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Budget : face aux chocs économiques, des débats français à haut risque

Budget : face aux chocs économiques, des débats français à haut risque
 Eric Chaney
Auteur
Expert Associé - Économie

Quelles sont les grandes dynamiques macroéconomiques mondiales et comment affectent-elles une économie française fragilisée par la crise politique ? Commerce mondiale, tendances des marchés financiers, stagflation aux États-Unis, ralentissement chinois, conséquences de la suspension de la réforme des retraites : en pleins débats budgétaires et à l'occasion de la parution des estimations de croissance de l’INSEE pour le 3e trimestre et des projections de croissance de la Commission européenne, Éric Chaney éclaire la conjoncture économique.

Croissance et commerce mondial : le découplage

Le paysage économique mondial est, par nature, traversé par les incertitudes et les risques ; notre époque n’y fait pas exception et pourtant, un certain optimisme prévaut chez les prévisionnistes : l’OCDE a révisé à la hausse son estimation de croissance pour 2025 sans changer celle de 2026, tout comme l’Insee (+ 0,1 de point de croissance). Les estimations de croissance de l’INSEE pour le 3e trimestre pourraient même inviter à l’optimisme : la France contribue à la moitié de la croissance dans la zone euro, la croissance du produit intérieur brut (PIB) en volume est montée à 0,5 % par rapport au trimestre précédent (où elle n’était que de + 0,3 %), notamment grâce aux exportations(+2,2 %), tirées par le secteur aéronautique, ce dernier étant, il est vrai erratique. La production industrielle, en particulier dans le secteur manufacturier, est dynamique, grâce aux exportations et à l’investissement des entreprises (+0,9 %), tandis que la consommation des ménages stagne (+0,1 %). À la Bourse de Paris, l’indice du CAC 40 terminait le mois d’octobre à +2,85 %, mois le plus élevé de 2025. La France parviendra-t-elle, contre toute attente, à atteindre son objectif de + 0,8 % de croissance moyenne annuelle ? Peut-être. Il n’en reste pas moins que cette croissance est inégale selon les secteurs : les enquêtes de conjoncture, qui se projettent dans l’avenir alors que les chiffres de croissance relèvent du passé, ne sont guère encourageantes.

L’économie mondiale se montre résiliente, en dépit des tensions de la guerre commerciale. Le commerce mondial, après avoir joué un rôle moteur pour la croissance mondiale entre 2000 et 2008, et avoir eu un impact neutre depuis, devrait freiner en raison des fortes hausses de tarifs douaniers initiées par l'administration Trump. Au sursaut momentané dû au boom des importations américaines avant que les nouveaux droits de douane n’entrent en vigueur va succéder la baisse inexorable des importations et la contraction des échanges. On ne pourra pas compter sur l’Europe, dont les importations n’ont même pas retrouvé leur niveau pré-Covid, ni même sur la Chine et le Japon, qui, récemment furent les principaux contributeurs à la croissance des importations mondiales, pour compenser la contraction américaine.

Stagflation aux États-Unis, du fait de la politique protectionniste du président Trump

Le risque de récession aux États-Unis est pour l’instant assez faible malgré la stagflation. Ce qui tire la croissance n’est pas la consommation des ménages, affectée par les droits de douane, mais les dépenses des entreprises. Tités par les investissements en propriété intellectuelle et technologie, l’investissement des entreprises hors infrastructures a plus que doublé depuis la période pré-crise de 2008.

Le risque de récession aux États-Unis est pour l’instant assez faible malgré la stagflation. Ce qui tire la croissance n’est pas la consommation des ménages, affectée par les droits de douane, mais les dépenses des entreprises.

La hausse des droits de douane est lucrative à court terme pour le Trésor américain. Elle sera, à plus long terme, préjudiciable aux entreprises américaines et aux consommateurs et alimentera l’inflation. D’abord, même si les exportateurs vers les E.U. ajustent leurs prix à la baisse en comprimant leurs marges, l’essentiel de la hausse des tarifs se répercutera sur les prix de détail, directement pour les biens de consommation importés, indirectement via la hausse du coût des intrants pour ceux produits aux E.U. 

