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23/11/2023

105e Congrès des Maires : communes de France en danger ? 

105e Congrès des Maires : communes de France en danger ? 
 Bruno Cautrès
Auteur
Chercheur au CNRS et au CEVIPOF

Le 105ème Congrès des maires, présidé par le maire LR de Cannes David Lisnard, s'achève aujourd'hui et a réuni plus de 10 000 élus locaux. On pourrait presque penser que, depuis L'arbre, le maire et la médiathèque, film d'Éric Rohmer en 1993, rien n'a changé : les maires sont toujours en première ligne pour arbitrer entre des projets concurrents et les mettre en œuvre, leur action, dont l’impact est immédiatement tangible, explique à la fois le ressentiment dont ils font l’objet et la confiance dont ils bénéficient. 

Pourtant, le contexte, marqué par un regain des agressions qu'ils subissent, un nombre de démissions inédit et l'absence du chef de l'État, se détériore et l'intitulé de ce congrès s’en fait l’échos : "Communes de France attaquées, République menacée". Tout un programme… 

Quelle inflexion David Lisnard, son président, a-t-il donnée à l'AMF ? Quels sont les attentes et les défis qui se jouent au niveau local, un des maillons essentiels de notre démocratie ? Comment les maires peuvent-ils répondre aux attentes dont ils font l'objet ? Sentiment d’abandon de l'État et demande de décentralisation, proximité et rejet, quelles conclusions tirer de ce Congrès des maires ? Analyse de Bruno Cautrès.

Quels sont les enjeux de ce congrès des maires ? Quelles sont les attentes des élus locaux et les difficultés principales sur lesquelles ils achoppent ? 

L'intitulé même du Congrès est très significatif : "Communes de France attaquées, République menacée" ! Alors que le Ministère de l’Intérieur fait état d’une hausse de 32 % des agressions contre les maires en 2022 (2.265 plaintes et signalements), les chiffres pour 2023 s’annoncent encore plus mauvais et l’on parle d’une hausse de 15 %. L’enquête conduite par le Cevipof pour l'AMF montre que 69 % des maires interrogés déclarent avoir déjà été victimes d'incivilités (+16 points par rapport à 2020), 39 % avoir subi injures et insultes (+10 points) et 27 % avoir été attaqués sur les réseaux sociaux (+7 points). Si les violences physiques restent rares, elles ont été spectaculaires, très choquantes, comme ce fut le cas lors de l’agression qu’a subie la famille et le domicile de Vincent Jeanbrun, le maire de L'Haÿ-les-Roses dans le contexte émeutier de l'été dernier suite à la mort tragique du jeune Nahel. Les maires ont été exposés et en première ligne aux côtés de l'État pour gérer cette crise et ses conséquences. 

C'est dans ce contexte que se tient cette année le congrès annuel de l'AMF mais aussi dans le contexte de maires inquiets de l’étau qui pèse sur eux : davantage d'attentes, de demandes, d'impatiences et d'exigences de la part des habitants de leurs communes et moins de moyens. Par ailleurs, on constate une relative crise des vocations pour exercer les fonctions de maire. Enfin, les intentions de l'État vis-à-vis du "millefeuille territorial" plongent les maires en plein perplexité. Ils ont le sentiment de ne pas voir clairement où veut aller le chef de l'État en matière de décentralisation et s’interrogent sur la "nouvelle étape de la décentralisation" qui a été évoquée plus d'une fois par le chef de l'État et très récemment lors du 65ème anniversaire de la Vème République. 

Quelle est la place des maires dans l'environnement politique français ? On considère souvent qu'ils occupent une place "à part", qui les rendrait invulnérables au climat de défiance qui touche le reste des élus. D'après le baromètre de la confiance du CEVIPOF, dans quelle mesure est-ce encore vrai aujourd'hui ? 

