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06/02/2024

[À contrevoix] - Faut-il moins de prison en France ?

[À contrevoix] - Faut-il moins de prison en France ?
 Matthieu Quinquis
Auteur
Avocat au Barreau de Paris et Président de l’Observatoire international des prisons – Section française
 Jean-René Lecerf
Auteur
Président du Conseil de la CNSA

122,9 %. C’était le taux d’occupation des prisons françaises au 31 janvier 2024. 75 897 personnes incarcérées, nombre le plus élevé jamais enregistré, pour 61 767 places dans les établissements pénitentiaires du pays. Comment, dans de telles conditions, répondre au double rôle assigné à la prison de prévention de la récidive et de préparation de l’insertion du détenu ? Certains - majoritaires dans le discours politique actuel - répondront qu’il faut construire de nouvelles places. D’autres, au contraire, insisteront sur la rénovation du parc existant et le développement des alternatives à l’incarcération. Dans ce deuxième épisode d’À contrevoix, nous avons interrogé l’avocat Matthieu Quinquis, président de la section française de l’Observatoire International des Prisons, et l’ancien Sénateur Les Républicains Jean-René Lecerf, chargé de la rédaction d’un livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire en 2016. Leur débat se place dans les interstices de la nuance, car il semble, loin du discours politique dominant, qu’il y ait un consensus parmi ceux qui fréquentent le sujet avec rigueur.

Quel rôle assigner à la prison ?

Jean-René Lecerf : Notre volonté, lors de l’élaboration de la loi pénitentiaire de 2009, dont j’étais rapporteur au Sénat, était d’inscrire dans la loi quel devait être le sens de la peine. L’article introductif ne remettait pas en cause le rôle de sanction du prévenu ni l’indemnisation de la victime, mais il affirmait que la prison avait aussi la réinsertion voire, tout simplement, l’insertion, pour vocation. Nous avons alors essuyé des critiques virulentes.

Jean-René Lecerf : Nos détracteurs ont qualifié la loi de "naïve" ou de "bavarde", sans voir que notre but, en favorisant la réinsertion, était bien d’éviter la récidive.

Nos détracteurs ont qualifié la loi de "naïve" ou de "bavarde", sans voir que notre but, en favorisant la réinsertion, était bien d’éviter la récidive. De ce principe liminaire qui assignait au texte son "esprit" découlaient des mesures concrètes concernant par exemple l’encadrement et la limitation des fouilles au corps ou le travail pénitentiaire.

Matthieu Quinquis : Certes, la loi de 2009, en assignant au système pénitentiaire le rôle d’insertion, a été un jalon important. Néanmoins, elle ne saurait faire contrepoids face à une pratique française ancrée dans l’Histoire, qui donne à la prison, réduite à sa fonction disciplinaire, un rôle de contrôle social. La priorité, insuffisamment questionnée, demeure de "contenir" des personnes, en les soumettant à des règles d’ordre et de sécurité qui irriguent notre système, sans même être définies par le législateur, ouvrant à l’intérieur la porte à des dérives arbitraires.

On a beau écrire que la prison vise la "réinsertion", ce n’est qu’une forme de vernis qu’on appose sur l’institution, pour en justifier à peu de frais le fonctionnement et les échecs : à la différence de la contention, la réinsertion, en effet, n’est soumise qu’à une obligation de moyens et non de résultats

Jean-René Lecerf : J’ajouterais en effet que les prisons, de façon parfaitement paradoxale, sont en réalité des lieux de non-droit. Et c’est pourtant là que l’on met ceux qui ont contrevenu à la loi ! Quel devrait être le rôle de la prison ? Certes pas celui, parfois indigne et contre-productif, qui est le sien à l’heure actuelle.

Depuis quand parle-t-on de surpopulation carcérale ? Comment expliquer l’inflation de prisonniers ? Est-elle due à une sévérité grandissante des juges et à la pression de l’opinion publique ? Ou à une criminalité en hausse ?

