Jacques Chirac était un formidable animal politique, doté d’une énergie inlassable, capable de surprendre ses adversaires, de ruser comme d’avaler ses défaites pour en tirer une nouvelle force. Humaniste, grand amateur d’art "primitif" et asiatique, il n’était guère passionné par l’économie. Pourtant, sa longue carrière politique, depuis son poste de Secrétaire d’État à l’emploi en 1967 jusqu’à ses deux mandats présidentiels, a marqué l’économie de la France et la façon dont les Français l’appréhendent. Le bilan est contrasté, composé de réactions salutaires en 1986 après les excès mitterrandiens de 1981, mais aussi d’occasions manquées et d’erreurs aux conséquences toujours présentes.
Comment gérer un budget ?
Peu après sa victoire à l’élection de 1995, j’eus l’occasion de rencontrer le nouveau président en petit comité, pour discuter économie et politique budgétaire. Nous sortions de la dure récession de 1993, avec un déficit budgétaire de 5,4 % du PIB, une croissance jugée molle pour l’époque (2,4 % en 1994) et un niveau record de dépenses publiques (près de 55 % du PIB). Après la crise de change de septembre 1992, au cours de laquelle la France avait péniblement obtenu que l’Allemagne soutienne le franc, les marchés financiers surveillaient de près la politique budgétaire française. Comment concilier réduction du déficit budgétaire, soutien à l’économie et validation des promesses électorales de politique salariale généreuse ? Cela paraissait une équation insoluble. Réduire la dépense publique et les impôts, convaincre les contribuables que le redressement budgétaire serait durable, de façon à éviter un excès d’épargne – un comportement "ricardien" – était une voie possible. Le Président écouta poliment puis conclut : "Dans le fond, ce que vous dites, c’est qu’il faut savoir gérer le budget du pays comme le ferait un bon père de famille".
La discussion était close, mais j’avais compris que l’approche de l’économie de Jacques Chirac était intuitive, nourrie par ses relations avec de grands industriels, mais que la dimension macroéconomique comme le lien entre économie et marchés financiers l’ennuyaient profondément.
Une politique libérale par réaction plus que conviction
Pourtant, nommé Premier ministre par François Mitterrand en 1986, Chirac eut son heure libérale – au sens économique. Après une série de dévaluations qui avaient fait monter l’inflation à plus de 15 %, l’économie du pays était bloquée par la vague de nationalisations, de hausse du SMIC et de durcissement de la réglementation du travail, en application du programme commun de gouvernement qui avait donné la victoire à la gauche en 1981. Le "bulldozer" Chirac, comme l’avait surnommé Georges Pompidou, sut agir rapidement, privatiser une série de grandes entreprises industrielles et de banques, libéraliser le marché du travail en supprimant l’autorisation administrative de licenciement, et enrayer la fuite des capitaux en supprimant l’impôt sur les grandes fortunes.
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