la famille royale, nous envahissons les rues de nos villes pour faire la fête".

Cette vision est sans doute trop manichéenne et simplificatrice. Le comportement de la famille royale n’est pas et n’a pas toujours été uniformément glorieux. Héritière d’un grand empire, la Grande-Bretagne a du mal à intégrer le déclin de sa puissance et de son influence. Tout dernièrement, le choix fait par elle du Brexit est l’illustration la plus brutale et sans doute la plus coûteuse de son incapacité à s’adapter aux changements intervenus dans le monde.

La pompe et la gloire qui entourent la Couronne britannique ont-elles pu contribuer à entretenir une dangereuse illusion de grandeur ? En termes de hard power, la Grande-Bretagne s’est objectivement affaiblie depuis qu’elle a quitté l’Union. Mais le Royaume-Uni est sans doute plus stable institutionnellement que la France : tout en étant plus divers, ethniquement et socialement. Et ceci pour partie, grâce à la Couronne. "Long Live the King".

 

Avec l'aimable contribution des Échos, publié le 07/05/2023

 

Copyright Image : Victoria Jones / POOL / AFP

Le roi Charles III de Grande-Bretagne, assis sur la chaise du couronnement ou chaise du roi Édouard, portant la couronne de Saint Édouard et tenant le sceptre du souverain à la colombe (à droite) et le celui, à la croix, du souverain. Il assiste à la cérémonie du couronnement dans l'abbaye de Westminster, au centre de Londres, le 6 mai 2023.

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