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20/12/2023

China Trends #18 – En quête de moteurs de croissance par l’innovation

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China Trends #18 – En quête de moteurs de croissance par l’innovation
 François Godement
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Asie et États-Unis
 Philippe Aguignier
Auteur
Expert Associé - Asie
 Pierre Pinhas
Auteur
Chargé de projets - programme Asie
 Viviana Zhu
Auteur
Analyste Chine - Anciennement Research Fellow - programme Asie, Institut Montaigne
Introduction

Par François Godement

Les dernières statistiques du gouvernement chinois confirment la coexistence de deux vérités quant à la santé de l’économie de la Chine. 

La première : la déflation, la baisse de la demande en biens durables et la baisse des importations perdurent, même si l'on observe un léger rebond de la consommation. Récemment, les mesures de relance budgétaire et la priorité donnée aux obligations destinées aux gouvernements locaux pour venir à la rescousse du secteur immobilier n'ont pas eu l'effet escompté sur les nouveaux emprunts et sur la confiance des investisseurs. L'avertissement constitué par la décision prise de l’agence de notation Moody's d’abaisser la note financière chinoise justifie la remarque de Xi Jinping selon laquelle l'économie chinoise est toujours "à un stade critique(经济恢复仍处在关键阶段)" - et vice-versa. 

La deuxième : il reste à la Chine des marges de manœuvre politique pour relancer l'économie. Même dans la comptabilité officielle, les réserves de devises de la Chine ont encore augmenté, alors que l'ampleur réelle des avoirs libellés en devises étrangères est elle-même sous-estimée généralement. Officiellement, le recours à une politique d’expansion monétaire a toujours été rejetée, pour des raisons de sécurité financière et car l'écart d'intérêt avec les autres grandes monnaies s'est réduit ou a disparu, suggérant qu'il existe un risque de fuite monétaire. Mais Xi Jinping parle désormais d'une politique monétaire "efficace (有效)" si celle-ci reste stable. Et les exportations, après cinq années de boom, restent soutenables, même si le gouvernement chinois cite la faiblesse de la demande extérieure comme facteur pesant sur une économie intérieure atone.

Les exportations sont devenues le pilier de la croissance chinoise. Elles sont le fer de lance de sa percée dans les industries clés du futur et dans les principaux biens de consommation.

Les conséquences pour les partenaires économiques de la Chine sont évidentes. Les exportations sont devenues le pilier de la croissance chinoise. Elles sont le fer de lance de sa percée dans les industries clés du futur et dans les principaux biens de consommation, eux-mêmes alimentés par les investissements et subventions d’hier et d’aujourd’hui. Après les panneaux solaires et les batteries, l'industrie nucléaire chinoise est désormais prête à s’exporter. Évolution chinoise parmi tant d’autres dans ce secteur, la Chine vient de raccorder à son réseau électrique le premier SMR (small modular reactor) à gaz à haute température, prouesse mondiale qui la place en bonne voie pour produire un SMR pressurisé à bas coût. Elle se dégage par là-même un chemin vers une production d'hydrogène vert, ce qui offrirait à son industrie automobile une autre percée.

Ne nous cantonnons toutefois pas aux technologies fondamentales ou de rupture : dans l'industrie automobile par exemple, les exportations chinoises de véhicules thermiques augmentent aussi rapidement que celles des véhicules électriques. Même si les subventions au niveau national ont été supprimées, les phénomènes de concurrence entre provinces ont créé une capacité chinoise globale de production de 40 à 50 millions de voitures par an. En Europe, les panneaux solaires chinois sont actuellement vendus avec une forte décote. Et malgré les restrictions à l'exportation de puces, qui entravent les activités de Huawei, la Chine fabrique toujours sur son sol les deux tiers des téléphones portables produits dans le monde.

La recherche de nouvelles niches pour l’exportation ne va pas s’arrêter. Dans les mesures annoncées pour relancer l'économie, l'accent est désormais mis sur l'innovation, infrastructures immatérielles comprises. Le soutien aux "infrastructures (基础设施)", longtemps un pilier de la politique économique chinoise, est désormais orienté vers le verdissement ou la numérisation de ces dernières, voire même vers l'éducation. Le gouvernement chinois prend des mesures visant à harmoniser les normes des produits nationaux avec celles qui prévalent à l’international. Ce changement aurait été auparavant interprété comme un geste d'ouverture du marché chinois aux importations. Aujourd'hui, il est beaucoup plus probable que cette harmonisation se traduise par une augmentation des exportations en raison des surcapacités chinoises. Le nivellement par le haut des normes industrielles signifie également que les politiques publiques anticipent désormais les nouveaux critères internationaux en matière d'émissions et de soutenabilité. C'est une réponse aux exigences extérieures de soutenabilité, que les fonctionnaires chinois qualifient de protectionnisme déguisé.

