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20/12/2018

Élections régionales en Inde: un tournant pour Modi ?

Trois Questions à Christophe Jaffrelot

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Élections régionales en Inde: un tournant pour Modi ?
 Christophe Jaffrelot
Expert Associé - Démocratie et Populisme, Inde

À seulement quatre mois des élections législatives du printemps prochain, le Bharatiya Janata Party (BJP - Parti du peuple indien) du Premier ministre Narendra Modi a perdu les élections régionales, dont les résultats ont été annoncés le 11 décembre 2018, dans trois Etats clés face au Parti du Congrès dirigé par Rahul Gandhi. Ces trois États - le Chhattisgarh, le Madhya Pradesh et le Rajasthan - sont pourtant traditionnellement acquis au BJP. Quels implications peuvent avoir ces résultats sur les élections législatives ? Quelle stratégie adoptera le BJP pour les prochaines élections ? Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au CERI-Sciences Po/CNRS, professeur invité à King’s College London, nous livre son analyse.

Le parti du Congrès, principal parti d’opposition, revient au pouvoir dans plusieurs fiefs du BJP de Narendra Modi. Comment expliquer ces résultats ?

Depuis un an, le BJP ne remporte plus un succès sans partage lors des élections régionales : en décembre 2017, il a conservé de justesse le Gujarat (l'État que Narendra Modi a gouverné de 2001 à 2014) ; au printemps, il a échoué au Karnataka face à une coalition emmenée par le Congrès ; et ce mois-ci, il est renvoyé dans l’opposition dans trois États qu’il dominait depuis cinq ans (le Rajasthan) voire 15 ans (le Madhya Pradesh et le Chhattisgarh). Il se trouve en outre réduit à la portion congrue au Telangana et au Mizoram, où il n’obtient qu’un siège à chaque fois.

Le BJP est sanctionné par deux catégories de ruraux que sa politique a pénalisé : les fermiers [...] et les paysans sans terre travaillant comme ouvriers agricoles.

Le caractère systématique de ces revers donne à penser que le BJP entame un repli général, d’autant plus que Narendra Modi, comme toujours, a multiplié les meetings et s’est donc trouvé en première ligne pendant la campagne. De fait, le parti voit sa base électorale s’éroder d’une manière relativement uniforme. Toutefois, les campagnes se détournent de lui plus nettement que les villes.

Le BJP est ici sanctionné par deux catégories de ruraux que sa politique a pénalisé : pour rendre bon marché les denrées alimentaires que consomment les citadins, la base électorale de prédilection du BJP, le gouvernement a acheté à vil prix la production des fermiers ; et pour contenir le déficit budgétaire, il a réduit les subventions dont bénéficiaient les paysans sans terre travaillant comme ouvriers agricoles (et qui sont encore plus nombreux que les fermiers). Ces mesures étaient d’autant plus mal venues, dans un pays où les ruraux représentent 60 % de la population, que le pays venait de connaître deux années de sécheresse et que l’irrigation devient un problème chronique partout en Inde.

Quel impact peuvent avoir ces résultats, à seulement quatre mois des élections législatives ?

Ces résultats replacent le Congrès, et son jeune leader, Rahul Gandhi, au centre du jeu politique. Désormais, les partis régionaux qui représentent 50 % des électeurs et qui tendent à s’allier au BJP et au Congrès au gré de leurs performances électorales, peuvent voir dans le Congrès le chef de file d’une coalition susceptible de l’emporter au printemps prochain. Certaines formations régionales ont immédiatement apporté leur soutien au Congrès, d’autres tournent casaque et quittent la National Democratic Alliance dirigée par le BJP pour rejoindre l’United Progressive Alliance dominée par le Congrès.

Il ne s’agit toutefois pas d’une hémorragie. Premièrement, le revers du BJP n’a rien d’une déroute : au Rajasthan et au Madhya Pradesh, le BJP et le Congrès sont coude-à-coudes et le Congrès, arrivé en tête en termes de sièges, n’a pu former le gouvernement qu’avec l’appoint de soutiens extérieurs. Deuxièmement, Narendra Modi reste l’homme politique le plus populaire du pays, et les électeurs qui ont renvoyé le BJP dans l’opposition au niveau régional pourraient bien reconduire son parti au pouvoir à New Delhi.

Il semble toutefois peu probable que le BJP puisse remporter une majorité absolue en 2019 comme en 2014.

Il semble toutefois peu probable que le BJP puisse remporter une majorité absolue en 2019 comme en 2014. Il faudrait pour cela que plusieurs partis régionaux rejoignent la NDA. Ceux qui semblaient tentés de le faire, comme le BJD en Orissa, ont apparemment changé d’avis.

Le BJP pourrait-il durcir son discours nationaliste hindou à la suite de ces élections ?

Le BJP peut en effet considérer que le thème sur lequel Modi avait fait campagne en 2014, le développement économique, n’est plus d’actualité : en 5 ans, le gouvernement n’est pas parvenu à créer les emplois qu’il avait promis. Si la croissance se porte bien, c’est d’abord grâce à des investissements hautement capitalistiques qui créent peu d’emplois, et ensuite du fait de manipulations statistiques qui nuisent à la crédibilité de l’Etat indien (d’autant plus que les taux d’investissement et d’épargne sont orientés à la baisse, comme les exportations).

Le discours de Modi visera le Pakistan et, sans la nommer, la Chine, qui suscite des craintes nouvelles en Inde en raison de la Road and Belt Initiative de Xi Jinping.

Dans ces conditions, Modi pourrait revenir aux fondamentaux du nationalisme hindou et relancer une campagne en faveur de la construction d’un temple à Ayodhya, sur les décombres d’une mosquée du XVIème siècle que des militants ont détruit en 1992, en prétendant qu’elle avait été érigée sur le site de naissance du Dieu Ram. Une telle campagne deviendra surtout possible si la Cour suprême donne son feu vert en janvier, lors d’un arrêt très attendu quant au statut du site où se trouvait la mosquée.

Mais deux hypothèses pèsent sur un tel scénario.

  • Premièrement, Modi risque d’être débordé par son aile droite qui s’est trouvé un leader en la personne de Yogi Adityanath, le chef du gouvernement BJP de l’Uttar Pradesh, qui a déjà acquis une réputation calamiteuse en couvrant le lynchage de Musulmans accusés d’abattre des vaches (animaux sacrés de l’Hindouisme). L’image de Modi, gardien de la loi et de l’ordre, souffrirait peut-être d’une vague d’émeutes inter-communautaires.
     
  • Deuxièmement, il semble que l’affaire d’Ayodhya ne fasse plus recette au delà du noyau dur des électeurs du BJP, d’autant plus que Rahul Gandhi s’est mis, lui aussi, à visiter assidûment les temples hindous… 

Le discours de Modi fera donc sans doute une place plus grande, non seulement au nationalisme hindou, mais aussi à la nécessité pour l’Inde de garder un pouvoir fort à la tête du pays. Non seulement parce que, dira-t-il, les coalitions sont incapables de réformer le pays (ce qui a été démenti par l’histoire récente), mais aussi parce que l’Inde vit sous la menace de puissances extérieures. En disant cela, Modi visera le Pakistan et, sans la nommer, la Chine, qui suscite des craintes nouvelles en Inde en raison de la Road and Belt Initiative de Xi Jinping.

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