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11/09/2019

Vers un Royaume (dés)Uni ?

Trois Questions à Amanda Sloat

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Vers un Royaume (dés)Uni ?
 Amanda Sloat
Senior Fellow de la Fondation Robert Bosch au sein de la Brookings Institution

La relation qu’entretient le Royaume-Uni avec l'Union européenne (UE) n'a jamais été sans accroc : le pays a toujours exprimé des réticences à l'égard des aspects supranationaux et technocratiques des traités européens. Bien que la majorité des débats tendent à se concentrer sur les houleuses négociations du divorce entre les deux parties, il ne fait pas de doute que le Brexit aura non seulement un impact sur l'Union européenne et ses fondements, mais il modifiera aussi, incontestablement, les dispositions constitutionnelles du Royaume-Uni. C’est cette idée qu’Amanda Sloat, Senior Fellow de la Fondation Robert Bosch au sein du programme de recherche de la Brookings Institution sur les Etats-Unis et l’Europe (Center on the United States and Europe), développe dans son rapport Divided Kingdom : How Brexit is remaking the UK's constitutional order. Elle nous partage ici son analyse à la lumière des récents événements qui ont eu lieu de l'autre côté de la Manche.


Le Premier ministre Boris Johnson a suscité une grande indignation, le 28 août dernier, en annonçant la suspension du Parlement britannique. Comment expliquez-vous que sa décision ait eu eu ces violentes répercussions sur l'opinion publique ?

La prorogation - ou la suspension - du Parlement britannique relève d’une procédure normale. Elle permet au gouvernement de mettre fin à une session parlementaire et d'en lancer une nouvelle. La plupart des sessions ont une durée de vie d’un an ; la session actuelle, débutée après les élections de juin 2017, a été la plus longue recensée depuis près de 400 ans. Boris Johnson, qui a remplacé Theresa May au poste de Premier ministre en juillet, a fait référence à son désir d’ainsi pouvoir annoncer son propre agenda politique. 

Ce qui a pu susciter l’indignation, ce sont davantage la durée, le moment et l'intention perçue de cette suspension. Les suspensions durent normalement une semaine - rarement plus de deux -, alors que celle annoncée par Boris Johnson s’étendra sur cinq semaines. Et elle a lieu au cœur de l’un des moments les plus sensibles de l'histoire britannique récente ; certains détracteurs vont jusqu’à suggérer que Boris Johnson avait l'intention de limiter le temps laissé au Parlement pour débattre du Brexit et ainsi l'empêcher de bloquer une sortie sans accord. Pourtant, dans les toutes dernières heures qui ont précédé sa suspension, le Parlement a adopté une loi poursuivant précisément cet objectif. Le Premier ministre britannique a, au cours du processus, perdu sa majorité gouvernementale, un député conservateur ayant fait défection et 21 autres ayant été expulsés pour avoir voté contre le gouvernement.

La mi-octobre sera cruciale, dans la mesure où le Parlement se réunira à nouveau le 14 octobre, quelques jours seulement avant la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre et avant la date-butoir (19 octobre) imposée par le Parlement au Premier ministre pour conclure un accord de sortie, obtenir l'approbation parlementaire nécessaire à une sortie sans accord ou demander une prolongation à l'UE.


De quelle manière appréhendez-vous le fait que le Brexit a pu remettre en cause et continuera d'affecter les accords de dévolution qui organisent le Royaume-Uni ?

Dans mon rapport, Divided Kingdom : How Brexit is remaking the UK's constitutional order, il y a cette affirmation selon laquelle le Brexit transformera, non pas une seule, mais bien deux "Unions", l'Union européenne d’une part et le Royaume-Uni d’autre part. Avec ces 62 % d’Écossais (sans distinction géographique, puisque dans tous les districts écossais, le "Remain" l’a emporté) qui ont voté pour rester dans l'Union européenne, le Brexit a ravivé le débat de l'indépendance écossaise. Bien que les électeurs écossais aient choisi, lors du référendum de 2014, de ne pas quitter le Royaume-Uni, le Brexit rend la situation qualitativement différente et pourrait faire basculer certaines opinions. 

L'Irlande du Nord a rarement été mentionnée lors de la campagne du référendum sur le Brexit de 2016, avec 56 % des électeurs préférant rester dans l'UE, mais elle est devenue l'obstacle majeur au parachèvement du divorce. Les débats sur le Brexit ont fait des ravages dans cette société post-conflit, où l'on s'accorde généralement à dire qu'une sortie sans accord serait porteuse de risques politiques, économiques et sécuritaires. L’exécutif fondé sur le partage du pouvoir, élément clé de l'Accord du Vendredi Saint [N.D.L.R. : ou accord de paix pour l’Irlande du Nord, signé en 1998], s'est effondré en janvier 2017 après un désaccord lié à un scandale local de corruption. Depuis, les multiples tentatives de rétablissement d’un gouvernement y ont échoué. Compte tenu de la complexité de l’hypothèse d’un Brexit sans accord, les responsables politiques londoniens ont évoqué la possibilité d’une administration directe de l'Irlande du Nord par le gouvernement britannique ("Direct Rule") pour en gérer les probables conséquences. Les dirigeants nationalistes irlandais en appellent de plus en plus régulièrement à un référendum dédié à la réunification de l’Irlande, en particulier dans l’hypothèse d’un Brexit sans accord qui impliquerait le rétablissement d’une frontière sur l'île.


En ce moment très précis, s'il devait y avoir un moyen d'éviter un Brexit sans accord, quel serait-il ?

Bien que le Parlement britannique n'ait pas réussi à s’accorder sur beaucoup de choses au sujet du Brexit, il a clairement exprimé son opposition à quitter l'UE sans un accord. Le "filet de sécurité" que constitue le cas nord-irlandais a longtemps été le principal obstacle au parachèvement de l'accord de retrait, entre autres craintes face au risque que cet accord enferme indéfiniment le Royaume-Uni dans l'union douanière de l'UE et entrave sa capacité à négocier des accords de libre-échange avec les États-Unis ou d'autres pays.

Une option actuellement débattue consiste à s’assurer que le "filet de sécurité" ne s'applique qu'à l'Irlande du Nord et non à l'ensemble du Royaume-Uni. C'était d’ailleurs la proposition initiale formulée par l'UE, mais la Première ministre de l'époque, Theresa May, avait alors demandé que le filet de sécurité s'applique à l'ensemble du Royaume-Uni, compte tenu des inquiétudes exprimées par le Parti unioniste démocratique (DUP) nord-irlandais quant à cette différence de traitement. À l'époque, le DUP soutenait le gouvernement minoritaire de Theresa May dans le cadre d'un accord de "soutien sans participation" (confidence-and-supply agreement) ; Boris Johnson ayant perdu sa majorité au pouvoir, les opinions de ce parti ont désormais moins de poids.

Autre solution, le Royaume-Uni pourrait invoquer l'article 50 et décider de ne pas quitter l'Union européenne.Cela ne pourrait probablement se produire qu’en cas d’élections antérieures à l’échéance du Brexit, entraînant la formation d'un nouveau gouvernement dirigé par les travaillistes ou une coalition de partis d'opposition, qui auraient ensuite organisé un référendum au résultat différent du précédent. 
 

Copyright : Tolga AKMEN / AFP

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