Matthieu Quinquis : Dater la surpopulation carcérale n’est pas aisé. On peut tout de même se fonder sur la loi de 1875, qui pose le principe de l’encellulement individuel. Plus tard, des préoccupations en matière de respect et de dignité sont apparues mais en dépit de la constante réaffirmation du droit à l’encellulement individuel, on n’a cessé d’appliquer des moratoires sans trouver comment l’appliquer. Aujourd’hui, seules 43 % des personnes incarcérées sont en cellule individuelle. C’est un phénomène qui dure depuis des décennies. Mais parler de phénomène, comme s’il s'agissait simplement d’externalités négatives, est encore commettre un abus de langage. Il s’agit plutôt du résultat de politiques pénales bien identifiées : accumulation de lois répressives, durée sans cesse croissante des peines encourues et sévérité accrue des juges, encouragée par des directives gouvernementales. On est passé d’une durée moyenne des peines de prison prononcées de 5,8 mois en 1982 à 11,8 mois en 2020, soit plus du double.

Il faut battre en brèche l’idée que l’augmentation de la population carcérale serait corrélée à une augmentation de la délinquance. On constate bien certains indicateurs en augmentation, comme les violences volontaires et interpersonnelles ou les infractions sur les biens, mais il faut les lire dans un contexte sociétal d’émergence de la parole.

Matthieu Quinquis : Il faut battre en brèche l’idée que l’augmentation de la population carcérale serait corrélée à une augmentation de la délinquance

Les faits de violence interpersonnelle, par exemple, sont souvent commis dans un cadre intrafamilial qui fait l’objet de davantage de signalements : cela ne signifie pas une augmentation de délinquance réelle... D’ailleurs, certains indicateurs baissent également.

De plus, l’analyse des décisions rendues par la justice pénale montre une utilisation déraisonnée de la détention provisoire depuis de nombreuses années, malgré la réflexion entamée notamment lors de la loi sur la présomption d'innocence de 2000. L’usage de la comparution immédiate a aussi des effets particulièrement délétères sur le nombre de détentions : les chances de finir en prison, en cas de comparution immédiate, sont huit fois plus importantes que dans le cas d’autres procédures.

Jean-René Lecerf : Si on a eu besoin, en 1875, d’affirmer le principe d’encellulement individuel, c’est bien qu'il n’était pas respecté ; il ne l’est pas davantage 150 ans plus tard. Entre 1980 et aujourd’hui, le nombre de détenus a plus que doublé mais les programmes Chalandon (1986), Méhaignerie (1994) et Perben (2002) ont permis la construction de plus de 30 000 places de prisons et le taux de surpopulation carcérale n’évolue plus guère. On est par exemple passé d’un taux d’occupation de 125 % en 2008 (63 750 détenus pour 51 000 places) à 123 % aujourd’hui. Ce sont des taux énormes mais stables. La société n’est pas plus violente : les chiffres des homicides étaient plus importants il y a un siècle, pour une population moindre. Seulement, la perception de la délinquance était moins aiguë : on savait moins, à Dunkerque, ce qui se passait à Perpignan.

Le problème vient aussi du fait que l’on a fait entrer en prisons des gens qui n'avaient rien à y faire : environ 25 % des détenus sont des malades mentaux très lourds. La réalité, qu’on ne peut observer sans cynisme, est qu’il est moins cher de placer ces personnes en prison que de les soigner dans des établissements spécialisés. Comment accepter cela d’un régime de démocratie avancée tel que le nôtre ? Comment tolérer que des détenus soient à trois dans des cellules prévues pour une personne et que, qui plus est, ils aient pour co-détenu des individus en souffrance psychique, parfois dangereux pour eux-mêmes et autrui ? Des faits divers atroces surviennent régulièrement, face auxquels les politiques publiques restent sourdes.

