Enfin, au sens plus large, les spécificités culturelles et comportementales des populations des pays de l’Europe centrale ont également contribué à contenir la propagation du virus. Une part importante des populations ont réduit considérablement les déplacements avant même la mise en place du confinement, constatant l’évolution de la situation en Europe occidentale. Selon les données de géolocalisation de Google, l’utilisation des transports en commun a baissé de près de 60 % et les déplacements pour le travail ont diminué de 40 %. Le port du masque a été généralisé très rapidement et la distanciation sociale est traditionnellement plus importante en Europe centrale qu’en Europe occidentale ou méridionale. Enfin, la part des populations rurales, traditionnellement moins mobiles et ayant moins d’interactions, est plus importante dans ces pays qu’à l’ouest du continent (40 % en Pologne, contre 22 % en Allemagne, 19 % en France et 16 % au Royaume-Uni).
Ce bilan positif est l’une des principales raisons pour lesquelles les populations se montrent très satisfaites de la gestion de la crise par les autorités : le 10 mars, 52,5 % de Polonais considèrent que le gouvernement gère la crise très bien ou plutôt bien, tandis que seulement 22,6 % expriment des opinions négatives. Fin mars, le ministre de la Santé, Łukasz Szumowski, cardiologue et professeur de médecine, se trouve en troisième position des personnalités politiques les plus populaires, après le président Andrzej Duda et le Premier ministre Mateusz Morawiecki.
Le Covid-19 et la crise du secteur hospitalier
La radicalité des mesures adoptées par le gouvernement polonais peut être interprétée comme le signe d’une prise de conscience précoce de la gravité de la pandémie. Mais c’est probablement en partie également une forme d’aveu d’incapacité des services de l’État à prendre en charge de manière efficace les personnes contaminées. Le secteur de la santé polonais souffre en effet d’un sous-investissement chronique : en 2018, les dépenses de santé publiques et privées représentent selon l’OCDE seulement 6,3 % du PIB du pays, contre 8,8 % en Italie et 11,2 % en Allemagne et en France. Le pays dispose d'environ 10 000 respirateurs et de 4,85 lits en soins intensifs pour 1 000 habitants, soit plus que la France (3,09 ‰) mais moins que la Belgique (4,98 ‰) ou l’Allemagne (6,02 ‰). Les bas salaires et les mauvaises conditions de travail, à l’origine de plusieurs grandes grèves du personnel hospitalier ces dernières années, ont poussé de nombreux médecins et infirmières à émigrer au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suisse ou dans les pays scandinaves. De nombreux hôpitaux polonais ont ainsi été contraint ces dernières années de fermer des services entiers, en partie en raison de l’impossibilité de pourvoir des postes. La pénurie du personnel médical et le sous-investissement hospitalier se sont ainsi avérés être un lourd handicap en période de crise du coronavirus. Selon le ministère de la Santé, près d’un tiers de contaminations seraient occasionnées par des contacts dans un hôpital ou une clinique, au contact d’autres patients ou du personnel médical.
L’impact économique de la crise sanitaire
L'épidémie de Covid-19 aura un impact considérable sur l'économie polonaise. Selon les scénarios, la croissance du PIB devrait osciller entre 1,7 % et -10,7 %, et le chômage entre 5,4 % et 10,2 %. L'économie polonaise pourrait ne pas sortir de la crise avant 2021. Compte tenu du fait que moins de 30 % des Polonais épargnent de l’argent et qu’un quart des travailleurs – l’un des taux les plus élevés d’UE – sont embauchés sous des formes flexibles (auto-entrepreneurs, contrats à la tâche ou à la pièce) et ne bénéficient pas d’assurance chômage, l’impact économique de la crise pourrait remettre en question la popularité du gouvernement.
L’affaiblissement de l’état de droit
Enfin, la crise du Covid-19 s’est avérée être une opportunité pour le gouvernement polonais pour tenter de faire passer en force certaines lois controversées et de mettre Andrzej Duda, le président sortant et candidat à sa réélection, en position de force.
La loi d’exception adoptée par le gouvernement le 2 mars pour se préparer à la gestion de la crise du Covid-19 a été très vite qualifiée de liberticide, donnant aux autorités un pouvoir arbitraire sans contrôle d’un tribunal administratif. En plus, selon certains observateurs, la loi établissait de facto un état d’urgence de 180 jours, alors que la constitution polonaise définit déjà le cadre d’un état d'urgence (excluant notamment la tenue d’élections) et limite sa durée à 90 jours.
Le 16 avril, le parlement polonais, dominé par les conservateurs nationalistes de Droit et Justice (PiS), a réexaminé le projet de loi "Stoppons l’avortement". Alors que le droit à l’IVG est déjà très restrictif en Pologne – il est autorisé seulement en cas de danger pour la santé de la mère, d’inceste, de viol et de sévères malformations du foetus –, le projet de loi, initié par l’Institut Ordo Iuris, proche du PiS, propose de supprimer la malformation du foetus des conditions ouvrant accès à l’avortement. Compte tenu du fait que cette condition constitue 95 % des IVG pratiquées dans le pays, une telle modification de la loi reviendrait à proscrire l’IVG dans le pays. Malgré l'interdiction des rassemblements liée au coronavirus, les mouvements de femmes ont organisé des manifestations à proximité du parlement, formant une longue file d’attente devant une épicerie et affichant des banderoles et des panneaux avec leurs slogans. Le contexte exceptionnel lié à l'épidémie du Covid-19 et les protestations ont amené les députés à refuser de se prononcer sur cette proposition et à la renvoyer en commission jusqu'à nouvel ordre. Par la même occasion, le parlement a renvoyé en commission deux autres projets de loi controversés. Le premier proposait de pénaliser la propagation publique des rapports sexuels entre mineurs. Il est considéré par ses critiques comme visant à interdire les cours d’éducation sexuelle dans les écoles. L’autre visait à bloquer d’éventuelles revendications des Juifs concernant des biens restés sans successeur connu en Pologne après la Seconde Guerre mondiale.
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