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14/10/2021

Au sommet Afrique-France, un jeu d’équilibriste pour Emmanuel Macron

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Au sommet Afrique-France, un jeu d’équilibriste pour Emmanuel Macron
 Mahaut de Fougières
Auteur
Responsable du programme Politique internationale

Le "en même temps", cher à Emmanuel Macron au niveau national se retrouve également dans la nouvelle relation qu’il souhaite faire émerger avec le continent africain. Lors du "Nouveau Sommet Afrique-France", qui s’est tenu le 8 octobre à Montpellier avec près de 3 000 participants, est apparu clairement le jeu d’équilibriste - plus ou moins habile - du Président Macron sur un certain nombre d’enjeux de la relation avec l’Afrique : entre la société civile et les chefs d’États, le passé et l’avenir, la relation avec le continent voisin et les enjeux électoraux français, et la relation Afrique-France et Europe-Afrique. 

Société civile vs chefs d’États 

Le début du quinquennat d’Emmanuel Macron a été marqué par son discours, fondateur, prononcé devant des étudiants à Ouagadougou en novembre 2017. Déclarant "il n’y a plus de politique africaine de la France", il exprime à travers ce discours sa volonté de placer la jeunesse africaine au centre de l’avenir des relations entre la France et le continent africain. Quatre ans plus tard à Montpellier, cette ambition est à nouveau démontrée à travers l’organisation d’un Sommet Afrique-France sans chefs d’États africains (pour la première fois depuis le début de ces sommets en 1973), lors duquel il a dialogué pendant près de trois heures avec 11 jeunes Africains et Franco-africains sélectionnés par le philosophe camerounais Achille Mbembe. Le Président français a insisté à cette occasion sur le fait que ce "Nouveau Sommet Afrique-France" constituait un réel tournant et signait la fin des sommets France-Afrique (Françafrique) traditionnels entre chefs d’États français et africains, au profit des sociétés civiles. 

Si les chefs d’États n’étaient pas conviés à Montpellier, ils étaient néanmoins très présents dans les discussions. Le Président français s’est vu reprocher de coopérer avec des dictateurs, notamment au Tchad, au Mali, en Guinée, en Côte d’Ivoire. Il a ainsi rappelé ses paroles de condamnation à l’encontre des actions peu démocratiques de ces différents dirigeants, et notamment Alpha Condé en Guinée, envers lequel il avait tenu des propos sévères dans une interview à Jeune Afrique de novembre 2020. Sans néanmoins citer la nécessité pour la France de s’appuyer dans certains de ces pays sur un leadership stable, au prix parfois de nos idéaux démocratiques. C’est en particulier le cas au Tchad, dont "nous avons absolument besoin pour le succès de Barkhane" et où il est donc "très difficile de marquer un désaccord trop net" : c’est là tout le "dilemme de la présence française dans la région", comme le rappelle Michel Duclos

Les jeunes qui ont dialogué avec Emmanuel Macron à Montpellier ont fait valoir le fait qu’ils cherchaient des solutions ("contrairement aux chefs d’États que vous rencontrez habituellement"). Ils sont allés jusqu’à demander au Président s’il était prêt à arrêter de coopérer avec les dictateurs africains et à considérer la société civile comme un partenaire au même titre que les États. Le Président leur a opposé la question des critères sur lesquels s’appuyer pour définir cette société civile, et a indiqué que le véritable problème est celui d’une jeunesse africaine dont l’accès aux responsabilités est bloqué, alors que 60 % des Africains ont moins de 24 ans : "comment synchroniser la classe politique avec la société africaine ?" Apparaît là l’équilibre difficile de la non-ingérence tout en répondant aux demandes de ces sociétés civiles. En effet, n’existe-t-il pas un paradoxe entre la nécessité pour les Africains de traiter eux-même leurs problèmes de gouvernance sans interférence française - sur laquelle ont insisté les 11 jeunes présents sur l’estrade aux côtés du Président français ("nous nous occupons nous-même de nos dictateurs, ne vous occupez pas de nos problèmes internes") - et une demande formulée de contourner les dirigeants au profit de la société civile ? Cela reviendrait pour la France à choisir ses interlocuteurs dans un pays étranger. Imaginerait-on que le Président français refuse de dialoguer avec Xi Jinping ? 

La France a réduit ses projets d’investissements de gouvernement à gouvernement pour passer davantage par des projets avec la société civile. 

Emmanuel Macron a tout de même tenu à rappeler que dans chacun des pays cités, la France a réduit ses projets d’investissements de gouvernement à gouvernement pour passer davantage par des projets avec la société civile. Il a également annoncé la création d’un fonds d’innovation pour la démocratie en Afrique, doté de 30 millions d’euros sur trois ans et orienté vers la société civile, avec une gouvernance indépendante, composée d’experts africains, pour orienter les fonds.   

