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28/09/2018

25 ans plus tard, les espoirs enterrés des accords d’Oslo

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25 ans plus tard, les espoirs enterrés des accords d’Oslo
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Il y a 25 ans, Yitzhak Rabin, Premier ministre israélien, et Yasser Arafat, Président du comité exécutif de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) ont signé à Washington les accords d’Oslo, synonymes de reconnaissance mutuelle après 45 ans de conflit et de création de l'Autorité palestinienne. En 2018, le processus de paix est au point mort et la solution à deux Etats semble progressivement impossible.

Quel est le bilan de ces accords empreints d’optimisme ? A l’heure de l’anniversaire d’un tournant dans le conflit israélo-palestinien, qu’en est-il de la situation actuelle ? Dominique Moïsi, conseiller spécial de l’Institut Montaigne, nous explique les enjeux de cet anniversaire.

Pouvez-vous nous rappeler quelle fut l'importance des accords d'Oslo au moment de leur signature en 1993 ainsi que les raisons principales de leur échec ?

La signature des accords d’Oslo intervient dans un contexte d’optimisme où toutes les utopies semblaient réalisables : le mur de Berlin est tombé en 1989, l’Allemagne est réunifiée, l’Apartheid est terminé en Afrique du Sud et Nelson Mandela donne le sentiment que la réconciliation est possible partout. Qui aurait pu penser que cela serait arrivé aussi vite ? 

C’est dans ce contexte que naissent les accords d’Oslo. Au départ, il ne s’agit que de projets formulés par des intellectuels marginaux face aux échecs de l’ensemble des processus précédents et qui envisagent une nouvelle méthode. Celle-ci trouve une concrétisation grâce au dévouement personnel du ministre des affaires étrangères norvégien de l’époque, Johan Jörgen Holst. Rétrospectivement, la tentation est de dire que ces négociations, difficiles, étaient une utopie et une illusion dangereuse, tant les protagonistes, palestiniens comme israéliens, ne semblaient prêts à cette paix.

Et pourtant, pour avoir participé à l’époque aux négociations secrètes sur la statut de Jérusalem, rien n’est moins sûr. Les deux parties étaient certes en désaccord sur presque tout, mais ils ne restaient pas moins passionnément engagés dans la cause de la paix, comme des cousins. 

Et pour quel résultat ?

Les négociations ont été portées au plus haut niveau par Yitzhak Rabin, Premier ministre israélien, Shimon Peres, ministre des Affaires étrangères israélien, et Yasser Arafat, Président du comité exécutif de l'OLP. L’assassinat, en 1995, de Yitzhak Rabin, restera comme l’un des grands tournants de la fin du XXe siècle. Il était le seul à pouvoir convaincre les Israéliens que rien ne valait la paix et qu’il fallait stopper la violence, d’un côté comme de l’autre. Plus rien n’a été pareil par la suite. Shimon Peres n’avait pas la même autorité car peu apprécié à l’époque par l’opinion publique, ne devenant le père de la Nation que 20 ans plus tard. Yasser Arafat, pour sa part, n’était pas prêt à davantage de compromis. 

Oslo a donc été une utopie qui aurait pu marcher, mais l’assassinat de Yitzhak Rabin a fait regresser ces accords à l’étape d’utopie, donnant directement lieu à l’élection de Benjamin Netanyahu et à l’exercice en Israël d’un pouvoir davantage nationaliste, religieux et aucunement prêt au compromis avec les Palestiniens. Cette situation n’a que peu évolué depuis.

Comment voyez-vous l'avenir du dialogue israélo-palestinien au vu des derniers développements que sont le transfert de l'ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, l’arrêt des fonds américains pour l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), la nouvelle loi en Israël faisant du pays un Etat officiellement juif, etc. ?

Les derniers développements de la politique américaine ont définitivement enterré les espoirs suscités par les accords d’Oslo. Ces accords étaient l’incarnation d’une croyance en une coexistence de deux Etats dans la paix, l’équilibre et l’harmonie, avec deux capitales situées à Jérusalem.

