Le Digital Markets Act (DMA) vise à limiter le contrôle des acteurs dits "gatekeepers" sur les marchés dans lesquels ils opèrent. Quels sont les moyens de contrôle actuels des autorités de concurrence et pourquoi doivent-ils évoluer ? Comment la relation entre les autorités de concurrence européennes et nationales est-elle envisagée par le DMA ? Dans ce deuxième article de notre série sur le Digital Markets Act, Emmanuel Combe, vice-président de l'Autorité de la concurrence, et Anne Perrot, économiste, répondent à nos questions.
Les moyens actuels à disposition des régulateurs européens pour contrôler les abus de position dominante dans le secteur numérique sont-ils suffisants selon vous ?
Emmanuel Combe : En premier lieu se pose la question de la réactivité des autorités de concurrence face à des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre dans le numérique. Tout évolue très vite et le dommage causé au marché peut être rapidement irréversible, notamment lorsqu’il prend la forme d’un abus d’exclusion. Certaines décisions ont été prises par la Commission européenne 6 ans après le début d’une enquête, ce qui est sans doute trop long, même si cela peut s’expliquer par le caractère très innovant des décisions. Les autorités de concurrence disposent néanmoins de moyens d’agir vite. Elles ont la faculté d’imposer des mesures d’urgence, lorsqu’il existe une présomption raisonnable d’atteinte au marché. Nous l’avons par exemple mise en œuvre en France dans l’affaire des droits voisins, avec un certain succès. Elle permet une très grande réactivité de l’action publique. Cette faculté à agir vite sera encore renforcée avec la possibilité de se saisir d’office pour prononcer ces mesures conservatoires.
En second lieu, se pose la question de l’expertise des autorités de concurrence en matière de numérique. Par exemple, un abus prenant la forme de "self preferencing" nécessite d’analyser en profondeur l’algorithme, ce qui suppose d’avoir des équipes techniques dédiées. Il est clair, comme cela a été souligné dans plusieurs rapports récents, que les autorités de concurrence doivent se doter d’une telle expertise. C’est ce que nous avons commencé à faire à l’Autorité de la concurrence.
Anne Perrot : La Commission européenne (notamment la direction générale de la concurrence - DG Comp) ainsi que les autorités nationales disposent aujourd’hui d’outils éprouvés pour régler à la fois les questions de concentration, par le biais du contrôle des projets de fusion qui dépassent certains seuils en chiffre d’affaires, et les questions relatives aux comportements anticoncurrentiels (ententes et abus de position dominante). Toutefois, conçus à un âge où les technologies n’étaient pas numériques, ces instruments ont fait apparaître plusieurs types de défaillances pour détecter, analyser, et sanctionner les problèmes de concurrence posés par les plateformes.
En effet, ces plateformes reposent sur le développement des effets de réseau, qui poussent à la croissance jusqu’à, parfois, la monopolisation de certains services. La difficulté est que cette grande taille des plateformes concourt aussi à la qualité des services qu’elles rendent. La voie est donc étroite entre un meilleur contrôle de leur pouvoir de marché et la préservation de leur efficacité. Dans ce contexte, les limites des outils actuels du droit de la concurrence sont multiples. D’une part, certaines concentrations touchent des entreprises dont le chiffre d’affaires est faible, mais dont les effets de réseaux renforçant la position dominante de l’entreprise acquéreuse sont forts. Dès lors, ces concentrations échappent au contrôle fondé sur des seuils en chiffre d’affaires mais peuvent détériorer la situation concurrentielle sur les marchés impliqués. D’autre part, l’analyse des abus de position dominante possibles sur ces marchés est complexe car elle demande de comprendre le fonctionnement des algorithmes ainsi que les modalités de collecte des données sur lesquelles ils reposent. Ces processus d’analyse prennent nécessairement du temps et exigent une durée parfois incompatible avec le maintien d’une situation concurrentielle sur le marché. Peu à peu, l’idée qu’il fallait doter les autorités de concurrence d’instruments adaptés à ces nouveaux enjeux s’est fait jour et a abouti au projet de règlement DMA.
Comment ces moyens vont-ils évoluer dans le cadre du Digital Markets Act ? Cela va-t-il dans le bon sens, selon vous ?
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