Dans l’absolu, la déflation garantit aussi la compétitivité internationale des produits chinois. En réalité, si les crises de l'immobilier, de la dette locale et de la finance venaient à s’aggraver, il serait toujours possible de vendre des actifs étrangers afin de restaurer la confiance dans la capacité d'extinction de la dette, ou de laisser glisser le renminbi avec une politique monétaire réellement expansionniste - et conduisant donc à des exportations encore plus compétitives.

Dans l’absolu, la déflation garantit aussi la compétitivité internationale des produits chinois. 

De l'intérieur de la Chine, seule une crise politique ou sociétale est susceptible de contrecarrer l’équilibre actuel. Celle-ci pourrait venir des jeunes chômeurs, ou bien des travailleurs migrants et des travailleurs des plateformes, mal rémunérés. Il en va de même pour les acheteurs endettés de logements qui, en Chine, ne peuvent se déclarer en situation de défaut et doivent donc rembourser leurs emprunts jusqu'au dernier centime : pour reprendre les termes d'un conseiller en investissement vantant la résilience de l’économie chinoise, ils "ne peuvent pas fuir le temple" (autrement dit, quitter le navire…). Quant à un changement politique, ou des luttes entre factions au sommet du Parti, cela reste fondamentalement imprévisible. Aucun pari ne peut être pris sur cette base.

La nouvelle de la mort de l'économie chinoise est largement exagérée... Ce sont donc les partenaires de la Chine qui sont confrontés à un dilemme. Selon certaines informations, Xi Jinping aurait exprimé ce dilemme en termes crus aux dirigeants de l'UE lors du récent sommet à Pékin : l'Europe ne peut réussir sa transition écologique sans l’aide des exportations chinoises, au vu du coût plus élevé des alternatives actuelles. En fin de compte, malgré le non respect par la Chine des règles du jeu, malgré les subventions et malgré le dumping, il n'en reste pas moins que les importations en provenance de Chine constituent un bouclier contre l'inflation à la production, et ce d'autant plus dans les secteurs où l'innovation a été le plus fortement soutenue par des décennies d'intervention et de financement étatiques. Lorsque des droits de douane sont érigés, les produits chinois transitent souvent ou sont assemblés dans des pays tiers.

C'est exactement l'objectif que Xi Jinping s’est fixé au cours de la dernière décennie : rendre les partenaires de la Chine plus dépendants qu'elle ne l'est elle-même à leur égard. Et, en grande partie, il y parvient encore car les démocraties sont aussi des sociétés de consommation dont le seuil de tolérance à l’égard des choix économiques suboptimaux est très bas. Cela rend difficile politiquement un découplage économique, même si une étude pionnière sur le cas allemand affirme que les prix à payer d’une telle évolution seraient moins élevés pour l'Allemagne que pour la Chine. 

C'est exactement l'objectif que Xi Jinping s’est fixé au cours de la dernière décennie : rendre les partenaires de la Chine plus dépendants qu'elle ne l'est elle-même à leur égard.

Sous la direction et le contrôle du PCC, il est possible de conserver une part de consommation des ménages dans le PIB au-dessous de 45 %, alors qu'elle atteint 70 % aux États-Unis ou en France. Le système politique chinois permet d'"accumuler" - c’est-à-dire mettre à disposition de l’investissement par le biais d'un système financier largement étatique - l'équivalent de 40 à 45 % du revenu agrégé des ménages et des entreprises. Cela permet d'absorber des paris risqués à long terme sur l'innovation, ou les coûts de substitution aux importations, ou encore l’excès des dépenses sur les infrastructures.

Au cours des deux dernières décennies, les espoirs des Occidentaux quant à un changement de modèle économique se sont heurtés à la réalité. Rééquilibrer l'économie en faveur du revenu des ménages, de leur consommation et d'une économie de services avec des entreprises privées et des individus de plus en plus puissants remettrait en cause le pouvoir du Parti, à commencer par ses propres revenus. C'est précisément la raison pour laquelle la génération actuelle de dirigeants politiques ne laissera pas cela se produire. La Chine dispose des capacités nécessaires pour piloter un développement industriel, urbain, énergétique et logistique extraordinaire. En revanche, elle n'a pas la régulation ni les contrepoids nécessaires pour créer une banque centrale indépendante, libéraliser les marchés de capitaux ou devenir un emprunteur international important - ce qui marquerait la véritable émergence du renminbi comme monnaie de réserve.

Elle doit dès lors accumuler, investir et dépendre du reste du monde pour absorber ses excédents de production. En dehors des scenarii de crises internationales, c'est là que se trouve la véritable dépendance de la Chine.

