L’État total
Cette nouvelle définition de l’État englobant la totalité des aspects de la vie s’inspire de la notion d’"État total" théorisée dans les années 1930 par Carl Schmitt. Selon ce juriste et philosophe allemand proche du parti national-socialiste, pour assurer le bien-être du plus grand nombre, le processus d’élargissement du périmètre de compétences de l’État a provoqué, au 20e siècle, une confusion entre l’État et l’économie qui a finit par affaiblir l’État en diluant sa puissance dans l’État-providence, perméable aux pressions subalternes d’une multitude de groupes d’intérêts.
Pour rompre avec cet enchevêtrement, il faudrait rétablir un "État total au sens de la qualité et de l’énergie politique". Autrement dit, pour libérer l’économie d’une dépense publique excessive, de la législation sociale qui l’entrave et de l’interventionnisme de l’État, il faudrait autre chose que l’État minimal et neutre que prône le libéralisme. Il faudrait en quelque sorte avoir plus d’État. Seul un État qui concentre entre ses mains toute la puissance de la technique moderne et des instruments de communication de masse lui permettant de contrôler les corps et les esprits, peut parvenir à faire taire en son sein les forces subversives. Pour cela, il faudrait revenir sur certains droits fondamentaux et conceptions libérales traditionnelles, notamment la liberté de la presse, le gouvernement par discussion et l’égalité de tous devant la loi. Enfin, Schmitt insiste, avec la notion d'"État d’urgence économique", sur la nécessité de concentrer, entre les mains de l’exécutif, la décision publique en matière économique.
Le renforcement du rôle de l’État passe par un affaiblissement structurel des contre-pouvoirs, principalement les médias et la justice, dont le rôle est d’empiéter sur le pouvoir de l’État. Pour cela, les démocraties illibérales utilisent les moyens légaux, en réformant la loi et en utilisant les mécanismes du marché. Pour réduire l’indépendance de la presse, les gouvernements du PiS et du Fidesz réécrivent la loi. En Pologne, la Petite loi sur les médias (2015) a retiré au Conseil national de la radio et de la télévision le pouvoir de nommer les directeurs des médias publics pour le donner au gouvernement. La Grande loi sur les médias (2016) a instauré l’autorité du Conseil national des médias qui a le droit de nommer et de destituer les membres des conseils d’administration des médias publics, mettant de facto fin à l’indépendance des médias publics.
Une autre technique consiste à privilégier certains médias au détriment des autres, par des politiques de subventions publiques. Dans une situation où les médias sont soumis à une concurrence féroce, les déséquilibres économiques que cela engendre peuvent s’avérer fatals pour la survie de certains. En Hongrie, les politiques de subventions de l’État aux médias entraînent la disparition pure et simple de certains titres de l’opposition, dont le principal quotidien de gauche Népszabadság, en 2016, ou Index, en 2020. Aujourd’hui, près de 90 % des médias publics et privés appartiennent au Fidesz et aux oligarques proches du gouvernement. En Pologne, les médias publics sont ainsi devenus, dès l’arrivée du PiS au pouvoir, des instruments de propagande, sans aucune considération d’équilibre ou d’éthique.
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