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16/10/2018

Fait religieux en entreprise : un phénomène surestimé ?

Trois Questions à Lionel Honoré

Fait religieux en entreprise : un phénomène surestimé ?
 Lionel Honoré
​​​​​​​Directeur de l'Observatoire du Fait Religieux en Entreprise

L'Institut Randstad et l‘Observatoire du Fait religieux en Entreprise (OFRE) ont présenté en septembre dernier la 6ème édition du baromètre sur le fait religieux en entreprise. Que nous apprend cette nouvelle édition ? Lionel Honoré, professeur des universités et directeur de l’OFRE, décrypte pour l’Institut Montaigne les résultats de cette étude. 

Quelle est l’évolution du fait religieux en entreprise ces dernières années ? 

Les évolutions du fait religieux en entreprise sont tant quantitatives que qualitatives. Nous avons observé une croissance rapide du nombre d’entreprises rencontrant cette question entre 2013, année de la première étude, et 2016. Depuis 2016, la part des entreprises qui rencontrent le fait religieux au travail est stable, et représente deux entreprises sur trois. Avec quelques pourcentages de variation d’une catégorie à l’autre, nous pouvons dire qu’un tiers des entreprises rencontre régulièrement cette question (chaque jour, semaine ou mois), un tiers occasionnellement (chaque trimestre) et un tiers rarement ou jamais (une fois par an ou moins).

Fait religieux en entreprise : un phénomène surestimé ?
Source : Randstad
Les cas les plus fréquents sont des demandes d’aménagement du temps de travail (demandes d’autorisation d’absence, demandes de modification des plannings de travail ou de vacances, etc.), le port de signes religieux ou encore les prières pendant les pauses. Cela représente les deux tiers des faits. Ces types de faits sont assimilables à des demandes personnelles et ne sont pas, en eux-mêmes, dysfonctionnels. En revanche, le dernier tiers est constitué par des faits qui posent davantage de questions, et qui remettent directement en cause le fonctionnement de l’organisation. Ce sont par exemple le refus de travailler avec des personnes ou de réaliser des tâches, des prières pendant le temps de travail, de la discrimination ou encore du prosélytisme.
Fait religieux en entreprise : un phénomène surestimé ?
Source : Randstad

 

Dans l’enquête 2018 apparaissent deux types de situations. La majorité des entreprises rencontrent des situations qu’elles savent de mieux en mieux gérer, et qui produisent relativement peu de dysfonctionnements et de conflits. En revanche, une minorité d’entreprises est confrontée à des situations complexes et tendues. Le fait religieux y est très présent, très divers, et remet en cause l’activité managériale et la réalisation du travail. Cette question du fait religieux au travail devient ainsi bipolaire : elle est souvent de moins en moins problématique et l’est parfois - rarement, mais parfois tout de même -, de plus en plus.

Les perceptions liées au fait religieux en entreprise sont marquées par un relatif pessimisme par rapport à la réalité constatée sur le terrain. En effet, si deux tiers des répondants pensent que les situations conflictuelles liées au fait religieux vont augmenter dans le futur, trois quarts d’entre eux ne constatent pas d’augmentation du fait religieux sur leur lieu de travail. Comment expliquer cet écart ? 

C’est un résultat récurrent depuis 2013, année de la première enquête de l’Observatoire du Fait Religieux en Entreprise ! Chaque année, les personnes interrogées anticipent une hausse du phénomène et des situations de tensions et de conflits, y compris celles qui sont peu confrontées à ces questions. C’est finalement un phénomène assez classique d’écart entre la réalité d’un phénomène et sa perception. La question de la place de la religion dans la société, que ce soit dans les débats politiques, dans l’espace public ou, pour ce qui nous intéresse davantage dans ces travaux, dans l’entreprise, est au cœur du débat sur la société elle-même depuis les Lumières. Cette question est centrale dans les travaux de Locke ou de Voltaire sur la tolérance, elle est centrale dans les débats politiques pré et post révolution, tant en Amérique qu’en France. En France elle est reposée et renouvelée sans cesse. Elle est aujourd’hui, et depuis quelques années déjà, liée à la question de la place de l’islam dans le pays. Cette question est complexe et souvent abordée, malheureusement, à travers une actualité mettant l’accent sur ce qui est problématique.

Les résultats de l’étude de l’Institut Montaigne d’octobre 2015 Discriminations religieuses à l’embauche : une réalité révélaient une forte discrimination à l’embauche liée à la religion. Comment expliquez-vous ces résultats, alors que votre enquête révèle que le fait religieux n’est pas le sujet le plus conflictuel en entreprise ?

L’enquête de l’OFRE est centrée sur les situations de travail et n’aborde pas directement la question de l’embauche. Nous étudions les phénomènes de discrimination observés et subis mais ils restent stables depuis 2013, du moins dans nos résultats. Environ un quart des personnes interrogées dans notre étude ont observé des cas de discriminations liées à la religion.

Certes, nos résultats montrent que le fait religieux n’est pas le sujet le plus conflictuel. C’est le travail lui-même qui est à l’origine de la plupart des tensions dans les bureaux ou les ateliers, ce qui n’est pas surprenant. Toutefois, la part des situations qui nécessitent une intervention managériale, comme celle des situations qui génèrent des tensions et des conflits, progresse encore en 2018 comme cela était déjà le cas les années précédentes.

Enfin, il faut aller au-delà des faits eux-mêmes et regarder de près les comportements et les situations. Certains faits qui paraissent anodins, par exemple une simple demande d’absence pour assister à une cérémonie religieuse, peuvent générer des blocages ; d’autres qui semblent bien davantage problématiques, par exemple le refus de travailler avec une femme ou des pratiques discriminatoires, peuvent passer quasi-inaperçus.

 

Pour sa prochaine édition, en 2019, l’étude sur le fait religieux en entreprise sera menée conjointement par l’OFRE et l’Institut Montaigne, avec le soutien du groupe Randstad France.

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