MIKKO HUOTARI
Vu de Berlin, les collaborations franco-allemandes sur plusieurs enjeux politiques cruciaux à l’égard de la Chine ont été, ces dernières années, couronnées de succès. Pensons par exemple à la coordination entre Paris et Berlin (et Rome) sur des questions comme le "statut d'économie de marché" de la Chine, les réformes des instruments de défense commerciale de l'UE qui en découlent, ou encore le cadre, récemment formalisé, de filtrage des investissements de l'UE. Le soutien des gouvernements allemand et français a également été essentiel pour le "repositionnement" plus affirmé et plus critique de la Commission européenne sur la Chine le mois dernier.
Les limites de cette convergence sont assez évidentes : la nature des relations économiques respectives de la France et de l’Allemagne avec la Chine mais aussi leur impact global sur les questions stratégiques restent différents et les priorités politiques divergeront en conséquence, par exemple sur la maîtrise des armements et sur l'Afrique. Paris et Berlin présenteront aussi des différences dans leurs préférences sur la question de savoir ce qui devra guider une politique européenne vis-à-vis de la Chine (un renforcement des institutions bruxelloises conditionné par Berlin, ou plutôt une avant-garde franco-allemande ?) ainsi que sur le rôle de la coordination transatlantique à cet égard. Enfin, Berlin et Paris ont tout simplement un long chemin à parcourir pour surmonter les limites de la coordination en matière de politique vis-à-vis de la Chine au-delà de leurs ministères des affaires étrangères respectifs et, dans une moins mesure, de leurs ministères de l’économie.
Quel a été l’impact de l'initiative prise par Emmanuel Macron d'inviter la chancelière Angela Merkel et le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker à Paris lors de la visite d'État de Xi Jinping ?
MATHIEU DUCHÂTEL
L'initiative française a envoyé un signal fort d'unité européenne à la Chine. Elle a permis que Xi Jinping soit directement impliqué dans des discussions de haut niveau portant sur un ensemble de priorités européennes clairement articulées autour du concept de réciprocité : la conclusion d'un traité bilatéral d'investissement comme moyen de rééquilibrer la relation des parties en la matière, une évolution dans la dynamique des transferts technologiques entre l'Europe et la Chine, l'accès aux marchés publics chinois, la volonté de travailler ensemble sur des projets d'infrastructure outre-mer mais sans réduire les normes européennes en matière de responsabilité environnementale et sociale, une demande claire pour contribuer davantage à la réduction des émissions de carbone. Cette initiative française a également mis en évidence le message de l'UE selon lequel la Chine est désormais considérée comme un "rival systémique" en Europe. Cette expression se veut être une réponse à la concurrence idéologique et systémique qu’oppose activement la Chine aux deux principales caractéristiques du modèle européen : l'économie de marché et la démocratie libérale. Cet aspect est frappant quand on regarde les discours de Xi Jinping et l’on ne saurait prétendre que la dimension de compétition idéologique n’existe pas - il faut donc saluer cette évolution vers un discours européen plus clair. Cependant, la portée de ce message risque d'être de courte durée. En outre, ce qui a été une démonstration de force sera interprété comme un signe de faiblesse si l'Allemagne ne rend pas la pareille.
MIKKO HUOTARI
À tout le moins, l'invitation à Paris a réussi à asseoir l’idée qu'une politique européenne à l'égard de la Chine exige des mesures extraordinaires. À cet égard, cette initiative peut être mise en parallèle avec les projets visant à organiser une réunion plénière à 27 Etats-membres avec la Chine, sous l’égide de la présidence allemande du Conseil en 2020. Cette approche commune cohérente à Paris a également permis de transmettre quelques messages essentiels aux homologues chinois :
- les principaux pays européens sont en train de réévaluer, dans leurs relations avec la Chine, l'équilibre entre les opportunités qu’elle offre et les défis qu’elle porte (en train de "devenir moins naïfs") ;
- il n'est pas facile de diviser le "noyau dur de l'Europe" sur les enjeux de la politique à l’égard de la Chine ;
- Paris et Berlin soutiennent la nouvelle ligne de la Commission en formulant des demandes plus claires à l'égard de la Chine et exigent de cette dernière qu’elle remplisse ses "devoirs" pour faire face aux distorsions de marché qui persistent.
Eu égard à l’accent mis sur le multilatéralisme et au ton relativement coopératif adopté lors des déclarations publiques, il est cependant moins évident de savoir si la rencontre quadripartite était également destinée à signaler à Washington que l’UE et la Chine peuvent et vont travailler ensemble en dépit du refus américain. Certains commentateurs berlinois, méfiants, vont même jusqu’à dire que l’invitation française a permis à Emmanuel Macron d’éviter de donner l’impression qu’il était plutôt favorable à des accords spéciaux avec la Chine et qu’il allait gâcher un agenda européen fraîchement formulé. Plus important encore, la réunion a nourri une certaine méfiance au sein d'autres États membres, face à la possibilité que la France et l'Allemagne fassent pression en faveur d'un nouvel agenda politique européen reflétant principalement leurs propres intérêts.
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