L'idée selon laquelle les maires seraient imperméables aux crises politiques est plus ou moins vraie. Depuis 15 ans que l’on mène cette enquête, le maire et le conseil municipal ont été largement en tête des classements, leur taux de confiance étant de 25 à 30 points supérieur à celui des élus nationaux, qu'il s’agisse des députés, sénateurs ou de la sphère du pouvoir national. Toutefois, comme les autres élus, les maires peuvent subir les effets du contexte général de défiance à l'encontre de la politique, que l’on a pu observer de manière flagrante au moment de la crise des gilets jaunes. En décembre 2018, les maires avaient perdu 10 points de confiance et, s'ils sont ensuite remontés et qu’ils demeurent en tête du classement, ils ne sont pas épargnés par la chute de la confiance.

On connaît davantage le maire, son parcours, sa personnalité (qui comptent souvent plus que son affiliation partisane) et surtout on peut évaluer très concrètement, plus immédiatement, l'impact des mesures qu'il a mises en place.

Plusieurs facteurs l'expliquent : la relation des administrés aux maires se nourrit du sentiment de proximité. On connaît davantage le maire, son parcours, sa personnalité (qui comptent souvent plus que son affiliation partisane) et surtout on peut évaluer très concrètement, plus immédiatement, l'impact des mesures qu'il a mises en place. Pour les autres hommes et femmes politiques qui détiennent un mandat exécutif, il est beaucoup plus difficile de vérifier ce qui a été fait ou non, de savoir où en est un dossier. C'est une des principales différences entre le personnel politique local et le national.

Au niveau local, il suffit de sortir de chez soi pour constater ou vérifier si les infrastructures promises ont été livrées : on peut compter les places supplémentaires de parking ou constater qu’une médiathèque a ouvert, on peut assister au conseil municipal ou lire dans la presse locale l’état d’avancement. De plus en plus de grandes villes permettent même de suivre en direct le conseil municipal en ligne. Cette dimension de proximité et de visibilité renforce sans doute le sentiment d'une action publique plus concrète et plus en prise avec la réalité, plus pragmatique et qui rend des comptes de manière plus simple à suivre. Cela ne veut pas dire que l'action publique municipale ne viserait qu'à la résolution de problèmes pratiques, elle porte également souvent des visions plus larges et politiques concernant les mobilités, les transports, la sécurité ou encore le logement ou l'urbanisme, la culture, l’écologie. La notion de "gouvernance territoriale" rend compte de la complexité de la tâche d'articuler l'action municipale avec l'enchevêtrement des autres niveaux de l'action publique. Mais même dans ce contexte plus compliqué qu'il ne paraît, la dimension de visibilité de l'action publique municipale et de mise en œuvre vérifiable reste présente dans l'évaluation qu'en font les habitants. 

À propos de cette dimension de proximité, il faut rappeler une donnée factuelle très importante de notre pays : près de 10 % de nos communes comptent moins de 100 habitants, près de 52 % moins de 500 habitants et près de 71 % moins de 1000 habitants. On ne compte que 290 communes de plus de 30.000 habitants. Il n'est donc pas très surprenant que les maires soient perçus comme des élus de proximité par de nombreux habitants des toutes ces petites et moyennes communes. On observe d'ailleurs, dans les données du Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF que, parmi les maires, ce sont les maires des communes rurales qui sont encore plus investis de confiance que les maires des grandes métropoles. 

Si l'on ne peut comparer terme à terme les élus locaux français, notamment les maires, avec leurs équivalents en Europe (les pouvoirs et les rôles des maires en France sont plus importants, voire nettement plus importants), nous avons cherché à savoir quelle confiance les Allemands, Italiens ou Britanniques avaient dans leurs élus locaux : si l'on observe la même tendance qu’en France (malgré les importants différences des rôles politiques des élus locaux dans ces pays), ce qui marque notre pays est l'ampleur de l'écart de confiance entre les élus locaux et les élus nationaux. Certains peuvent voir le verre à moitié vide : ne serait-ce pas alors plutôt la faible confiance dans les élus nationaux qui caractériserait la France plutôt que la forte confiance dans les élus locaux ? Quoi qu'il en soit, cette plus forte confiance dans les élus locaux, et en premier les maires, est une constante que nous observons en France depuis de nombreuses années. 

