À Prague, Jean-Yves Le Drian est donc venu replacer la rupture de 1989 dans la perspective de la construction de cette souveraineté européenne que le président français ne cesse d’invoquer depuis son élection. La liberté que l’Europe a retrouvée il y a trente ans n’a de sens que si elle s’en saisit enfin pour décider de son propre destin.
L’exercice implique un ajustement politique de taille : renoncer à la mise en scène de l’opposition manichéenne entre "progressistes" et "nationalistes", qui jouait sur le registre subliminal de l’exclusion symbolique des Européens de l’Est trop vite retournés à leurs vieux démons pré-démocratiques, et adresser un "je vous ai compris" à ceux pour qui la souveraineté nationale revêt un caractère sacré. "1989, je le sais, marque aussi le recouvrement de l’indépendance et de la souveraineté pour tous les pays auparavant sous le joug soviétique", et la France se veut aujourd’hui "attentive aux réticences qui s’expriment ici ou là vis-à-vis de la notion de « souveraineté européenne »". Il faut prendre le temps d’expliquer que cette souveraineté européenne n’est pas la négation de la liberté des nations, mais son dépassement hégélien, "la possibilité pour chaque État de rester indépendant dans un monde où la rivalité des puissances se fait sentir dans tous les domaines". Une souveraineté à construire en priorité dans deux domaines auxquels le ministre consacre un long développement : la sécurité et la défense d’une part, le numérique et la technologie de l’autre.
Reste alors une question qui n’est pas subsidiaire : quelle a été la réception de ce discours par ceux à qui il était réellement destiné ? On en cherche en vain la trace dans l’espace numérique et médiatique de la région. Et à parler aux acteurs du débat public les plus actifs de ces pays, s’impose le sentiment d’une parole adressée dans le vide. "J’ai dû manquer cela", répond le directeur du think tank polonais de référence en matière de politique européenne. Un chercheur hongrois, en charge de l’analyse de la politique française dans un think tank de relations internationales à Budapest, n’en a eu connaissance que par l’ambassade de France. Le directeur du principal think tank slovaque, actif dans l’ensemble de la région, n’en avait pas non plus entendu parler, et me demande candidement : "dans quel forum a-t-il adressé ce message ?"
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