L’Amérique de Trump a contribué à rendre impossible la solution à deux Etats, rejoignant idéologiquement la politique de Benjamin Netanyahu et s’opposant frontalement à l’esprit des accords d‘Oslo. On peut dire que la politique actuelle des Etats-Unis ne fait que conforter une évolution étalée dans le temps, accompagnant la politique d’occupation israélienne, l’élargissement territorial ayant rendu caduque sinon extraordinairement difficile la solution à deux Etats. 

En réalité, le déclenchement de la deuxième intifada initiée en 2000 représente également l’échec de la gauche israélienne qui, quant à elle, croyait à la paix et s’est sentie trahie par cette seconde intifada. Le déséquilibre de plus en plus croissant des forces lié à la division du camp palestinien a également contribué à rendre la solution à deux Etats de plus en plus hypothétique. Le vague espoir qui restait a été aujourd’hui enterré par l’évolution de la politique américaine, totalement alignée sur les positions défendues par le gouvernement de Benjamin Netanyahu.

En réalité aujourd’hui, même si on ne le dit pas ouvertement, la solution à deux Etats n’existe plus

Pensez-vous que d'autres puissances telles que la France ou même la Russie ou la Turquie, voire l'Union européenne, pourraient prendre le relais des Etats-Unis, et mener de nouvelles négociations de paix ?

Malgré la relation très étroite qu’entretiennent les Etats-Unis avec Israël, d’autres pays jouent également un rôle auprès de l’Etat hébreu, au premier rang desquels la Russie. Vladimir Poutine et Benjamin Netanyahu ont en effet développé une relation de confiance qui se comprend d’autant mieux que leur proximité intellectuelle s’explique par leurs origines communes en Europe de l’Est. Cette proximité se double d’une vision commune, dans les réserves qui sont les leurs à l’égard de la démocratie, comme dans une croyance ferme en la loi du plus fort.

D’autres puissances asiatiques développent également leurs relations avec Israël, qu’il s’agisse de la Chine, de l’Inde ou même du Japon. Face à cette dynamique, le problème des Européens est qu’ils restent dépendants de cette partie du monde. Que ce soit pour des raisons géographiques, historiques ou encore démographiques, cette dépendance influence leur relation avec Israël tout comme leur inaction dans le conflit israélo-palestinien. 

D’un côté, les Palestiniens, trop déçus par de nombreuses promesses non-tenues, ne croient plus en Europe. De l’autre, les Israéliens originaires d’Europe, non seulement ne croient pas en l’Europe, mais ne voudraient pour rien au monde devoir dépendre à nouveau de ce continent pour leur sécurité. Le traumatisme est profond entre les juifs et l’Europe, qu’il s’agisse de la Shoah mais auparavant, des pogroms et de l’affaire Dreyfus. 

Si la majorité actuelle ne laissera aucun pays se substituer aux Etats-Unis dans la relation privilégiée avec Israël, c’est d’autant plus difficile pour un pays européen comme la France de se présenter comme une alternative crédible ou, a minima, un partenaire de confiance.

Il faut partir de l’idée que nous ne sommes pas là pour résoudre le conflit mais pour limiter les risques d’une éventuelle nouvelle hausse des violences et d’une instabilité accrue. Le printemps dernier pourtant, à la frontière de Gaza, les centaines de victimes palestiniennes n’ont pas provoqué, en retour, de mouvement similaire à une intifada. La fatigue et le désespoir semblent pour le moment l’emporter sur la volonté de révolte. A l’image d’un cancer qui se développerait sans qu’un traitement ne soit apporté, le conflit israélo-palestinien risque de s’envenimer, d’autant plus que les civils arabes israéliens sont, depuis la dernière loi sur l'Etat-nation, devenus des citoyens de seconde zone.

 

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