La justice n’est pas laxiste, contrairement à ce qu’on dit. Et l’intransigeance d’une opinion publique convaincue que la prison est la seule sanction qui vaille pour assurer la sécurité et la réinsertion pèse indirectement dans les décisions.

Jean-René Lecerf : Le législateur achoppe sans cesse sur la loi d’airain du système pénitentiaire, qui veut que la plus favorable des situations en prison soit moins enviable que celle de la moins favorable des situations au-dehors…

Le législateur achoppe sans cesse sur la loi d’airain du système pénitentiaire, qui veut que la plus favorable des situations en prison soit moins enviable que celle de la moins favorable des situations au-dehors… La prison devient alors un instrument à créer de nouveaux délinquants et de nouveaux détenus. Et, quand on tente de réformer, les résultats sont médiocres car les lois pénitentiaires ne sont appliquées que partiellement et font l’objet de réticences fortes.

Quelles sont les mesures d'alternatives et d’aménagement des peines qui existent et celles que l’on pourrait mettre en place ? TIG, sursis peuvent-ils être aussi efficaces que la prison ?

Matthieu Quinquis : Les lois existantes offrent une gamme assez complète de mesures alternatives, imaginer de nouvelles modalités de peines n’est pas prioritaire : il faut plutôt utiliser et financer nos dispositifs existants. Parmi ceux-ci, retenons :

  • La détention à domicile sous surveillance électronique. Le prisonnier devient son propre geôlier, il est soumis à horaires de sortie faute de quoi il risque une incarcération. L’accompagnement n’est pas au cœur du dispositif ;
  • La semi-liberté : le détenu peut se rendre à son travail, en formation ou suivre des soins la journée, mais rentre en cellule le soir ;
  • Le sursis probatoire, une période d’épreuve durant laquelle la personne condamnée est soumise à plusieurs contraintes sous la surveillance du juge de l’application des peines. Mais, faute de moyens, certains condamnés ne sont pas suivis et ne disposent pas d’interlocuteur, ce qui interroge quant au sens de la peine ;
  • Les travaux d’intérêt général, ou "TIG", qui sont vecteurs de communauté et de sens et qui intègrent les personnes dans un projet au service de la collectivité en remettant le bien commun au cœur de la sanction pénale ;
  • Le placement extérieur : c’est une peine intéressante qui permet un accompagnement par les services sociaux ou les associations sur des problématiques économiques, familiales ou de santé. En faisant bénéficier les condamnés de ce qui leur a peut-être le plus manqué, traite les facteurs de passage à l’acte.

Ce panel de mesures assez large devrait permettre, s’il était correctement utilisé, de couvrir toute l’étendue des profils pénaux, avec des avantages économiques considérables.

Il faut préciser que certains de ces outils sont de plus en plus utilisés, notamment le bracelet électronique, sans pour autant avoir d’effet sur le nombre de personnes détenues. On constate en fait une extension du filet pénal, c’est-à-dire que de plus en plus de personnes sont placées sous la contrainte judiciaire, qui auraient bénéficié de mesures plus souples dans le passé.

Jean-René Lecerf : Le développement de ces alternatives exige d’abord des moyens financiers et humains, pour l’instant accaparés par les objectifs de création de nouvelles places de prisons. En octobre 2023, le rapport sénatorial de Claude Raynal et Antoine Lefèvre, consacré au chantier des nouvelles places, a non seulement montré que les délais ne pourraient pas être tenus mais aussi que les estimations financières avaient été excessivement optimistes : sans même parler des charges de ressources humaines, en se cantonnant au simple bâti, le projet coûtera six milliards (et non les 4,3 initialement prévus).

Ce budget, il eût été plus sage de le consacrer au développement des peines alternatives et au recrutement de personnel. Les peines alternatives peuvent être très vertueuses ou strictement inutiles, si elles consistent à faire ramasser les papiers qui traînent : leur vocation doit aussi être la réinsertion. De toute façon, elles restent souvent une simple virtualité : les maires, les associations, les collectivités sont plutôt volontaires mais ils ne sont pas accompagnés et personne ne donne suite à leur candidature.

