Si l’apaisement a bien eu lieu pendant et après l’organisation du Grand débat, il faut néanmoins s’interroger sur le caractère durable de cet "effet Grand débat". Toutes les données collectées par les chercheurs et les observateurs, ont tout d’abord montré le biais sociologique de ce dernier : les catégories les plus en souffrance sociale, les plus pauvres et les plus démunies n’ont pas été les acteurs sociaux clefs des discussions. Il y a aussi une étroite corrélation entre les lieux dans lesquels se sont tenus les débats locaux et la carte électorale d’Emmanuel Macron, laissant entrevoir que les adhérents ou cadres locaux de la République en Marche se sont activement mobilisés pour son organisation ou que c’est une France de villes moyennes qui s’est mobilisée pour participer. Si c’est une très bonne chose au plan démocratique que les forces politiques se mobilisent pour participer à une large consultation du pays, cela montre aussi qu’il existe un biais territorial dans les débats locaux de ce Grand débat. Ce n’est ni partout, ni tous les Français qui sont venus "délibérer".
La consultation en ligne, conduite en parallèle, n’a pas compensé ce double biais territorial et sociologique du Grand débat. Enfin, le pilotage du débat par l’exécutif, même entouré du filet de sécurité des cinq personnalités nommées comme les "garantes" du Grand débat, pose question : si la présence du chef de l’Etat comme acteur clef s’imposait, son omniprésence et le fait qu’il ait lui-même paramétré les termes et les questions (les quatre thèmes) du débat était-elle une si bonne chose ? Un débat alternatif (qui s’est qualifié de "vrai débat") a d’ailleurs tenté d’émerger sans parvenir à gagner la même visibilité. Le questionnaire de la consultation en ligne n’était lui-même pas exempt de biais d’interrogation de la population.
Comment les mesures prises par le gouvernement ont-elles été reçues parmi les Gilets jaunes ?
On manque de recul pour pleinement répondre à cette importante question. Il faudrait disposer de données à jour sur la mise en œuvre de ces mesures car, à un moment donné, il y aura forcément une évaluation rétrospective faite par les Français et pas seulement les Gilets jaunes. Mais ce que l’on peut déjà dire est que le sentiment d’une manœuvre dilatoire de l’exécutif, pour gagner du temps, n’a pas disparu pour une partie de ceux qui se sont mobilisés. La crise a sans doute été trop loin pour que les annonces de l’exécutif effacent le ressenti, les tensions, les frustrations. À défaut de créditer le pouvoir de sincérité dans l’écoute et dans la réponse à la crise, une partie est également en attente de voir les résultats concrets, sur leur situation réelle. L’un des marqueurs de cette crise est d’ailleurs l’écart important entre les effets globaux des mesures prises (par exemple, l’augmentation moyenne du pouvoir d’achat qui est avérée sur 2019) et les perceptions individuelles qu’en ont les Français (perception subjective que rien en change).
L’un des points les plus négativement perçus a été la non prise en compte de la demande d’instauration du référendum d’initiative citoyenne (RIC). On voit d’ailleurs que les réponses à la crise démocratique ont été, pour le moment, moins étayées concrètement que les réponses fiscales ou économiques. L’exécutif aurait tort de considérer qu’il s’agissait d’un abcès de fixation. Si la crise et l’apparente sortie de la crise ont montré la résilience de nos institutions, la question de la modernisation, voire de la transformation, de notre modèle démocratique reste un élément essentiel.
Copyright : CHARLY TRIBALLEAU / AFP
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