Rien ne garantit pour autant qu'il s'agisse d'une donnée figée dans le marbre. On peut se poser la question de la résilience de la confiance dans les maires dans un contexte où ils gagneraient davantage de pouvoirs et davantage d'autonomie : on imputerait alors plus directement aux maires, qui ont tellement demandé qu'on leur donne davantage de marge de manœuvre, les actions ou le cas échéant, inactions qu'on constaterait. Ils pourraient alors se trouver davantage exposés aux insatisfactions, voire aux colères des citoyens. Ils se trouvent pour l'instant dans un entre-deux qui est plutôt à leur avantage... On le constatera très rapidement pour le cas de communes qui ont augmenté les taxes foncières, comme Paris ou Grenoble. Il ne serait pas étonnant que ceux qui payent une taxe plus importante expriment des attentes supérieures à l’endroit des communes et des maires. 

Pourquoi est-ce que la violence envers les élus augmente et d’où provient-elle ? Comment comprendre le paradoxe entre la relative popularité des maires et le fait qu’ils soient les premières victimes des violences ? 

Il n'y a pas d'explication univoque. Ce processus complexe touche différents segments de la société et pas seulement les maires. L'enquête du Cevipof de 2023 montre que le pourcentage de maires qui se disent victimes de violence se fait l’échos de l’ensemble de la société. Les maires absorbent le choc d’un surcroît général de violence. 

L'accumulation de crises, de tensions liées à un monde global où tout semble pouvoir être remis en cause du jour au lendemain, diffuse dans la société un sentiment de vulnérabilité et de fragilité très important, qui va avec le sentiment d'une société française marquée par les injustices, les inégalités, des fractures territoriales, générationnelles, sociologiques que l'action publique ne parvient pas à résorber. Les inégalités socio-économiques massives sédimentent la société et génèrent une forte incompréhension. Bien que je n'adhère pas nécessairement à la thèse de Jérôme Fourquet, selon laquelle la société est désormais "archipélisée", le baromètre de la confiance politique du Cevipof donne des résultats inquiétants. 

À la question de savoir si la France est "une nation assez unie malgré ses différences" ou bien "un ensemble de communautés qui cohabitent les unes avec les autres", 53 % des Français répondaient par la première affirmation en 2021... Les conséquences en sont délétères : les intimidations se multiplient et dégénèrent en violences physiques, ce qui traduit une société extrêmement tendue, où les politiques sont l'objet de toutes les vindictes. Surtout, les agressions sont de plus en plus le fait de gens installés, intégrés, qui deviennent violents au prétexte du refus d'un permis de construire, d'une amende, d'une démarche non satisfaite, de l'application d’une nouvelle disposition ou loi. La détérioration est globale et elle est très inquiétante.

Les agressions sont de plus en plus le fait de gens installés, intégrés, qui deviennent violents au prétexte du refus d'un permis de construire, d'une amende, d'une démarche non satisfaite.

Si les maires ne sont pas les seuls élus à être victimes d’incivilités et d'agressions, ils sont en première ligne exposés à toutes ces tensions, colères et frustrations. 

Les violences à l'encontre des élus locaux ou des hommes et femmes politiques en général sont-elles une singularité française ? Quelles solutions peuvent être mises en place ? 

Cette négativité s'exprime dans toute l'Europe. Partout, des vagues de populismes abîment la politique, y compris dans des pays considérés comme des pays modèles en termes de comportement civique (Allemagne, pays du Nord...). Le cas de la France, néanmoins, demeure spécifique. Notre pays, en effet, confère à la politique une dimension presque "sacrée" ; le discours politique ne cesse de nous rappeler les bénéfices que nous retirons des vertus républicaines ; à travers ses grandes institutions (écoles et services publics), la France véhicule un fort narratif selon lequel elle transcende sa diversité dans un respect commun de la laïcité et des vertus républicaines.

Notre pays confère à la politique une dimension presque "sacrée" ; le discours politique ne cesse de nous rappeler les bénéfices que nous retirons des vertus républicaines.