Il faut aussi faire de la pédagogie auprès de l’opinion publique, qu’on ne dise pas "il a trouvé du boulot parce qu’il a fait une connerie". On le voit notamment avec les réactions suscitées par la commutation quasi automatique des peines inférieures à deux ans fermes en peine de sursis : c’est mal compris. Pourtant, les aménagements de peine bénéficient à la société ! L’exemple d’un ancien ministre médecin qui, pour purger sa condamnation, a exercé gratuitement en Guyane, l’illustre bien !

La garde des Sceaux Nicole Belloubet avait pris la décision de libérer 12 000 prisonniers durant le premier confinement : cette mesure a-t-elle pu être évaluée (effet sur le taux de récidive et la capacité de réinsertion …) ? Que penser du mécanisme de régulation carcérale ?

Jean-René Lecerf : La baisse a été effective, personne ne s’est plaint d’une hausse brutale de la criminalité mais cela n’a pas duré et on n’a procédé à aucune évaluation de cet épisode. Or, si on démontrait que ces libérations anticipées n’avaient pas conduit à des récidives plus importantes, cela appuierait les propositions de parlementaires en faveur des peines alternatives. En cas de systématisation de la régulation carcérale, la question qui reste pendante est celle de savoir qui on ferait sortir d’abord et selon quels critères : critères de santé ? échéance de fin de peine ? Ce serait en tout cas un moyen pour limiter l’indignité de notre surpopulation carcérale. On dit "123 % de surpopulation", mais ça ne veut rien dire ! La réalité derrière ce chiffre, c’est que les maisons centrales respectent les taux d’occupation pour lesquels elles ont été conçues et qu’en face, des maisons d'arrêt sont occupées à 200 % voire davantage [le système pénitentiaire est organisé autour de trois types d’établissement : les maisons d'arrêt, au nombre de 86, qui reçoivent les personnes prévenues en détention provisoire ou les peines courtes, les centres de détention, au nombre de 27, pour les condamnés à des peines supérieures à deux ans, et les maisons centrales, au nombre de 6, pour les longues peines et les détenus présentant des risques particuliers, ndlr]. Prenant acte de cette réalité, et estimant qu’on ne doit pas laisser s’installer, de moratoire en moratoire, un tel écart entre la loi et les faits, des parlementaires proposent régulièrement de revenir à un principe d’encellulement collectif. Ce serait pire encore : dans les cellules suroccupées, le taux de suicide est dix fois plus important que celui qui ressort des statistiques nationales, et la violence est intolérable. Il faut donc non seulement se saisir de l’urgence à appliquer la loi, mais aussi défendre le bien-fondé de ce texte de 1875.

Matthieu Quinquis : Sur le principe de la régulation carcérale, cela fait longtemps que les parlementaires tentent de le systématiser (par exemple, Dominique Raimbourg avec une proposition de 2010) et qu’il fait l’unanimité parmi tous les acteurs du secteur : les magistrats, les organisations syndicales représentatives du personnel pénitentiaire, les associations, comme l’OIP-SF.

Mais se contenter de gérer des chiffres, de mettre des numerus clausus, ne saurait constituer une solution, tant qu’on n’agit pas sur les facteurs d’incarcération. C’est d’ailleurs ce que la CEDH demande à la France. À cet égard, il faut préciser que la baisse de la population carcérale durant le Covid-19 est due pour moitié aux libérations, une partie devait survenir quoi qu’il en soit, et l’autre partie a été anticipée notamment par des réductions et des aménagements de peine, et pour moitié à une moindre incarcération.

Matthieu Quinquis : Mais se contenter de gérer des chiffres, de mettre des numerus clausus, ne saurait constituer une solution, tant qu’on n’agit pas sur les facteurs d’incarcération.