Ensuite, les entreprises américaines, protégées de la concurrence internationale, vont gonfler leurs marges. Enfin, une politique budgétaire expansionniste, via baisses d’impôts et nouvelles dépenses, stimulera la demande, et favorisera les hausses de prix, surtout dans les secteurs contraints par leurs capacités de production. Le taux de chômage très bas (4,3 %), qui s’ajoute à ce processus inflationniste, conduit la Fed à faire baisser les taux d'intérêt à un rythme contrôlé et prudent, en dépit des desiderata du président Trump.

Les faibles gains de productivité (il s'établissent à "seulement" à 1 %) ne permettant pas d’effacer la hausse des coûts unitaires, l’un des rares éléments capables de contrecarrer la tendance inflationniste serait un forte accélération de la productivité résultant des investissements en IA, particulièrement en LLM. Elle a déjà commencé à se produire, et se manifestera plus profondément aux États-Unis que dans le reste du monde, mais, à court terme, ne peut jouer qu’à la marge.

Les effets de l’IA sont d’ailleurs l’un des principaux facteurs d’incertitude pour la macroéconomie mondiale. Quelle sera la constante de temps de la transition vers une économie dominée par l’IA ? Sera-t-elle significativement moindre que lors des grandes innovations passées comme le transport ferroviaire ou l’électrification des process industriels ? C’est le pari que font les marchés d'actions, mais aussi ceux qui, dans notre pays en particulier, voient dans l’IA une sorte de deus ex-machina qui permettrait d’augmenter la productivité en faisant l’économie de toute réforme en profondeur. Au risque de graves désillusions.

Les effets de l’IA sont d’ailleurs l’un des principaux facteurs d’incertitude pour la macroéconomie mondiale.

À plus long terme, les États-Unis risquent de tuer la poule aux œufs d’or de leur excellence scientifique : le financement de la recherche fondamentale est sabré - bien au-delà des disciplines liées aux sciences humaines et sociales - et les meilleurs cerveaux se détournent d’un pays où il est risqué d’entrer et d’où il est impossible de savoir, en le quittant, si on pourra de nouveau en passer le contrôle aux frontières au retour.

Du côté des marchés financiers, M. Miran fait baisser le dollar

Malgré une baisse moyenne des taux d’intérêt à long terme, et indépendamment des anticipations de politique monétaire, la prime de terme sur les obligations se reconstruit. Le dollar, largement surévalué, se déprécie sous l’impulsion politique des conseillers de Donald Trump, et notamment de Stephen Miran, que le président souhaite voir succéder à Jay Powell à la tête de la Fed. M. Miran considère que le "privilège exorbitant" du dollar (qui se référait autrefois à la facilité avec laquelle les États-Unis pouvaient s’endetter, puisqu’ils le faisaient dans leur propre monnaie, et qui, depuis que le régime des changes est devenu flottant, renvoie au rôle d’actif de réserve joué par les obligations du Trésor américain, qui, malgré un rendement relativement faible, a suscité de massives entrées de capitaux, facilitant ainsi le financement du déficit extérieur) pénalise désormais le pays en entraînant la surévaluation de la monnaie. Miran veut donc réduire l’appétence des investisseurs étrangers pour le dollar. Il a avancé des propositions disruptives (conversion des bons du Trésor américains en bons perpétuels, taxe sur les porteurs étrangers), pour l’instant mises sous le boisseau mais qui ont l’oreille du président et expliquent que les investisseurs méfiants cherchent de nouvelles valeurs qui puissent remplacer la monnaie de réserve en remplissant les mêmes critères de liquidité et de profondeur, bien qu’il n’y ait, jusqu’à présent aucun substitut crédible au dollar. La montée de l’or et des crypto-monnaies signale indirectement cette perte de confiance dans le dollar. L’engouement pour les stablecoins [cryptomonnaies adossée au dollar] est inquiétant : beaucoup moins régulés que d’autres actifs, ils pourraient créer, en cas de doute, des ventes massives, comparables aux "runs" des crises bancaires, et qui obligerait les États à renflouer les opérateurs.