Or, dans le même temps, l'école est porteuse d'une dualité : elle est l'élément clé de l'autonomisation vis-à-vis des destins assignés par le milieu social mais en même temps elle reproduit les inégalités. De même, le service public, qui a une vocation homogénéisante, semble de plus en plus difficile d'accès, les fractures territoriales sont là pour nous le rappeler. Le Baromètre des territoires qu'Elabe avait réalisé en partenariat avec l'Institut Montaigne et la SNCF en 2021 montrait le caractère massif des fractures sociologiques qui s’exprimaient à travers le rapport aux territoires et l'ampleur des dissensus français sur le sentiment de justice territoriale. 

Les citoyens ressentent durement cette tension entre l'expérience de la vie ordinaire et les idéaux que les élus sont censés incarner. La frustration générée par le décalage entre le récit et le réel peut entraîner des tensions, des incompréhensions voire des passages à l'acte. Aujourd'hui, donc, un tabou est tombé. Il fait néanmoins raison garder : les administrés sont, dans leur immense majorité, très respectueux des institutions et les déchaînements ou débordements d'incivilités et de violences sont rares même s'ils sont en augmentation et touchent davantage de serviteurs de l’action publique : élus, enseignants, personnels soignants, policiers. 

On ne se trompe pas en voulant agir sur les deux leviers fondamentaux de socialisation politique que sont la famille et l'école. C'est une série d’actions publiques inscrites sur un long terme qu'il faut mettre en œuvre et qui doivent mêler éducation civique, apprentissage du respect des autres et apprentissage des comportements de coopération et de réciprocité. Il s’agit là de guides pour la vie, de vecteurs de la confiance en soi, dans les autres et dans les formes de l'autorité. Il ne faut vouloir rejouer le match d'un retour à une "France d'avant", car nous ne sommes plus dans cette "France d'avant" mythifiée par certains politiques : il faudrait pouvoir mêler ces ressorts fondamentaux de la confiance et de l'apprentissage des rôles sociaux avec une démocratie locale et nationale qui tienne davantage compte des tendances des dernières décennies (demande de démocratie plus horizontale, qui rend davantage compte de son action). 

Il faudrait pouvoir mêler ces ressorts fondamentaux de la confiance et de l'apprentissage des rôles sociaux avec une démocratie locale et nationale qui tienne davantage compte des tendances des dernières décennies.

La fin du cumul des mandats a-t-elle introduit une rupture dans le lien entre les élus locaux et le reste des représentants politiques ? 

J'apporterai une réponse nuancée. Quand on compare la France avec les autres pays européens, on constate que la crise de confiance existe ailleurs, là où d'autres organisations territoriales ont cours, qu'il y ait ou non le cumul des mandats ou la complexité de notre maillage territorial. On voit donc que le non cumul des mandats n’empêche pas le reste et que faire du maire le vecteur d'une meilleure communication entre niveau local et national ne règlerait pas forcément le problème. N'oublions pas les excès du cumul des mandats que nous avons connus, donnant trop de pouvoir et trop de ressources aux bénéficiaires de ce cumul parfois excessif. 

L'enjeu démocratique serait peut-être plutôt de renouveler, de rajeunir, de féminiser les élus, de diversifier leurs trajectoires, et le réel problème réside peut-être davantage dans la crise des vocations politiques que dans le cumul des responsabilités. Pourquoi si peu de candidats et d’élus ont-ils entre 25 et 35 ans ? Comment faire pour que le système politique s'ouvre plus ? Lors de la crise des gilets jaunes, on a pu être frappé par le fait que des citoyens ordinaires, qui en temps normal n'auraient jamais eu accès à la parole publique, ait crevé l'écran. Il faudrait en tirer les conséquences. Le congrès des maires, d’ailleurs, a été ouvert par un hommage aux élus des outre-mers et c’est un très bon signe, mais c'est vrai que nos assemblées (à tous les niveaux) ne comptent pas assez d’élus issus des outre-mers par exemple, pas assez de jeunes non plus et de jeunes femmes en particulier. 

