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24/04/2019

Un nouveau traité transatlantique avec les Etats-Unis ?

Trois questions à Elvire Fabry

Un nouveau traité transatlantique avec les Etats-Unis ?
 Elvire Fabry
Chercheur senior à l’Institut Jacques Delors

Le 15 avril 2019, le Conseil européen a approuvé la réouverture des négociations avec les États-Unis pour un traité transatlantique. Seule la France a voté contre, considérant qu’elle ne peut négocier avec un pays qui ne respecte pas l’Accord de Paris sur le climat. Comment ce vote peut-il nous éclairer sur la politique commerciale de l’Union européenne ? Quelles différences y a-t-il entre ce nouveau traité et le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, discuté depuis 2013 ? Elvire Fabry, chercheur senior, responsable de la politique commerciale à l’Institut Jacques Delors, répond à nos questions. 

Les négociations pour un traité transatlantique ont repris. Comment en est-on arrivés là et en quoi le possible accord final différera-t-il de ce qui était prévu dans les négociations pour le TAFTA ?

En s’accordant avec Donald Trump, le 25 juillet 2018 dernier, sur l’engagement de discussions visant à faciliter le commerce transatlantique, Jean-Claude Juncker obtient une trêve dans l’escalade de mesures de rétorsions commerciales entre les deux partenaires, américain et européen. 

On le sait, l’une des obsessions du président américain depuis son arrivée à la Maison Blanche est de réduire le déficit commercial américain dans le secteur des biens, qui a atteint 736 milliards de dollars fin 2016. Si la plus grosse part de ce déficit concerne d’abord la Chine, il est de 147 milliards de dollars avec l’Union européenne (UE) qui reste le premier partenaire commercial des États-Unis pour les biens.

L’application, dès le 8 mars 2018, de droits de douanes de 25 % sur les importations d’acier et de 10 % sur les importations d’aluminium, sans exemption pour les Européens [...] appelle une riposte proportionnée des Européens.

L’approche de Trump est unilatérale et protectionniste, fondée sur la renégociation des accords bilatéraux et des droits de douanes punitifs qui ciblent certains produits. L’application, dès le 8 mars 2018, de droits de douanes de 25 % sur les importations d’acier et de 10 % sur les importations d’aluminium, sans exemption pour les Européens, comme en ont bénéficié d’autres partenaires stratégiques comme le Canada et le Mexique, appelle une riposte proportionnée des Européens : l’UE impose à son tour des droits de douanes sur des importations américaines ciblées à hauteur de 2,8 milliards d’euros. 

La décision de relancer des négociations commerciales transatlantiques vise donc à éviter que Trump n’applique sa menace d’une augmentation de 20 % des droits de douanes sur les importations d’automobiles et de pièces détachées, alors que les États-Unis représentent 30 % des exportations européennes de voiture (en valeur).

Les Européens se sont ainsi maintenant accordés sur deux mandats de négociation qui visent à supprimer les droits de douanes résiduels sur tout le secteur industriel et un accord sur l'évaluation de la conformité, destiné à éliminer les obstacles non-tarifaires et permettre aux entreprises de prouver plus facilement que leurs produits satisfont aux exigences techniques tant de l'UE que des États-Unis, tout en préservant le niveau élevé des normes de précaution européennes.

Les Européens se sont catégoriquement refusés à inclure le secteur agricole comme le souhaite Washington. La portée de l’accord visé n’est donc pas du tout comparable au projet de TAFTA, qui portait notamment aussi sur les marchés publics, les services et toute une série d’enjeux réglementaires, y compris en matière de propriété intellectuelle et d’investissement. Il ne s’agit que d’une négociation parcellaire dont les termes avaient d’ailleurs déjà été bien explorés dans les premières phases de négociation du TAFTA et qui était la phase la plus facile des négociations. 

Cette ouverture pour de nouvelles négociations entre les États-Unis et l’UE donne l’impression d’une Europe qui cède sous la menace. Partagez-vous cette analyse ?

Je parlerais plutôt d’une stratégie visant à mettre en place un pare-feu qui protège les intérêts européens et à orienter la pression de Washington sur une réforme des règles multilatérales qui permettrait de s’attaquer aux distorsions commerciales chinoises. 

L’Union européenne a assorti les mandats de négociation de deux conditions très restrictives : l’application de droits de douanes supplémentaires sur le secteur automobile suspendrait les négociations et l’accord final ne pourrait être voté sans annulation des droits de douanes sur l’acier et l’aluminium. L’objectif est donc clair. 

Par ailleurs, les bénéfices pour le secteur industriel européen sont importants, puisqu’ils sont évalués à 27 milliards d’euros d’ici 2033, et 26 milliards pour les États-Unis.