Instinctivement, l'accent mis sur une réduction limitée des risques par opposition à un découplage plus large semble erroné, en particulier pour l'Europe. Non seulement parce que la Chine a littéralement inventé l’idée de découplage unilatéral. Mais aussi parce que l'Europe, grâce à son adhésion au commerce multilatéral et à des institutions comme l'OMC, est confrontée à un dilemme plus important que la plupart des autres pays. Les États-Unis et l'Inde ont fermé leurs portes aux panneaux solaires chinois. Avec le Japon, et la Turquie plus récemment, ils ont de facto banni les véhicules électriques chinois de leurs routes. Il en résulte que la surproduction chinoise dans ces secteurs clés est, par défaut, directement ré-orientée vers le marché européen et celui des économies émergentes.

C'est d'ailleurs ce que l'UE a tenté de faire comprendre aux dirigeants chinois lors de leur réunion à Pékin en décembre. Dans un monde où l'OMC ne sert plus à résoudre les conflits commerciaux, des barrières sont érigées pour diverses raisons : sécurité nationale, sécurité économique ou représailles pures et simples.

L'Europe est, jusqu’à présent, restée plus ouverte aux exportations chinoises que les autres grandes économies. En retardant les mesures de transition écologique et de réduction des émissions, l’Europe provoquerait un répit pour les exportations chinoises dans ces secteurs. L’UE pourrait également accélérer et élargir la taxation aux frontières en fonction d’autres préoccupations de développement durable et éthique, et en utilisant les recettes ainsi dégagées pour sa propre transition énergétique. Comme la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen l’aurait dit à Xi Jinping : le niveau des exportations chinoises est politiquement insoutenable en Europe. Si la Chine ne limite pas ses politiques d’investissement et d'exportation, elle perdra bientôt le dernier partenaire gardant ses portes ouvertes dans de nombreux secteurs.

Si la Chine ne limite pas ses politiques d’investissement et d'exportation, elle perdra bientôt le dernier partenaire gardant ses portes ouvertes dans de nombreux secteurs.

Ce n'est cependant pas l’option privilégiée par l'Europe. Le marché unique lui-même a été construit sur des bases multilatérales. Les partisans du libre marché soulignent, à juste titre, que les mesures protectionnistes ciblées déplacent les exportations chinoises vers des marchés tiers. Ils soulignent également que nos propres coûts sont plus élevés en raison de l'augmentation des prix à l'importation ou d’une concurrence réduite. Les détracteurs du de-risking, que celui-ci soit motivé par des objectifs de sécurité nationale ou plus largement de sécurité économique, soulignent aussi que l’accès à l'innovation chinoise (réellement présente dans certains processus logistiques comme la 5G, le contrôle portuaire ou la production automobile) pourrait être réduit. Le de-risking pourrait conduire la Chine à accélérer encore sa stratégie d'autosuffisance scientifique et technologique.

Tout cela est vrai. Mais est-ce plus important que de laisser une économie planifiée abuser d’un statut d'"économie en développement" acquis il y a un quart de siècle, lorsque son PIB par habitant était d'environ 1 000 dollars ? Bien entendu, la concurrence stratégique et l’accent sur la "lutte" à l'ère Xi Jinping ajoutent une dimension politique. Les espoirs de changement et de convergence sont remis à une génération future.

Le de-risking implique des coûts élevés en matière de recherche, de chaînes d’approvisionnement et d'industrialisation. Il est préférable de partager ces coûts avec des partenaires pertinents.

Le de-risking implique des coûts élevés en matière de recherche, de chaînes d’approvisionnement et d'industrialisation. Il est préférable de partager ces coûts à plus grande échelle avec des partenaires pertinents,qu’ils partagent une vision ou simplement des intérêts communs. Les États-Unis disposent des ressources énergétiques, des capitaux et d'une législation protectionniste leur permettant de gérer leur politique économique presque seuls. L'Europe ne dispose pas des mêmes ressources et s'est traditionnellement opposée verbalement au protectionnisme. De ces faiblesses relatives, la Chine déduit une plus grande volonté de compromis. Et certains Européens sont prêts à l'accepter. 

Disons-leur que seul l'avènement d’une politique de défense commerciale européenne, avec les outils en cours de développement, ainsi qu'une fermeté retrouvée dans le refus des discours creux de Pékin, peuvent amener un jour la Chine à des concessions.

Copyright Image : STR / AFP

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À propos de China Trends

China Trends est une publication trimestrielle en anglais du programme Asie de l’Institut Montaigne. Chaque numéro est consacré à un thème unique et cherche à comprendre la Chine en s’appuyant sur des sources en langue chinoise. À une époque où la Chine structure souvent l’agenda des discussions internationales, un retour aux sources de la langue chinoise et des débats politiques - lorsqu’ils existent - permet une compréhension plus fine des logiques qui sous-tendent les choix de politiques publiques de la Chine.

China Trends #18 - En quête de moteurs de croissance par l’innovation (en anglais) (24 pages)Télécharger
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