Il faut donc poser la question de la crise démocratique autrement que sous le seul prisme du cumul des mandats, qui a déjà largement eu le temps de montrer ses limites. Je ne dis pas que le cumul n'ait pas des avantages, par exemple lorsque cela permet de mieux porter au sein des assemblées nationales la parole des territoires. Mais nos députés et sénateurs sont déjà des élus de circonscriptions locales…

Quel regard portez-vous sur l'orientation politique de l'AMF sous la présidence de David Lisnard ainsi que sur son évolution ?

David Lisnard se situe tout d’abord dans le fil de son prédécesseur, avec une posture sans doute plus fortement exprimée, celle d’un défenseur des maires et bien sûr de tous les maires, et ce, même s’il existe parallèlement une Association des maires ruraux de France. L'AMF se pose traditionnellement en défenseuse du rôle des maires et se fait la porte-parole de leur insatisfaction vis-à-vis de l'État, dans un dialogue qui se veut ferme mais constructif. Si, traditionnellement, ce positionnement dénonce la complexité des rapports entre niveau local et national, les incohérences administratives, l'absurdité de normes et de règlements trop nombreux qui briment l'autonomie et l’esprit d'initiative des maires, cette thématique s’est exprimée encore davantage et plus fortement sous la présidence de David Lisnard. 

On retrouve là une position largement partagée à l'échelon local : André Laignel, le vice-président socialiste de l'AMF, s'inscrit dans ce mouvement qui transcende donc les appartenances politiques. La demande d’autonomie s’est accentuée ces dernières années avec la crise du Covid, qui a remis en exergue le rôle fondamental des élus locaux dans leur ensemble (maire, députés, présidents de région) pour impulser l’action publique dans la santé, l’éducation, accompagner les entreprises et la société civile dans cette période de grave crise. 

On peut clairement observer que le profil politique de David Lisnard rentre fortement en synergie avec ces thèmes. Ce sont les thématiques sur lesquelles il s’est toujours positionné. Il est assez clair d’ailleurs qu'il a voulu faire du congrès actuel de l'AMF une démonstration de force de l’importance des élus locaux : 10 000 participants, la présence de grandes personnalités politiques comme l'ancien Premier ministre Alain Juppé, des membres du gouvernement. S'il s'agit pour David Lisnard de rendre visible, aux yeux de l'opinion publique, le rôle des maires, ce n'est pas lui faire injure de dire qu'un autre objectif lui tient à cœur : se servir de la forte couverture médiatique du congrès pour susciter dans l'opinion l’intérêt pour sa démarche et à travers cela se faire mieux connaître, mieux faire connaître ses idées et le mouvement "Nouvelle énergie" qu’il a fondé, installer progressivement l'idée de sa candidature à la présidentielle.

Maire de Cannes très populaire, président réélu de l'AMF, porteur d'un discours de changement de paradigme sur les liens entre l'Etat et les collectivités territoriales, cela peut nourrir la narration d'une dynamique ascensionnelle vers la présidentielle.

Il bénéficie ainsi des dynamiques convergentes de ses responsabilités respectives, qui identifient progressivement son positionnement politique : maire de Cannes très populaire dans sa commune, président réélu de l'AMF, porteur d'un discours de changement de paradigme sur les liens entre l'État et les collectivités territoriales (les communes surtout), cela peut nourrir la narration d’une dynamique ascensionnelle vers la présidentielle et incarner une nouvelle offre politique. On voit alors que le discours de David Lisnard à la tribune de l'AMF porte en sous-main une vision politique plus personnelle, selon laquelle l'État, qui veut tout faire, fait trop, fait mal, et entrave les possibilités de créativités et d'expérimentations, au lieu de se concentrer sur son action régalienne.