Reste à savoir quelle forme prendrait concrètement ce fonds, qui correspond à une recommandation formulée dans le rapport qu’Achille Mbembe a remis au Président quelques jours avant le Sommet.

La question de l’interlocuteur est importante pour traiter un certain nombre de sujets centraux - et épineux - de la relation Afrique-France, dont le Franc CFA et la présence militaire française au Sahel. Le Président Macron est sur ces sujets confronté à des demandes contradictoires de la part des dirigeants des pays concernés d’une part, et de la jeunesse et des sociétés civiles représentées par les 11 jeunes d’autre part. Parmi les demandes formulées par ces derniers figurait celle du transfert des réserves de change du Franc CFA de Paris vers les pays concernés. C’est chose faite a assuré Emmanuel Macron : il n’y a plus de réserves aujourd’hui sur le compte du Trésor français, conformément aux annonces faites à Abidjan avec le Président Ouattara en décembre 2019. Les instruments de garantie sont néanmoins toujours en place et le Président français s’est dit prêt à aller plus loin à condition que la demande lui soit formulée par les États africains concernés, afin que cela ne soit pas vécu comme un abandon. C’est en effet exactement la critique qu’a adressée le Premier ministre malien à la France à la tribune des Nations Unies le 25 septembre dernier, s’agissant de la fin de l’opération Barkhane annoncée par le Président Macron en juin. À l’inverse, les jeunes avec lesquels ce dernier a échangé à Montpellier ont formulé la demande du retrait "progressif et définitif" des bases militaires françaises sur le continent. Emmanuel Macron s’est empressé de rappeler que la France était intervenue au Mali en 2013 à la demande des autorités. 

Un équilibre difficile entre le passé et l’avenir 

Un autre équilibre délicat inhérent à la relation Afrique-France se situe entre le passé et l’avenir et Emmanuel Macron s’est particulièrement approprié ce thème depuis son élection. Dès son discours de Ouagadougou, il a joué la carte de la jeunesse africaine, et de sa propre jeunesse, déclarant : "Je suis comme vous d’une génération qui n’a jamais connu l’Afrique comme un continent colonisé". Il a depuis souhaité recentrer la relation avec le continent africain sur des thèmes positifs, de coopération et d’avenir, tels que ceux des six grands espaces dans lesquels se sont succédé des conférences et animations tout au long de la matinée du 8 octobre à Montpellier : entreprendre et innover ; culture, patrimoine et coopération ; sport ; industries culturelles et créatives ; engagement citoyen et démocratie ; enseignement supérieur, recherche et innovation. Un certain nombre de projets ont ainsi été engagés ces dernières années, notamment via l’Agence française de développement (AFD) sur ces thèmes. Afin de poursuivre les actions dans ce sens, ont été annoncés au sommet les lancements d’un fonds d’amorçage de 10 millions d’euros pour soutenir les startups africaines du secteur du numérique, par le biais de l’initiative Digital Africa, d’un fonds pour aider les musées africains à accueillir des œuvres internationales, et d’un programme de soutien aux académies sportives africaines. 

Néanmoins, la session plénière de l’après-midi du 8 octobre pilotée par 11 jeunes africains et franco-africains s’est concentrée sur les aspects politiques de la relation Afrique-France, et notamment sur le passé. Le Président Macron a d’ailleurs bien compris qu’il ne pouvait pas faire table rase du passé : à une jeune qui lui a demandé de laver la marmite très sale qui représente la relation entre la France et les pays africains, le Président a répondu qu’il resterait toujours des traces, qu’il convient d’assumer le passé et les blessures. Mais lorsqu'un autre de ses interlocuteurs l’a invité à demander pardon pour ce passé colonial, Emmanuel Macron, disciple de Paul Ricœur, a refusé de le faire, estimant que ce serait une réponse trop facile visant à tourner une page qui ne peut pas l’être. Selon lui, il convient plutôt d’engager un travail de reconnaissance, un travail commun sur la mémoire, afin de documenter cette histoire pour l’enseigner aux générations à venir. 

C’est d’ailleurs ce qu’il s’est employé à faire au cours de son quinquennat, au sujet de l’Algérie, à travers le rapport Stora remis à l’Elysée au mois de janvier, et du Rwanda, sur la base d’un rapport remis en mars dernier puis au cours d’un déplacement à Kigali au mois de mai. Il a également profité du Sommet de Montpellier pour annoncer la restitution de 26 œuvres d’art au Bénin, aujourd’hui conservées au musée du Quai Branly-Jacques Chirac, dans la lignée du processus de restitution d'œuvres culturelles à leur pays d’origine initié lors de son discours de Ouagadougou. 