L’économie chinoise en déflation structurelle

L’économie chinoise a ralenti depuis deux ans, alors qu’elle est loin d’avoir rattrapé la frontière de la productivité tenue par les États-Unis, ce qui fait planer le risque de "devenir vieux avant d’être devenu riche". La croissance annuelle du PIB en monnaie courante est même tombée de 4,9 % en 2024 à 3,7 % au dernier trimestre connu (T3 2025). La déflation est en effet devenue structurelle depuis l’éclatement de la bulle immobilière et, du fait d’une pyramide des âges fortement déséquilibrée, la population active baisse depuis plus de dix ans. À terme, il est probable que la croissance en volume de l’économie chinoise convergera vers 3 %. Comme la population baisse aussi, cela n’empêchera pas le PIB par habitant d’augmenter encore assez rapidement. L’Europe, quant à elle, se prépare au basculement des exportations chinoises vers son territoire, principalement via le canal de l’Asie du Sud-Est.

Europe : France-Allemagne, l’inversion des tendances

L’Allemagne et la France sont aux antipodes : le système économique allemand est à bout de souffle alors que le système français se tient raisonnablement bien, mais la situation risque de s’inverser, car le modèle politico-social de la première est relativement flexible alors qu’il paraît bloqué chez l’autre.

L’économie allemande est dans sa troisième année de récession malgré un stimulus budgétaire d’ampleur voulu par l’ensemble de la classe politique, de la CDU au SPD. Le modèle macroéconomique obsolète, fondé sur les exportations industrielles vers les marchés américains et chinois et sur une énergie russe peu chère, doit se réinventer. À moyen terme, des marges budgétaires considérables et une politique de l’emploi efficace (taux de chômage inférieur à 4 %) offrent des perspectives de renouveau. Le choc des cinq millions de chômeurs post-réunification avait conduit à sanctuariser un consensus politique chez tous les acteurs économiques et sociaux : quelles que soient les tensions, l’emploi serait privilégié par rapport aux transferts sociaux ou aux salaires. À long terme, une démographie catastrophique incite à plus de pessimisme.

Le système économique allemand est à bout de souffle alors que le système français se tient raisonnablement bien, mais la situation risque de s’inverser, car le modèle politico-social de la première est relativement flexible alors qu’il paraît bloqué chez l’autre.

En comparaison, la France ne brille pas : malgré un taux de croissance qui reste tendanciellement légèrement supérieur à 1 %, le taux de chômage s’établit à 7,6 % : où en serions-nous avec une récession ? En l’absence totale de marges budgétaires, le modèle français est complètement bloqué et le pays se condamne à une "pensée à somme nulle", pour reprendre le concept popularisé par l'économiste Stéphanie Stancheva : en l’absence de marges ou de croissance, tout gain d’un côté se fait aux dépens d’un autre, sans création de valeur nette.

Au niveau macroéconomique et à court terme, notre économie est plus résiliente que l’économie allemande, comme le montre la bonne tenue de la croissance au 3e trimestre (2,0 % en rythme annualisé), car elle dépend beaucoup moins des exportations hors Union Européenne, est plus spécialisée en services qu’en biens industriels et le coût de son énergie est moins cher. Mais cela risque de s’inverser à moyen terme …

Dette : le supplice chinois de la France

La France souffre notamment du niveau de sa dette publique, qui croît depuis 1981 : à chaque choc, la dette publique grimpe et n’est ensuite que stabilisée, là où d’autres pays parviennent à la faire baisser. Le dernier vote d’un budget à l’équilibre date de 1974 (Jean-Pierre Fourcade était alors ministre de l’Économie et des Finances). Notre niveau de dette publique actuel rapporté au PIB équivaut à celui qui prévalait avant les deux guerres mondiales, alors que le risque de guerre avec l’Allemagne avait fait exploser les dépenses militaires. Il se situe même au-dessus du niveau atteint après la défaite de 1870 et les réparations payées à l’Allemagne. Or, le seul levier sur la dette est le solde budgétaire. Certains affirment que le déficit a augmenté du fait de la baisse des impôts (antienne bien connue du "trop de cadeaux aux riches"). Ce n’est pas ce que montrent les chiffres : la part des recettes publiques dans le PIB est restée stable depuis les lendemains de la récession de 1992-93. C’est la dépense qui augmente, avec un effet de cliquet répété à chaque récession

