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26/03/2020

Coronavirus : l’Asie orientale face à la pandémie - Corée du Sud : dépistages, investigations ciblées et la question de la vie privée

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Coronavirus : l’Asie orientale face à la pandémie - Corée du Sud : dépistages, investigations ciblées et la question de la vie privée
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Institut Montaigne

Cet article a été mis à jour le 9 avril. 

Notre série "Coronavirus : l’Asie orientale face à la pandémie" se poursuit avec le cas de la République de Corée. En Europe, le pays est désormais érigé en modèle pour sa pratique à grande échelle du dépistage, et pour avoir mis à disposition des tests gratuits à travers le pays. À l’instar de Taiwan et de Singapour, la Corée du Sud a su réagir immédiatement aux premiers signes de crise qui remontaient de Wuhan, et a mis en place une surveillance numérique stricte des individus placés en quarantaine. Néanmoins, la Corée du Sud a dû faire face à l’émergence d’un foyer de contamination majeur, dans la ville de Daegu, à l’origine de la conduite par le gouvernement d’une enquête épidémiologique de grande ampleur. La Corée du Sud offre une perspective intéressante pour penser la notion de vie privée par temps de pandémie, non seulement par son usage des outils numériques pour le contrôle de l’épidémie, mais aussi par son débat sur la protection des patients contre des fuites en ligne de leur identité. 

Chronologie

  • 3 janvier : Premières mesures renforcées de dépistage et de quarantaine pour les voyageurs arrivant de Wuhan
  • 8 janvier : Premier cas suspect de Covid-19 en Corée du Sud
  • 20 janvier : Premier cas confirmé, une femme chinoise
  • Fin janvier : Mobilisation de la population pour une interdiction d’entrée de tous les voyageurs chinois, avec une pétition signée par environ 540 000 Sud-Coréens
  • 31 janvier : Évacuation de 700 ressortissants sud-coréens de Wuhan, accueillis dans deux centres d'isolement
  • 4 février : Approbation par les Centres coréens de contrôle et de prévention des maladies (KCDC) d’un kit de dépistage du Covid-19 développé par l’entreprise coréenne Kogene Biotech ; lancement de sa production
  • 12 février : Évacuation de 147 nouveaux individus de Wuhan, dont des ressortissants sud-coréens et des membres de leur famille chinoise
  • 18 février : Test positif de la "patiente 31", membre de la secte Shincheonji, suspectée d’avoir transmis le virus à des centaines de personnes dans la ville de Daegu, où une task force spéciale est envoyée
  • 21 février : Multiplication par six, en trois jours, du nombre de cas, qui passe à 204, probablement en lien avec la patiente 31 ; 16 196 individus déjà testés, la plupart à Daegu
  • 23 février : Niveau d’alerte relevé au niveau "rouge" par le gouvernement (le plus élevé)
  • 25 février : Obtention par les KCDC de la liste des 210 000 membres de l’organisation religieuse Shincheonji et contrôle épidémiologique de ces derniers en les localisant grâce à leurs téléphones portables
  • 26 février : Ouverture de centres de dépistage "drive-through" permettant aux individus d’être testés en restant dans leur voiture
  • 29 février : Annonce de la mise à disposition, par des organismes publics, de 4,5 millions de masques, dont 1,54 million pour Daegu et Cheongdo (villes foyers du virus) ; "distanciation sociale" recommandée
  • 1er mars : Plainte pénale déposée par le Gouvernement municipal de Séoul contre le chef de la secte Shincheonji, pour meurtre et violation de la loi sur le contrôle des maladies
  • 2 mars : Distribution, par la Poste coréenne, de 650 000 masques dans ses 1 406 bureaux postaux, avec un plafond de cinq masques par client à la fois (environ 0,75 dollar US l’unité)
  • 3 mars : Création de centres de traitement (Life treatment centers, 생활치료센터) pour accueillir, dans toutes les villes, les patients atteints mais présentant des symptômes légers
  • 5 mars : Annonce, par le Premier ministre, de l’interdiction des exportations de masques et de la garantie d’une distribution équitable à la population
  • 9 mars : Le président Moon Jae-in déclare que la Corée du Sud s’apprête à entrer dans une "phase de stabilité"
  • 15 mars : Daegu déclarée "zone spéciale de catastrophe" par Moon Jae-in, une première pour une situation sans lien avec une catastrophe naturelle
  • 19 mars : La procédure d’entrée spéciale (special entry procedure) est étendue à tous les voyageurs entrants (prise de température, déclaration de santé, historique de déplacement et informations de contact)
  • 22 mars : Décision gouvernementale de dépistage systématique auprès des voyageurs arrivant d'Europe, à l’aéroport. Début de la "Campagne de distanciation sociale", prévue jusqu’au 7 avril
  • 26 mars : Lancement d’un nouveau programme de contact tracing numérique accélé utilisant le big data 
  • 1er avril :  Quarantaine obligatoire de 14 jours pour tous les voyageurs entrants (coréens et étrangers) 
  • 5 avril : L’amende pour violation de quarantaine à domicile passe à 8 257 dollars US 
  • 13 avril : Les visas de court séjour et les programmes d’exemption de visas sont annulés pour les pays barrant l’entrée aux ressortissants sud-coréens
     