Enfin, il faut resituer cette décision dans le contexte plus global d’un commerce international mis sous tension par la nouvelle politique commerciale américaine et d’un risque de surenchère dans les mesures réciproques de rétorsion. À la nouvelle annonce d’une imposition des importations européennes à hauteur de 9,7 milliards d’euros en compensation de subventions européennes en faveur d'Airbus, les Européens viennent d’annoncer qu’ils appliqueraient à leur tour une imposition des importations américaines à hauteur de 20 milliards d’euros en compensation de subventions américaines en faveur de Boeing. L’Europe se défend activement des attaques unilatérales de Washington, tout en s’efforçant de ramener les États-Unis à un agenda positif de commerce encadré par des règles multilatérales.

Les Européens viennent d’annoncer qu’ils appliqueraient à leur tour une imposition des importations américaines à hauteur de 20 milliards d’euros en compensation de subventions américaines en faveur de Boeing.

Un problème structurel du déficit américain vient notamment des distorsions commerciales chinoises, en commençant par l’opacité des subventions chinoises aux entreprises d'État. Les Européens poursuivent ainsi activement les discussions trilatérales qu’ils ont engagées avec les États-Unis et le Japon pour obtenir des membres de l’OMC une meilleure notification des subventions, renforcer les règles multilatérales qui encadrent les subventions et contraindre la Chine à abandonner sa politique de transferts de technologie forcés. La pression exercée par Bruxelles lors du Sommet UE-Chine du 9 avril dernier va également dans ce sens, pour exiger que Pékin revienne sur ces distorsions et soutienne une réforme des règles de l’OMC, sans quoi des mesures défensives de l’UE restreindraient l’accès au marché unique aux importations chinoises, à un moment où l’accès au marché américain leur est déjà limité. Il faut, à mon sens, saluer cette approche ferme et équilibrée de Bruxelles qui tente de ramener à la fois Washington et Pékin à la table des négociations de l’OMC. Mais pour que l’engagement de Pékin à soutenir ces réformes se traduise par des concrétisations précises sur un agenda court, il faut conforter cette cohésion européenne vis-à-vis de la Chine – cohésion fragile, mais dont l’adoption du mécanisme européen de contrôle des investissements étrangers est une première étape significative, et qui serait utilement renforcée par la mise en œuvre des propositions de la Commission du 12 mars dernier dans sa communication "UE-China : a strategic outlook".

La France a été la seule à voter contre une ouverture des négociations, estimant que l’UE ne devait pas négocier avec un pays qui s’est retiré des accords climatiques. Qu’est-ce que cela dit de la position française au sein de l’UE, qui avait d’ailleurs comme obligation d’aligner toutes ses politiques sur les objectifs établis par l’Accord de Paris ?

La position de la France ne pouvait pas donner lieu à un véto puisqu’il s’agissait d’un vote à la majorité qualifiée. Elle a d’autant plus surpris les partenaires européens que c’est la première fois qu’un mandat de négociation n’était pas voté à l’unanimité, à un moment où, comme on vient de le voir, la cohésion des Européens est plus que jamais requise. L’Allemagne se montre particulièrement réactive sur cet enjeu puisqu’elle est plus spécifiquement ciblée par la menace de droits de douanes sur l’automobile et qu’elle a soutenu la France dans l’exclusion de l’agriculture des négociations.

Par ailleurs, il faut garder à l’esprit l’échéance à court terme, d’ici décembre 2019, d’un blocage de l’organe d’appel du mécanisme de règlement des différends de l’OMC, si les États-Unis persistent à bloquer la nomination de nouveaux juges. Le risque d’une guerre commerciale plus vive encore pousserait aujourd’hui à souligner que la négociation transatlantique ne mènerait qu’à un accord sectoriel, sans la portée des accords de commerce de nouvelle génération qui ne doivent désormais être signés qu’avec des pays signataires de l’Accord de Paris.

Enfin, la persistance de Washington à vouloir inclure l’agriculture avant d’engager les négociations permet encore de douter de la possibilité d’un accord et que l’on ait in fine à se poser la question d’un véto français au sein du Conseil.

Néanmoins, la position de la France est également un rappel de la priorité qui doit être accordée au multilatéral et du besoin de trouver plus de cohérence entre la politique commerciale européenne et la lutte contre le changement climatique. À court terme, en amont des élections européennes, cela permet à Emmanuel Macron de donner de la visibilité à la cohérence du programme de LREM. Les efforts engagés à l’échelle de l’UE pour réduire les émissions de gaz à effet de serre n’auront encore qu’un impact limité dans la lutte contre le changement climatique qui, par définition, est un enjeu global. Plutôt que d’opposer commerce et lutte contre le changement climatique, il s’agit aujourd’hui d’assurer la promotion des normes européennes de développement durable à travers les négociations commerciales de l’UE de façon à pouvoir aussi faire évoluer les modes de production des partenaires commerciaux. C’est la ligne défendue par son gouvernement depuis 2017 et que reprend le rapport sur la mise en œuvre du CETA. C’est donc également un signal que la France souhaite voir figurer cet enjeu parmi les priorités de la prochaine Commission.

 

Copyright : SAUL LOEB / AFP

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