 

On voit donc qu’en termes de leviers contre la surpopulation carcérale, il y a autant la facilitation des sorties que les alternatives aux entrées.

Il faut initier une déflation carcérale, un mouvement beaucoup plus structurel qu’une simple régulation. La prison ne doit plus être considérée comme la peine de référence. Il faut réfléchir à la mobilisation d’autres outils et les accompagner des politiques publiques sanitaires, sociales, éducatives, psychiatriques.

Jean-René Lecerf : Je m’inscris tout à fait dans les propos de Matthieu Quinquis à ce sujet : ce sont des politiques sociales et sanitaires qui doivent venir en renfort de la régulation carcérale. Rappelons à cet égard que beaucoup de détenus sont des jeunes passés par l’aide sociale à l’enfance. Les situations doivent être gérées bien en amont

Alors, si le consensus est tel, pourquoi le personnel politique se limite à proposer plus de places de prison ?

Jean-René Lecerf : Nicolas Sarkozy, le 22 juin 2009, déclarait devant le Congrès réuni à Versailles : "La détention est une épreuve dure, elle ne doit pas être dégradante. Comment espérer réinsérer dans nos sociétés ceux qu'on aura privés pendant des années de toute dignité ? L'état de nos prisons, nous le savons tous, est une honte pour notre République, quel que soit par ailleurs le dévouement du personnel pénitentiaire". Neuf ans plus tôt, le rapport sénatorial de la Commission d’enquête sur les conditions de détentions dans les établissements pénitentiaires s’intitulait Prisons, une humiliation pour notre République : de l’humiliation à la honte, le constat est bel et bien transpartisan mais, quand vient le moment de chercher des solutions, annoncer des constructions de places de prisons, c’est toujours le plus facile, notamment avec des partis politiques qui font leur fond de commerce sur la sévérité, ignorant à dessein la complexité du problème.

Pourtant, les conditions de détention sont dénoncées par des instances de contrôle nationale, le contrôleur général des lieux de privation de liberté rappelle régulièrement l’indignité des conditions de détention, ou internationale, comme cela a été le cas le 6 juillet 2023, où la CEDH a condamné la France pour les conditions de détention de trois prisonniers de la prison de Fresnes. La CEDH avait déjà enjoint à la France en 2020 de prendre les mesures nécessaires face à un problème chronique.

Il y a notamment toute une politique de la jeunesse qu’il faut développer. J’avais été frappé, au cours de mes visites d’établissements pénitentiaires pour mineur (EPM), de constater que, quand on demandait aux jeunes ce qu’ils voulaient faire plus tard, la seule réponse qui revenait souvent était : "l'armée". Certes, pour certains, le passage en prison constitue une sorte de "maréchalat" de la délinquance, mais, la plupart du temps, c’est un facteur de désaffiliation sociale en contradiction avec les objectifs qui devraient être ceux de la prison. Il y a une réflexion à mener en profondeur pour éviter la récidive en réconciliant les prévenus avec la justice et en les intégrant à la société. Il faudrait aussi s’atteler à la question du personnel : les surveillants pénitentiaires ne sont pas habilités à surveiller tout le monde, ils ne sont ni psychiatres ni armés pour se confronter à de très grands malfrats ou de jeunes délinquants ensauvagés, extrêmement violents et désocialisés. Une réflexion conjointe entre l’administration pénitentiaire et le Ministère des Armées me semble sur ce point nécessaire.

Matthieu Quinquis : Cette rhétorique en faveur d’une montée en puissance du bâti pénitencier s’inscrit dans le mouvement de fond d’un populisme pénal, avide de promouvoir des politiques qui, sous couvert d’évidence, sont inefficaces. Plus on construit, plus on enferme : les places additionnelles créent des appels d’air et c’est un cercle vicieux qui maintient l’idée que la prison serait la seule peine qui vaille et la solution au sentiment d’insécurité que les politiques et médias alimentent eux-mêmes.