La demande de plus de subsidiarité en faveur de l'échelon local fait ainsi affleurer l'idée d’un trop plein de dépenses publiques et de fonctionnaires dans les administrations centrales ainsi que le désir d’une révision du périmètre d'action de l'État. Une autre idée qui revient en force est celle d'un délitement de l'autorité de l'État, qui n'inspirerait plus de respect, idée qui revêt une dimension culturelle : l'État aurait perdu le sens commun, l'éparpillement de ses prises d’initiatives empêcherait toute action claire et diluerait les responsabilités, selon une lecture chère à la droite libérale. Il faut dire que les dernières années ont donné lieu à une série d’agressions physiques vis-à-vis d'élus locaux qui nous ont fait franchir un cap intolérable, attestant de ce délitement du respect des autorités publiques. Ce sont tous ces éléments qui donnent une forte cohérence au discours de David Lisnard à la fois maire, président des maires, mettant la proximité territoriale de l’action publique au cœur d’un projet politique présenté comme seule solution à la double crise de l'autorité et de l'efficacité de l'action publique. 

Comment interpréter l'absence d'Emmanuel Macron (officiellement en raison d'une contrainte d'agenda, une réunion du G20 à distance) ?

C'est en effet la deuxième année de suite que le président de la République est absent au congrès des maires et cela pose question, même si de nombreux membres du gouvernement sont présents. Il n'avait pas toujours été très bien accueilli mais cela avait été le cas pour ses prédécesseurs également. Si Emmanuel a reçu les maires à l'Elysée et leur a tenu un discours susceptible de répondre à une partie de leurs demandes (faciliter le recours à l'expérimentation locale et à la possibilité de déroger pour cela à certaines règles, statut de l'élu local, donner davantage de rôle aux préfets pour coordonner et conduire l'action publique au niveau local, repenser les modalités de la DGF), ce discours est très attendu dans ses actes. Si les maires trouvent que cela va plutôt dans la bonne direction, le positionnement du chef de l'État vis-à-vis d'une "nouvelle étape de la décentralisation" n'est toujours pas clarifié. Les élus locaux attendent aussi de voir ce qui va ressortir de la mission qui a été confiée à Eric Woerth de faire des propositions pour simplifier et clarifier notre "millefeuille territorial". 

Dans ce contexte, il est dommage que le chef de l'État n’ait pu se rendre au congrès de l'AMF, même si son agenda international et ses efforts pour libérer nos otages à Gaza requièrent une mobilisation totale. Néanmoins, les maires ont beaucoup de questions à lui poser et, symboliquement, la présence du chef de l'État devrait être un point de passage obligatoire, un rituel républicain et démocratique, auquel il est difficile de se soustraire car c’est le lien qui unit le centre politique de l'État, le gouvernement, à l'échelon local. 

Il ne faudrait pas non plus surinterpréter cette absence et l’attribuer à de mauvais rapports putatifs entre David Lisnard et Emmanuel Macron : le président de l'AMF a régulièrement été reçu à l'Élysée même si la relation entre les deux a connu quelques couacs. On pourrait également mettre cela en rapport avec le manque d’appétence du chef de l'État pour les corps intermédiaires ou les enjeux de décentralisation, avec sa culture de haut fonctionnaire qui est sa matrice intellectuelle et politique de départ. Mais, si c'était sans doute vrai durant son premier mandat, le Président de la République a appris à davantage faire avec les élus locaux depuis la crise des Gilets jaunes, même s'il ne vient pas de cette culture, n'ayant jamais été élu local. C'est sans doute un point faible du parcours politique fulgurant du chef de l'État que de jamais avoir été maire, ce qui lui aurait sans doute permis de mieux lire les signaux d'alerte qui existaient avant la crise des Gilets jaunes. Attendons de voir les futures annonces qui seront faites, tant vis-à-vis du "millefeuille territorial" que du point de vue du renforcement du rôle des maires qui, de leur côté, se sentent pris en étau entre davantage de demandes qui leur sont adressées et moins de ressources. Et attendons aussi de voir s'affirmer le projet politique de David Lisnard : le président des maires pourra-t'il aisément se transformer en candidat à la hauteur pour incarner le président de tous les territoires, de toutes les françaises et tous les Français ? La mutation d'une personnalité politique à forte légitimité locale en candidat à la fonction exécutive nationale suprême n'a rien d'évident. Mais cela est une autre histoire... 

Propos recueillis par Hortense Miginiac

 

Copyright : ALAIN JOCARD / AFP

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