La dimension politique des minibots est limpide : si, une fois ces titres de dette émis par le Trésor, qui pourrait les renouveler à échéance, se formait un marché secondaire, l’objectif des eurosceptiques italiens, formalisé par Claudio Borghi, se réaliserait. Non seulement l’État pourrait dépenser plus sans officiellement augmenter sa dette (c’est ce que l’on prétend du côté des partisans d’une monnaie fiscale, bien que je doute fort qu’Eurostat l’entende de cette oreille) mais surtout, une quasi-monnaie commencerait à circuler, ce qui faciliterait la transition en cas de sortie de l’euro, selon M. Borghi. Nul besoin d’insister pour comprendre qu’un tel marché serait totalement inacceptable pour la Banque Centrale Européenne et les partenaires de l’Italie. Comme l’a expliqué de façon lumineuse Mario Draghi à sa conférence de presse du 6 juin : "soit les minibots sont une monnaie et sont alors illégaux, soit ce sont des titres de dette, et ils viennent alors augmenter la dette de l’État".
Comment se fait-il que la Chambre italienne ait pu voter à l’unanimité une motion comportant un élément aussi sulfureux ?
Cela dépasse l’entendement, il faut bien le reconnaître, au point que Lorenzo Bini-Smaghi, président de la Société Générale et ancien membre du directoire de la BCE, l’a dans un premier temps qualifié de "comédie malheureuse", avant de demander qu’on cesse "les provocations". Dans sa tentative de défense du vote, le conseiller économique et député du Parti Démocrate, Luigi Marattin, explique que le Parti Démocrate a accepté la demande des partis de la coalition au pouvoir d’introduire l’idée des minibots (littéralement "bons du trésor de petite taille adossés sur des dettes commerciales des administrations") dans la motion pour qu’elle puisse être votée à l’unanimité, que cela avait été une erreur et que le sujet était clos.
Admettons. Le Ministère des Finances a en effet immédiatement réagi en niant toute intention d’émettre des minibots. Mais, de mon point de vue, l’histoire ne s’arrête pas là, et le sujet n’est pas vraiment l’émission de minibots, qui serait effectivement proche d’une déclaration de guerre monétaire entre l’Italie et ses partenaires.
La véritable dimension politique de la "malheureuse" motion Baldelli est qu’elle montre que la coalition au pouvoir est disposée à exercer un chantage à la sortie de l’euro, un événement qui déclencherait un tsunami financier et économique en Europe, pour obtenir des concessions de ses partenaires. Face à une Commission en fin de vie, à une Allemagne dont la coalition au pouvoir est fragilisée par le résultat des élections européennes, on doit estimer au sein de la Ligue de Matteo Salvini – grand vainqueur des mêmes élections – que les temps sont mûrs pour avancer son agenda, y compris, peut-être, d’aller vers des élections anticipées.
Mais sur le fond, où en est l’Italie et comment peut-elle s’en sortir ?
L’Italie est aujourd’hui prise dans un cercle vicieux. Les doutes sur l’intégrité de sa dette ont fait monter les taux d’intérêt bien au-dessus de son taux de croissance (2,5 % pour le taux à 10 ans pour une croissance nominale de 0,7 %), ce qui crée un dilemme de politique budgétaire : soit ignorer les règles de l’Union en adoptant une politique stimulante à la Donald Trump et risquer une crise politique et financière, soit continuer à maintenir un excédent primaire (hors charge d’intérêt) de 2 % du PIB de façon à empêcher la dette de s’envoler, se privant alors des moyens budgétaires nécessaires à la coalition pour atteindre ses objectifs – baisse d’impôts pour la Ligue, dépenses sociales pour Cinq Étoiles.
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