Analyse

La République de Corée est désormais prise en exemple par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), pour l’ensemble des mesures qu’elle a prises pour répondre à la crise du coronavirus. Le gouvernement est jusqu'à présent parvenu à contenir l'épidémie sans confinement ni fermeture de ses frontières. Le nombre de cas recensés dans le pays est malgré tout élevé, avec 10 450 cas au 10 avril. La République de Corée a développé une stratégie de dépistages de masse, avec une capacité quotidienne de 20 000 tests. Au 10 avril, un total de 503 051 tests avait été réalisés. La première phase de la réponse coréenne rappelle à bien des égards les approches singapourienne et taiwanaise, avec notamment une réaction rapide du gouvernement par anticipation de la crise et le recours à des procédures mises au point après l'épidémie du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) de 2015, qui avait causé 38 décès en Corée du Sud. Cependant, le pays a dû lutter contre un important foyer de cas recensés dans la ville de Daegu, conséquence des activités de l’Église Shincheonji. L’existence de ce foyer a accéléré le choix, par le gouvernement, d'un recours à des dépistages de masse.

La République de Corée a développé une stratégie de dépistages de masse, avec une capacité quotidienne de 20 000 tests.

Juste après la révélation de signalements crédibles de cas de pneumonie contagieuse grave à Wuhan, les autorités sanitaires sud-coréennes ont adopté des mesures de surveillance. Une équipe d'urgence est rapidement mise en place par les Centres coréens de contrôle et de prévention des maladies (KCDC, 질병관리본부) afin d’analyser cette nouvelle pathologie.

 Le 3 janvier, des mesures de contrôle renforcées - quarantaine comprise - sont adoptées pour les voyageurs en provenance de Wuhan. Pour se préparer à l'afflux de visiteurs chinois induit par les célébrations du Nouvel An chinois, le KCDC demande également aux établissements de santé de renforcer la prévention et le contrôle des infections.

Courant janvier, l'apparition de cas sur le territoire coréen en l'absence de restrictions de voyage suscite l'indignation de l’opinion publique. Une pétition, publiée sur le site internet de la Maison bleue (résidence du président de la République de Corée du Sud) et appelant à une interdiction d’entrée visant tous les voyageurs chinois, reçoit 540 000 signatures. Cette pression de l'opinion publique n’a néanmoins pas d’impact sur la stratégie coréenne, fondée sur la prévention : dépistages, mises en quarantaine locales et incitations à la mise en quarantaine individuelle spontanée. Le KCDC entreprend une enquête épidémiologique et retrace l’historique des récentes interactions des cas confirmés (contact tracing), une mesure qui s’applique également aux voyageurs en provenance de Wuhan. La Corée du Sud, comme d’autres pays, prend la décision de procéder à des évacuations d’individus présents à Wuhan : le 31 janvier, deux vols spécialement affrétés évacuent environ 700 ressortissants sud-coréens et les conduisent dans des installations dédiées pour un isolement de 14 jours.