Il convient plutôt d’engager un travail de reconnaissance, un travail commun sur la mémoire, afin de documenter cette histoire pour l’enseigner aux générations à venir. 

Ce retour obligé vers le passé, particulièrement évident lors du Sommet, constitue un frein à un autre aspect de l’ambition du Président français pour la relation avec l’Afrique : le rapprochement avec les pays africains non-francophones. C’est le cas notamment du Ghana, du Nigeria, de l’Ethiopie, du Kenya et de l’Afrique du Sud, où il a effectué des visites respectivement en novembre 2017, juillet 2018, mars 2019 et mai 2021. Si la délégation de jeunes qui ont dialogué avec le Président Macron le 8 octobre comptait une anglophone (parmi les 11), du Kenya, il s’agissait avant tout d’une discussion avec l’Afrique francophone, qui "demande des comptes à la France" comme l’ont noté certains, ajoutant même qu’une telle scène n’aurait pas lieu dans les autres anciens pays colonisateurs. 

La diaspora, entre relation avec l’Afrique et enjeux électoraux 

Le Président Macron a souhaité faire de ce qu’il appelle la diaspora, soit les près de 7 millions de Français (de 1ère ou 2ème génération) dont la vie est liée à l’Afrique, la pierre angulaire de la relation avec le continent. C’est ainsi qu’il a mis en place dès son arrivée au pouvoir le Conseil présidentiel pour l’Afrique, composé de personnalités issues de la société civile et pour la plupart de la diaspora, dont l’objectif est de nourrir la politique africaine du Président. Le Sommet de Montpellier (ville où l’université accueille une chaire des diasporas africaines) s’est inscrit dans cette même lignée, mettant à l’honneur "la part d’africanité de la France".  

D’une part, il s’agit de miser sur un avantage comparatif de la France par rapport à ses concurrents russes et turcs par exemple, dont l’histoire n’est pas aussi imbriquée avec celle du continent. Le Président s’est ainsi engagé à travailler davantage sur la reconnaissance du rôle clé joué par la diaspora, notamment financier, en construisant un cadre pour les flux de financements privés avec l’Afrique, en lien avec l’AFD et les systèmes bancaires. 

Mais cela répond d’autre part à des enjeux électoraux français, comme le démontraient déjà Antoine Glaser et Pascal Airault dans leur ouvrage paru en avril Le piège africain de Macron, et plus particulièrement encore en cette période préélectorale. Emmanuel Macron, probable candidat à sa réélection, se place ainsi en opposition radicale avec un autre probable candidat qu’est Eric Zemmour, notamment lorsqu’il fait référence, pour démontrer que la démocratie est fragile partout - même en France -, aux "gens qui pensent qu’on peut changer l’histoire, la falsifier, qu’on peut se mettre à relativiser des valeurs universelles y compris chez nous dans le débat français". Les jeunes franco-africains présents sur scène n’ont néanmoins pas manqué de le questionner sur le manque de représentants de cette diaspora parmi les ambassadeurs, les patrons de médias publics, les directeurs de théâtres, de musées. Avec à ses côtés sa Ministre déléguée franco-cap-verdienne Elisabeth Moreno - dont il a rappelé qu’elle avait rejoint le gouvernement à la suite de son intervention lors d’une réunion des diasporas organisée en 2018 avec le Président du Ghana -, il a concédé qu’il restait du chemin à parcourir et a repris à son compte la proposition d’Achille Mbembe d’une Maison des mondes africains et des diasporas pour abriter "la part africaine du génie français".   

France-Afrique-Europe ? 

Enfin, un aspect important de la relation renouvelée que souhaite le Président français avec l’Afrique est sa volonté de l’européaniser. Cela s’est manifesté y compris sur le plan sécuritaire par la création de la Task Force Takuba au Sahel, regroupant des forces européennes. La question se pose néanmoins de savoir de quelle manière cette relation de continent à continent s’articule avec la relation particulière qu’entretient la France avec le continent - ou du moins avec une partie de celui-ci. Si l’Elysée avait convié à Montpellier des représentants de la Commissaire Jutta Urpilainen et du Président du Conseil européen Charles Michel, il n’a pas été question d’Europe dans les discussions. La France a annoncé son intention d’organiser un Sommet Europe-Afrique dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’UE. Reste à attendre le mois de février 2022 pour avoir des réponses sur ce plan. 

Il apparaît à la fin du Sommet de Montpellier que si Emmanuel Macron, qui est friand de ce type d’exercice, a su nouer un bon contact avec ces 11 jeunes sélectionnés, ceux-ci n’ont néanmoins pas donné quitus au chef de l’État français : ils ont insisté sur le fait que ce sommet était un point de départ d’une nouvelle relation, qu’il appartiendra aux Africains eux-mêmes de réinventer. 
 

 

Copyright : Ludovic MARIN / AFP

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