En complément à l’instauration d’un prix unique du carbone dans l’Union, Ursula von der Leyen propose deux mesures : une taxe aux frontières de l’UE égalisant le prix du carbone des produits importés à celui de ceux produits dans l’Union, et un "Fonds pour une transition juste", "afin d’aider les régions qui ont le plus de difficultés". Autant la première proposition, qui met les producteurs européens sur un pied d’égalité avec leurs concurrents de pays pratiquant un prix du carbone inférieur à celui de l’Union, est claire – ce qui ne veut pas dire simple à mettre en place –, autant la seconde est vague, même si l’on en perçoit bien l’intention : désamorcer l’opposition des pays à revenu en dessous la moyenne de l’UE et dont les ressources énergétiques sont essentiellement fossiles, comme la Pologne.
La taxation des géants du numérique : une piste fondée sur la valeur ajoutée
"Taxer les GAFAs" est devenu un must pour les responsables politiques européens, faute d’avoir su créer les conditions propices à l’émergence de géants numériques européens. Si la réforme de la taxation des multinationales, habiles à utiliser les différences de régimes fiscaux entre pays où elles disposent de filiales, est un sujet connu, qui fait l’objet de négociations acharnées dans le cadre de l’OCDE, celui de la taxation des plateformes numériques est plus ouvert et plus difficile car spécifique. La précédente Commission européenne, sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, avait proposé une taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires des plateformes numériques, répartie entre les pays selon le nombre d’utilisateurs, pour faire simple sur ce sujet compliqué. En mettant en avant l’utilisation du système éducatif, de la main d’œuvre qualifiée ou des infrastructures, Ursula von der Leyen semble pencher du côté de la taxation de la valeur créée en Europe, plutôt que du chiffre d’affaires. L’argument en faveur du chiffre d’affaires, selon lequel c’est l’utilisateur de la plateforme numérique – songeons à Google par exemple – qui apporte de la valeur par les informations qu’il permet de collecter sur lui-même, n’est pas sans mérite, mais il est discutable : non traitée par les algorithmes de la plateforme, l’information serait sans valeur, donc non taxable. Si les algorithmes sont en partie créés en Europe, la position de von der Leyen paraît mieux fondée. Et d’un autre côté de ce marché à plusieurs faces, l’utilisateur obtient gratuitement les informations qu’il cherche, ayant implicitement troqué celles qu’il fournit sur sa propre personne contre le service qu’il recherche. Si l’échange était commercial, une taxe à la consommation serait justifiée. De ce point de vue, taxer l’un des flux de données mais pas l‘autre est fortement asymétrique.
En réalité, la donne a changé depuis que la position américaine est devenue favorable à un accord international sur la taxation des multinationales, numériques ou non, dans le cadre de l’OCDE, à la suite de la réforme de la fiscalité des entreprises américaines. La position de la nouvelle présidente de la Commission me semble indiquer que la position européenne sera plus ouverte, ce qui serait favorable à la conclusion d’un accord avant la fin 2020, l’objectif que s’est fixé le G20.
Un salaire minimum dans chaque Etat membre ? Vraiment ?
Probablement sous la pression de Renaissance, dont la tête de liste Nathalie Loiseau avait fait d’un salaire minimum étendu l’un de ses chevaux de bataille, Ursula von der Leyen reprend l’idée d’un "salaire minimal". Comme les politiques salariales - ou leur absence (comme en Allemagne) - relèvent des prérogatives de chaque pays, la proposition était fortement fédéraliste. Renaissance semblait même envisager que les salaires minimaux nationaux soient négociés au niveau de l’Union. Ceci aurait permis aux pays à haute productivité, donc à hauts salaires, de faire pression sur les pays en rattrapage, donc à bas salaires, réduisant ainsi leur compétitivité et aggravant in fine les inégalités entre pays. Partisane de l’économie sociale de marché, socle de l’extraordinaire réussite allemande depuis 1948, von der Leyen y a trouvé un moyen d’édulcorer cette idée pernicieuse, en indiquant que la meilleure solution est la "négociation collective entre syndicats d’employeurs et syndicats de travailleurs", de façon à "adapter le salaire minimal au secteur ou à la région", ce qui, implicitement, interdirait à l’UE de se mêler des salaires minima. Et si les partenaires sociaux n’en voient pas l’utilité, comme au Danemark, en Finlande ou en Suède, de salaire minimum il ne serait pas question.
Réassurer les assurances-chômage nationales : bonne idée, mais pas si simple
Toujours dans son chapitre "justice sociale", même s’il s’agit en réalité de stabilisation macro-économique, von der Leyen propose un "système européen de réassurance des prestations chômage", sans grande précision, si ce n’est qu’il s’agirait de faire face aux chocs externes sévères. La problématique d’assurance contre les fluctuations cycliques entre les pays de la zone euro faisait déjà l’objet de débats entre économistes avant le lancement de l’euro. Mais, depuis la crise de la zone euro, de nombreuses propositions concrètes ont été faites, fondées sur l’idée de contributions à un pot commun par les pays en conjoncture normale ou bonne, finançant des transferts vers les pays touchés par un choc conjoncturel. La plupart envisagent une assurance de base pour les salariés de la zone euro, dont les prestations seraient versées directement aux individus. L’idée d’une réassurance entre les systèmes nationaux diffère en ceci que les versements aux pays en difficulté se feraient au profit de leurs propres systèmes d’assurance-chômage, ce qui a deux avantages : le système empiéterait moins sur la souveraineté sociale et fiscale des pays membres, et il serait considérablement plus simple à gérer, comme pour les entreprises.
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