Dans de nombreux pays, le recul de l'argent liquide utilisé au quotidien s’est accompagné de l’émergence de nouvelles formes de monnaie numérique. Le secteur privé n’a pas manqué de saisir les opportunités offertes par la baisse de la demande de liquidités. Paypal, Alipay, PayTM, Bitcoin, et tous les autres, sont autant de produits de l'économie numérique. Mais ces solutions, portées par le secteur privé, soulèvent des interrogations, parmi lesquelles la question suivante : l'État doit-il se contenter de réguler ces nouvelles formes de monnaie, ou doit-il aller au-delà en jouant un rôle plus actif ?
La Chine a clairement choisi la deuxième voie, avec son projet de Digital Currency Electronic Payment (DCEP) mené par la banque centrale chinoise, la Banque populaire de Chine. Comment fonctionne la cryptomonnaie chinoise ? Qu’implique-t-elle à l’échelle mondiale ? Éric Chaney, conseiller économique de l'Institut Montaigne, et Viviana Zhu, chargée d’études au sein du programme Asie de l’Institut, étudient ces enjeux dans un entretien croisé.
La Chine sera le premier grand pays à lancer une cryptomonnaie soutenue par un gouvernement. Quel en sera le fonctionnement concret ? Le développement de cette cryptomonnaie se fait-il au service de ses besoins (ou appétits) en matière de surveillance ?
Viviana Zhu
La banque centrale chinoise est relativement pionnière dans l'étude d'une cryptomonnaie soutenue par le gouvernement et le projet DCEP a été lancé dès 2014. 2017 a vu la création de l'Institut de recherche sur la monnaie numérique de la Banque populaire de Chine, lancé pour se pencher spécifiquement sur cette question. Un nouveau rapport de Caijing indique que des expériences à petite échelle débuteront bientôt à Shenzhen, et probablement aussi à Suzhou, avant la fin de l'année. Ce n’est que l’été dernier que la banque centrale a révélé l'état d'avancement de son projet au public. Les raisons officielles avancées pour expliquer ce projet ont trait à la nécessité de protéger la monnaie souveraine chinoise, notamment contre les formes actuelles et à venir de cryptomonnaies. L'autre facteur, souligné par Huang Yiping, directeur du Digital Finance Research Center de l'Université de Pékin, est en effet la naissance de Libra, qui a servi de "signal d’alarme". En un mot, la Chine doit "devancer la pluie (未雨绸缪)".
Il n'est pas surprenant que ce projet de cryptomonnaie chinoise adopte un modèle de gestion centralisé ; ce qui est davantage intéressant, c'est son double système de diffusion. Il est ainsi prévu que la banque centrale émette la cryptomonnaie auprès d’institutions ou de banques commerciales, elles-mêmes chargées de la distribution proprement dite. Ce modèle, d'une part, offre un niveau de garantie supplémentaire par rapport aux autres cryptomonnaies du marché, car il est soutenu par la banque centrale. D'autre part, il permet l'utilisation efficace des ressources disponibles (y compris les ressources humaines) et de la technologie sur le marché, ce qui permet de diversifier les risques.
Selon Mu Changchun, directeur de l’Institut de recherche sur la monnaie numérique de la banque centrale depuis septembre dernier, la cryptomonnaie chinoise présente les mêmes caractéristiques qu’une monnaie physique. Cela signifie qu’un paiement par cryptomonnaie ne peut être refusé, qu'aucun versement d’intérêt n’est prévu pour la cryptomonnaie stockée dans les portefeuilles électroniques des consommateurs et que sa valeur est égale à celle du renminbi (RMB), la devise chinoise. Contrairement aux autres formes de cryptomonnaie proposées par le secteur privé, elle appartient au genre des stablecoins (cryptomonnaies dont la valeur est stable) et constitue un passif pour la banque centrale. Il y a toujours des incertitudes sur la technologie utilisée, mais le soutien exprimé par Xi Jinping à l’égard de la recherche et de l'innovation sur la blockchain, lors d'une session d'étude du Politburo en octobre, a été interprété comme une indication permettant de croire que la cryptomonnaie chinoise serait fondée sur une forme faible - c'est-à-dire centralisée, et non décentralisée - de blockchain. Néanmoins, la déclaration officielle souligne que la cryptomonnaie reste ouverte à toutes les options, à condition que ces technologies puissent traiter 300 000 transactions par seconde. Le calendrier de mise en œuvre du projet, lui aussi, reste une question ouverte.
En tant que substitut à l'argent liquide physique, la cryptomonnaie n’implique pas d’avoir un compte en banque. Les utilisateurs doivent simplement demander un portefeuille électronique auprès d'une banque ou institution commerciale, et télécharger l'application correspondante. Pour qu’une transaction ait lieu, un téléphone portable avec suffisamment de batterie est tout ce dont vous avez besoin, aucune connexion Internet n'est nécessaire.
"L'anonymat contrôlable" ("可控匿名") est une promesse faite aux utilisateurs de la future cryptomonnaie ; la signification exacte de ces termes reste pourtant bien mystérieuse... D’aucuns ont déjà mis en évidence certaines contraintes quant à son prétendu anonymat. À titre d’illustration, si le portefeuille électronique de chacun autorise un nombre limité de transactions, plus vous entrerez de renseignements personnels (numéro de carte d’identité par exemple) dans celui-ci, plus ce plafond sera élevé, et le fait de relier votre compte bancaire à votre portefeuille électronique l'augmentera davantage.
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