Matthieu Quinquis : Plus on construit, plus on enferme : les places additionnelles créent des appels d’air et c’est un cercle vicieux qui maintient l’idée que la prison serait la seule peine qui vaille et la solution au sentiment d’insécurité que les politiques et médias alimentent eux-mêmes.

De plus, le développement de peines alternatives, loin de mener à une approche plus indulgente des peines, a paradoxalement conduit à un resserrement du filet pénal : les peines alternatives ont permis de sanctionner ceux qui seraient restés en milieu libre, elles augmentent donc sans que ne baissent les emprisonnements. Surtout, annoncer des constructions de places est une fausse bonne idée : outre les dépassements budgétaires considérables (sans même parler des frais de fonctionnement que cela engagera), cela revient à proposer une solution d’échéance tardive à l’urgence bien actuelle de la surpopulation.

Et à faire le choix de ne pas affecter ces fonds à l’entretien du bâti existant, à l’embauche de travailleurs sociaux, au développement des peines alternatives mais également aux politiques de logement, d’éducation et de santé ! Les chiffres sont éloquents : 10 % des personnes détenues sont illettrés, 40 % souffrent de dépression, 21 % ont des troubles psychopathiques, 7,3 % des tendances schizophrènes, 33 % souffrent d’addictions plurielles (alcool, médicaments, stupéfiants) : c’est hors de toute proportion avec le reste de la population. Il faut donc agir sur ces leviers, en prévention et en priorité.

Selon le rapport du Conseil de l'Europe, le nombre de détenus incarcérés pour des peines de prison ferme en Europe baisse depuis 2013, sauf en France : comment l'expliquer ? Comment font les autres pays européens ?

Jean-René Lecerf : On incarcère des gens qui ne devraient pas l’être. On aurait, en réalité, assez de places de prison pour accueillir ceux qui le doivent. Certains autres problèmes de dangerosité sont liés à des troubles psychiatriques et c’est là qu’il faudrait proposer des dispositifs adaptés. En Belgique, par exemple, existent des Centres de défense sociale, qui accueillent des personnes ayant commis des infractions importantes et dont la santé mentale est considérée comme gravement altérée. Ces lieux accueillent aussi des personnes dangereuses qui n’ont pas commis de délit mais qui, en raison de la gravité de leur affection psychiatrique, sont susceptibles de passer à l’acte à tout instant. Cela peut choquer en France, si on lit cela sous le prisme d’une négation de la présomption d’innocence. Mais il s’agit en réalité de prendre en compte la gravité d’une détérioration de la santé mentale d’un individu qu’il serait irresponsable de négliger et qui doit bénéficier d’un suivi régulier.

Matthieu Quinquis : Les autres pays européens sont davantage sortis du schéma de pensée selon lequel la seule réponse consiste à "avoir assez de places". La vraie question est l’usage que l’on fait de ces places. La France se distingue de ses voisins par son recours immodéré à la détention provisoire, intimement lié à l’usage historique de la prison dans l’Hexagone : avant d’être une peine, la prison était simplement un moyen d'attendre son jugement (le châtiment, lui, consistait plutôt à envoyer aux galères). Dans l’histoire récente, la population carcérale n’a baissé que dans des conjonctures particulières : la loi sur la présomption d’innocence de 2000 (pour repartir très vite à la hausse, sitôt passé l’effet d’annonce) et le Covid-19.

Près de 20 000 personnes sont en détention provisoire. Il faudrait limiter la possibilité pour les magistrats d’y avoir recours. Car, en sus des politiques, les magistrats ont aussi leur part de responsabilité, ils font un mésusage du pouvoir que leur confère le code de procédure pénale.

Propos recueillis par Hortense Miginiac

Copyright image :  JEFF PACHOUD / AFP

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