Source du problème : excès des dépenses publiques par rapport  au PIB

Source du problème : excès des dépenses publiques par rapport au PIB

Certains affirment que le déficit a augmenté du fait de la baisse des impôts (antienne bien connue du "trop de cadeaux aux riches"). Ce n’est pas ce que montrent les chiffres.

L’écart de taux d'intérêt à long terme avec l’Italie s’est considérablement réduit depuis trois ans, il est désormais à zéro et on peut prédire qu’il s’inversera en raison du blocage budgétaire en France. Le spread avec l'Allemagne est quant à lui de 85 points de base (après que la suspension de la réforme des retraites l’a fait remonter de 6 points de base) alors qu’il n’était que de 20 points en 2021.

Les conséquences sont insidieuses dans un pays où l’endettement cumulé des acteurs privés (surtout les entreprises) et publics (surtout l’État), s’élève à 323 % du PIB. Toute augmentation des taux d'intérêt, qu’elle vienne du risque de crédit sur la France, de la hausse des primes de terme ou des politiques des banques centrales, sera fortement préjudiciable à notre économie.

Dans ce contexte, l’économie française subit le supplice chinois d’une mort lente, dans un climat de totale incertitude qui dissuade les entreprises et les ménages d’investir

La suspension de la réforme des retraites, notamment, est particulièrement dommageable : 

  1. son coût budgétaire immédiat s’élève, selon la lettre rectificative au projet de loi de financement de la Sécurité sociale, à 100 millions d’euros en 2026 et 1,4 milliard d’euros en 2027, alors même que le déficit public est déjà à 6 % du PIB. 
  2. la suspension grève la croissance : la réforme des retraites concernait moins le relèvement de l’âge de départ que le taux d'activité des seniors, trop bas, ce qui se traduit par de moindres rentrées budgétaires
  3. le coût politique est considérable : une réforme des retraites est indispensable, celle de 2023 accomplissait seulement une partie des efforts. Un renoncement envoie aux investisseurs le message que la France est un pays irréformable, qui ne peut s’adapter aux conditions réelles de l'économie réelle.


Pour l'instant, les marchés n’ont pas trop réagi et l’écart de taux avec l'Allemagne est resté quasiment le même. Pourtant, alors que les taux d’intérêt nominaux remontent dans le monde entier du fait de la reconstitution des primes d’inflation et de terme, et que les taux d’intérêt réels (obtenus en déduisant le taux d’inflation) augmentent encore plus du fait de la désinflation, notre économie devient très vulnérable. Une hausse des taux d’intérêt de 1 % représenterait 13 milliards d’euros de charge de la dette en plus par an.Personne ne semble s’en émouvoir, ou en tirer les conséquences. François Bayrou, lors de la présentation de son plan de redressement des finances publiques, avait eu beau jeu d’évoquer, pour la dramaturgie, la crise grecque et le risque d’une prise en main de l’économie française par le Fonds monétaire international (FMI). En réalité, les ménages étant endettés à long terme et à taux fixe, la montée des taux ne touche pas directement les électeurs, à court terme du moins et par conséquent, la contrainte des marchés financiers n’inquiète guère la classe politique. Jusqu’au jour où les partenaires de la France, à commencer par l’Allemagne, garante de la stabilité de l’Union monétaire, doutera de la possibilité que la France se réforme. Alors, la défiance des marchés prendrait un caractère bien plus violent, donnant finalement raison à M. Bayrou. On ne peut qu’espérer que le redressement survienne auparavant.

Copyright image : Thomas SAMSON / AFP
Applaudissements de députés après l’annonce de la suspension de la réforme des retraites, Assemblée nationale, le 12 novembre 2025.

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