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14/06/2021

Élections présidentielles en Iran : de l’illusion démocratique à la frustration

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Élections présidentielles en Iran : de l’illusion démocratique à la frustration
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Les Iraniens se rendront aux urnes le 18 juin prochain pour choisir leur nouveau président. Cette élection n'est pas encore l'équivalent d'un processus électoral à la russe, ou à la biélorusse, mais elle s'en rapproche dangereusement. Les autorités iraniennes ont interdit aux deux candidats réformistes les plus crédibles de se présenter et les résultats semblent connus d'avance. Un candidat "dur" l'emportera : probablement le chef de l'Autorité judiciaire, Ebrahim Raïssi - l'homme qui fut défait par le président Hassan Rohani aux dernières élections de 2017. Après deux mandats, l’actuel président ne pouvait plus se représenter.

Au-delà du résultat, on peut prévoir que le taux de participation sera particulièrement faible. "On nous demande de choisir entre de mauvais candidats et d’autres qui sont pires. Et de toute façon ce n'est pas le président qui a les manettes. Pourquoi irais-je voter ? Cette fois-ci, je ferais comme la majorité des gens, je m'abstiendrai", confiait récemment un citoyen Iranien au Financial Times. Un sentiment qui exprime la frustration de très nombreux Iraniens.

Illusion démocratique

Pour comprendre la situation intérieure en Iran, il est peut-être utile de revenir à l'article publié en 1997 par Fareed Zakaria dans la revue Foreign Affairs sur la montée de la démocratie illibérale. La République islamique d'Iran constituait une des principales illustrations de sa thèse. Le régime y était tout sauf libéral, mais l'élection demeurait "globalement" libre : le jour du scrutin, l'électeur iranien pouvait faire la différence. Cet étrange cohabitation-compromis entre les termes de République et islamique n'existera bientôt plus. La sophistication perso-iranienne aura laissé place à la "rusticité" de la dictature sans fard des mollahs et des forces armées derrière eux. L'illibéralisme aura pris le pas sur toute illusion démocratique. Il ne pouvait qu'en être ainsi. Dans le contexte mondial de durcissement des régimes autoritaires de la Chine à la Russie, l'Iran des ayatollahs ne pouvait que suivre Moscou et Pékin. Ces deux acteurs ne soutiennent-ils pas activement le régime en place à Téhéran ? Ne sont-ils pas devenus, plus globalement, grâce au retrait au moins partiel des États-Unis, des joueurs majeurs dans la région ?

Les élections présidentielles du 18 juin seront le legs direct, sinon la marque de fabrique, de la présidence Trump.

L'exercice de "clarification despotique" du régime iranien a certes d'autres raisons. Les modérés du régime ont souffert des développements récents, sanitaires, économiques, autant que géopolitiques. L'Iran est le pays de la région qui a été le plus affecté par la crise du Covid-19. Son échec à contenir l'épidémie était d'autant plus douloureux, qu'au même moment, sa bête noire dans la région, l'État d'Israël, servait de modèle au monde dans sa politique de vaccinations.

Les modérés avaient déjà été les victimes du renversement de la politique américaine sous Donald Trump. L'accord sur le nucléaire signé à Vienne en 2015 avait été présenté aux Iraniens comme un succès de la diplomatie patiente et rationnelle du président Rohani et de son ministre des affaires étrangères, Mohammad Zarif. Cet accord avait donné lieu, dans les rues de Téhéran et de plusieurs autres villes, à une explosion de joie de la part des éléments les plus jeunes, éduqués, bref modernes, de la population. En sortant unilatéralement de l'accord de Vienne en 2017, en durcissant le régime de sanctions à l'encontre de l'Iran, Donald Trump a délibérément fait le jeu des éléments les plus durs du régime. Les élections présidentielles du 18 juin seront le legs direct, sinon la marque de fabrique, de la présidence Trump.

"Alliance des Despotismes"

Pour les forces "modérées", ce mélange de sanctions américaines renforcées et de Covid-19, avec leurs conséquences économiques catastrophiques, et d'encouragement au durcissement du régime venu de Chine et de Russie, est tout simplement "trop". Et il n'a pas été possible à l'administration Biden de changer de cap de manière assez rapide pour pouvoir affecter le cours des élections iraniennes. Cela d'autant moins que le pouvoir iranien à son plus haut niveau, celui de l’ayatollah Ali Khamenei, ne souhaitait pas faire preuve de souplesse.

À Téhéran, à tort ou à raison, on tire les leçons de l'évolution géopolitique de la région. Moins d'Amérique, plus de Chine, plus de Russie. L'Iran a le sentiment d'avoir des alternatives : des débouchés pour ses hydrocarbures en Chine, un partenariat stratégique toujours plus étroit avec la Russie.

Même si, ni Moscou, ni Pékin ne sont pressées de voir Téhéran devenir une puissance nucléaire. Au moment où l'Amérique met en avant l'idée d'une "alliance des démocraties" - renouant ainsi avec une vision défendue, il y a un peu plus de vingt ans, par la secrétaire d'État Madeleine Albright, lors du second mandat Clinton -, pourquoi l'Iran, rejetant toute feuille de vigne démocratique, ne s'inscrirait-elle pas ouvertement dans une "alliance des despotismes" ?

À Téhéran, à tort ou à raison, on tire les leçons de l'évolution géopolitique de la région. Moins d'Amérique, plus de Chine, plus de Russie. 

Ce serait certes la fin de la République islamique et du compromis, toujours fragile, entre les éléments les plus ouverts et les plus conservateurs de l'Iran des mollahs. Mais la "République" n'est-elle pas déjà morte depuis longtemps - pour peu qu'elle ait jamais existé - masquant de plus en plus mal la réalité d'un pouvoir militaro-religieux ?

Médiocrité de la culture politique

Sur un plan géopolitique, la Russie et la Chine ne seraient-elles pas, paradoxalement, plus à même de calmer les pulsions nucléaires suicidaires de l'Iran que ne l'ont fait les puissances occidentales y compris Israël ? "Vous voulez gérer Téhéran : je vous souhaite bien du plaisir", semblent dire avec un mélange de provocation et de sérieux, certaines voix de Jérusalem à Washington.

Quoi qu'il en soit, les bâtisseurs de Persépolis (dans la période préislamique) et ceux d'Ispahan (un des chefs-d'œuvre de l'humanité, monument à la gloire d'un Islam ouvert et raffiné) se retourneraient dans leurs tombes s'ils pouvaient voir ce que sont devenus le pays et la civilisation dont ils étaient légitimement si fiers. Un constat qui à des degrés divers s'applique aux nouveaux parrains de l'Iran que sont la Russie et la Chine. Dans ces trois pays, le contraste entre la grandeur de l'héritage culturel et la violence, la petitesse sinon la médiocrité de la culture politique a atteint des proportions toujours plus grandes.

Avec l'aimable autorisation des Échos (publié le 14/06/2021)

 

 

Copyright : ATTA KENARE / AFP

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