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11/07/2018

Défense et sécurité : la France et l’Allemagne regardent-elles dans la même direction ?

Défense et sécurité : la France et l’Allemagne regardent-elles dans la même direction ?

Depuis septembre 2016, la France et l’Allemagne ont donné un nouvel élan à la Politique de Sécurité et de Défense Commune de l’UE (PSDC) ainsi qu’à leur coopération bilatérale dans ce domaine. Cette dynamique surprend, tant la politique de sécurité et de défense est rarement citée comme exemple de bon fonctionnement du couple franco-allemand. Les cultures respectives des deux pays en matière de sécurité sont trop différentes, leurs prises de positions sur la scène internationale, mais aussi les moyens avec lesquels Paris et Berlin répondent aux crises et aux défis sécuritaires, trop hétérogènes.

Un nouvel élan franco-allemand... 

Quelques jours seulement après le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE, le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier et son homologue français Jean-Marc Ayrault publiaient une déclaration conjointe intitulée Une Europe forte dans un monde incertain. Les intentions qu’elle formule pour une relance de la PSDC par la France et l’Allemagne ont toutes été suivies. C’est ainsi que les Etats membres de l’UE ont trouvé un accord sur la mise en place d’une capacité militaire commune de planification et de conduite et d’un examen annuel coordonné en matière de défense. Fin 2017, ils lançaient la coopération structurée permanente (CSP), qui permet à un nombre réduit d'États membres qui le souhaitent de prendre les devants en matière d’intégration. Outre les Etats membres, la Commission européenne s’engage de manière active dans la politique de défense et entend notamment défendre la recherche et le développement de capacités stratégiques communes grâce au Fonds européen de la défense (FED). Le constat franco-allemand selon lequel la protection des citoyens ne se limite plus à l’économie et au social, mais doit également inclure les domaines de la sécurité et de la défense, s’impose peu à peu au sein de tous les Etats membres.
 
Paris et Berlin n’ont pas limité leur coopération au niveau de l’UE, bien au contraire. En juillet 2017, ils s’accordaient sur la construction commune de successeurs pour les chars de combat et les systèmes d’artillerie actuels, sur le développement commun de systèmes de reconnaissance en mer ainsi que sur l’acquisition rapide de drones de combats européens ("Eurodrone"). En outre, les deux capitales sont convenues de développer ensemble un nouvel avion de combat afin de remplacer leurs flottes actuelles.

... qui n'empêche pas quelques décaccords

Récemment, ce sont toutefois davantage les différences entre les deux principaux partenaires européens qui sont réapparues sur le devant de la scène. En septembre 2017, le président Macron a étonné l’Allemagne en proposant dans son discours de la Sorbonne une "initiative européenne d’intervention", quelques jours seulement après que les Etats membres se soient déclarés prêts – sous impulsion allemande – à s’engager dans la coopération structurée permanente (CSP) en matière de politique de sécurité et de défense. Or l’initiative française offre un contraste saisissant avec la CSP, puisqu’elle prévoit que les Etats membres puissent coopérer de manière flexible et ad hoc, en dehors du cadre institutionnel de l’UE. A son tour, la chancelière fédérale allemande a pris de cours la France au début du mois de juin 2018, en appelant à un siège pour l’UE au Conseil de sécurité des Nations Unies. Cette idée, visant à pouvoir parler d’une seule voix au sein de l’ONU, déconcerte la France qui voit son statut particulier de membre permanent du Conseil de sécurité menacé.
 
Ces désaccords auraient pu être évités si le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité, créé en 1988, fonctionnait efficacement. Ce conseil réunit, deux fois par an au moins, les chefs d’État et de gouvernement ainsi que les Ministres des Affaires étrangères et de la Défense des deux pays. Son travail consiste notamment à élaborer des concepts communs en matière de politique de sécurité et de défense, à prendre des décisions concernant les unités militaires communes que souhaitent mettre en place la France et l’Allemagne et à développer et approfondir leur coopération en matière d’armement. Cet organe doit garantir une concertation sans cesse renforcée des deux pays sur "toutes les questions relatives à la sécurité européenne". Bien que cet objectif soit resté aussi d’actualité qu’il y a trente ans, cela fait longtemps que les deux parties n’y accordent plus beaucoup d’importance. La discussion sur les principes et les grandes orientations de la coopération franco-allemande en matière de sécurité et de défense est ainsi éludée face à l’urgence d’agir dans un environnement géostratégique évoluant de manière extrêmement rapide. Ces thèmes devraient pourtant se trouver au cœur du travail de cet organe : pour cela, une refonte radicale du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité est essentielle. Le conseil aurait en effet une portée bien plus importante si sa présidence était rattachée au palais de l’Élysée et à la Chancellerie fédérale. La relation bilatérale particulière de la France et de l’Allemagne mérite qu’on lui accorde une place à part, et non des moindres, puisque la politique de sécurité et de défense est cruciale pour le destin de l’UE.

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