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19/04/2018

Projet de loi asile et immigration : “Le texte n’est ni complètement positif, ni globalement négatif”, trois questions à Jean-Paul Tran Thiet

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Projet de loi asile et immigration : “Le texte n’est ni complètement positif, ni globalement négatif”, trois questions à Jean-Paul Tran Thiet
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Jean-Paul Tran Thiet, avocat et contributeur régulier de l’Institut Montaigne, nous livre ici son analyse du projet de loi actuellement présenté par le gouvernement. 

Quelle est votre appréciation globale du projet de loi asile et immigration présenté ces jours-ci ?

Sans entrer dans le détail des dispositions de ce projet, on peut formuler trois remarques sur son contenu :

  • Tout d’abord, il établit un lien fort opportun entre la politique du droit d'asile et la politique migratoire. L’une ne peut pas se penser sans l’autre ; c'est parce que la plupart de nos pays affiche, sans pouvoir y parvenir au demeurant, un objectif "immigration zéro" que les guichets du droit d'asile sont engorgés, utilisés qu’ils sont par des personnes qui n'en relèvent pas, mais n'ont pas d'autre possibilité d’entrer sur notre territoire.
     
  • Le texte n’est ni complètement positif, ni globalement négatif et comporte des avancées bienvenues, en matière de réduction des délais d’instruction des dossiers. D’autres sont inutilement provocatrices, sans apporter d’amélioration significative à l’efficacité de l’action. Croit-on que réduire de 15 jours les délais de recours améliorera sensiblement la situation ?
     
  • La dimension européenne n’est pas suffisamment présente. À l’heure de l’ouverture des frontières et de la solidarité de nos économies, on ne peut certainement pas prétendre réaliser "la révolution dans un seul pays", pour reprendre une formulation prêtée à Boukharine. La politique du droit d’asile, comme la politique migratoire doivent être définies et appliquées au niveau européen, en tenant compte de nos prévisions démographiques et de nos perspectives de développement économique, dans le respect de notre devoir de solidarité internationale et de notre tradition humaniste. 

Dans quel contexte européen s’inscrit cette initiative nationale ? 

L’Europe a mis en place des mécanismes qui n’ont jamais bien fonctionné et ne fonctionnent plus du tout aujourd’hui. Une réforme est absolument indispensable.
 
Le règlement de Dublin, qui perpétue les accords conclus dans le cadre de Schengen il y a près de 35 ans, n’est plus adapté à la situation actuelle. On ne peut plus se contenter de laisser la responsabilité de la gestion de la plupart des demandes d’asile au pays de première entrée, c’est-à-dire principalement à l’Italie, la Grèce et demain l’Espagne.
 
En outre, en l’absence de toute harmonisation des pratiques des autorités nationales, un même candidat à l'asile peut voir ses chances d'être accepté évoluer de 5 % à 75 %, selon le pays de l'Union auquel il s'adresse. Les droits accordés aux demandeurs ne sont eux-mêmes pas unifiés, ce qui crée des phénomènes de surenchère. Comme en toute matière, la solidité d’un chaîne dépend de son maillon le plus faible et refuser une action commune de l’Europe, au nom de la souveraineté nationale ne conduit qu’à se résigner à une perte de souveraineté, puisqu’on laisse d’autres pays décider à notre place, en fonction de leur politique de visas ou d’octroi du droit d’asile.
 
L’Institut Montaigne et Terra Nova travaillent actuellement à la préparation d’un rapport commun qui comportera des propositions d’action pour que cette réforme du droit d’asile en Europe puisse être une réussite. Nous en reparlerons donc dans quelques semaines.

La stratégie de la France en matière migratoire vous paraît-elle à la hauteur des défis d’aujourd’hui et demain ? 

Non, pour trois raisons au moins :

  • Cette stratégie n’est pas réellement pensée, mais largement subie. Une réflexion doit s’ouvrir sans tabou sur l’évolution à moyen terme des phénomènes migratoires, qu’ils soient causés par des conflits armés, des phénomènes climatiques ou les mauvaises perspectives de vie des populations. Cette réflexion doit prendre en compte les évolutions démographiques et économiques des pays les plus favorisés, pour qu’ils intègrent ces phénomènes migratoires dans leurs prévisions de développement. À demeurer aveugles et sourds, nous nous préparerions à des déséquilibres qui pourraient mettre en cause la stabilité du monde. D’un point de vue plus politique et philosophique, comment expliquerons-nous à nos petits-enfants que la globalisation que nous avons organisée ou acceptée a permis d’ouvrir le monde à la libre circulation des capitaux, des marchandises, des services, des idées et des images, sans qu’à aucun moment nous ne nous soyons interrogés sur le concept de libre circulation des hommes ? Je crains que, dans deux siècles, on ne nous voie avec le même regard que celui que nous portons sur les esclavagistes des XVIIIème et XIXème siècles.
     
  • Elle conduit à des réactions plus qu’à des actions et leur efficacité est douteuse. Pour conserver leur efficacité et leur acceptabilité, nos politiques du droit d'asile et de l'immigration doivent s'accompagner de mesures effectives permettant l’instruction rapide des dossiers, l’accompagnement effectif de ceux qui sont acceptés et le retour dans leur pays d’origine pour les personnes qui ne pourront bénéficier ni de l'asile, ni d’un droit à l’immigration légale. À défaut, aucune de nos politiques ne fonctionnera et nous multiplierons les réseaux clandestins de passeurs qui se nourrissent de la misère du monde.
     
  • Certaines de ses dimensions ne me paraissent pas en accord avec la tradition française du respect des droits humains. D’abord parce qu’on utilise, dans le débat public, des termes clairement inacceptables (invasion, submersion, etc.) qui font oublier que l’on parle d’êtres humains, avec leurs drames, leurs parcours et leurs aspirations. Ensuite, parce que nous nous révélons incapables, en pratique, de traiter de façon digne et respectueuse les demandeurs d'asile et les candidats à l'immigration légale. Lacérer des tentes et des duvets, en plein cœur de l’hiver, n’est pas la conception que j’ai de la France. Ces femmes et ces hommes doivent bénéficier de notre protection, pendant la durée d'examen de leur dossier et après la décision finale, qu'il s'agisse d'accompagner une installation autorisée ou d'exécuter une mesure d'éloignement. Dans ce cadre, mon opinion personnelle est que l'accès à la dignité suppose un accès rapide à l'emploi, même pendant la procédure d'instruction de la demande, car c'est la condition sine qua non d'une vie décente, hors des ghettos ou de la rue ; cet accès à l'emploi ne devrait pas être différé au-delà de trois mois.
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