La rapidité de cette réaction n'a néanmoins pas permis d'empêcher l’accélération soudaine de la contagion au milieu du mois de février. Une "super-spreader", également connue sous le nom de "Patiente 31", est à l’origine d’un important foyer de cas dans la ville de Daegu. Au 24 mars, 71,28 % des cas coréens confirmés de Covid-19 se trouvent dans la seule zone de Daegu. Membre de l'Église Shincheonji de Jésus, secte chrétienne sud-coréenne, cette femme a été en contact avec plus de 1 100 personnes lors d'un rassemblement religieux à Daegu, ville du sud-est du pays comptant 2,5 millions d'habitants. Par trois fois, elle a refusé de se plier à un test de dépistage du coronavirus, prétextant qu'elle n'avait pas voyagé en Chine récemment. Une enquête du ministère de la Justice révèle alors que la secte possède une officine secrète à Wuhan et que 42 de ses membres y sont passés avant de rejoindre la Corée au cours des six derniers mois ; une enquête criminelle est lancée. Début mars, le foyer de contagion de Daegu est à l’origine d’une multiplication par 100 du nombre de cas recensés en Corée du Sud. Cette accélération si rapide explique pourquoi un grand nombre de patients présentant des symptômes légers se rendent dans les hôpitaux. Dans le même temps, au 21 février, 1 800 patients sont chez eux dans l’attente d'un lit d'hôpital ; deux d'entre eux décèdent entre-temps.

Une des spécificités de la gestion coréenne de la crise réside dans la nécessité de gérer la propagation massive du virus dans un foyer localisé, Daegu et ses environs, impliquant par là-même un ajustement de la stratégie gouvernementale élaborée pour l’échelle nationale. Ainsi, le ministère de la Santé et de la Protection sociale et le KCDC envoient une équipe spéciale à Daegu pour mettre en œuvre des mesures de contrôle spécifiques en collaboration avec le gouvernement local.

Début mars, le foyer de contagion de Daegu est à l’origine d’une multiplication par 100 du nombre de cas recensés en Corée du Sud.

Le KCDC décrit cette nouvelle approche comme un mélange d' "endiguement et d'atténuation". À partir du 24 février, dans les municipalités infectées de Daegu et Cheongdo, l'accent est davantage mis sur l'isolement et le traitement des cas potentiels que sur le traçage. Dans d'autres régions, "une enquête épidémiologique et une désinfection de l'environnement sont entreprises pour trouver les cas qui seraient liés à l’Église Shincheonji et pour prévenir une propagation sporadique". Même si le traçage n’est pas priorisé dans le plus grand foyer du virus, le gouvernement n’abandonne pas pour autant cette approche en dehors de la région pour identifier les cas.

En effet, le gouvernement coréen s'engage alors dans une campagne nationale ciblée de dépistage auprès des membres de l’Église Shincheonji. Le 25 février, le KCDC obtient la liste complète des 210 000 membres de l’organisation religieuse, présents dans 12 branches à travers le pays, et commence à les soumettre à des tests et à contrôler leurs déplacements. Cette campagne de dépistage ciblée implique un effort de coordination entre l’échelon national et l’échelon local. Les autorités locales reçoivent la liste des membres de l’Église Shincheonji recensés dans leur région et les contactent par téléphone, un par un. Le 9 mars, le KCDC déclare que le dépistage dont font l’objet les 10 000 membres de l’organisation religieuse vivant à Daegu est presque terminé.

Après la découverte, le 16 mars, d'un second foyer dans une église de Seongnam, près de Séoul, le gouvernement lance le 22 mars une "campagne de distanciation sociale" ("사회적 거리두기" 캠페인), prévue pour une durée de deux semaines. Cette campagne incite à l’interruption des activités religieuses, sportives et de loisirs. Le maire de Séoul prend la décision de fermer plusieurs églises. L'église de Seongam n'avait pas respecté la recommandation précédemment émise à propos des rassemblements religieux, entraînant l'infection d'au moins 51 personnes. Selon une étude du KCDC publiée le 22 mars, 34 % des cas d’infection recensés en Corée du Sud concernent des adolescents ou des patients dans leur vingtaine. Une possible explication à ce ratio réside probablement dans le fait que, comme à Singapour, les jeunes respectent moins les règles de la distanciation sociale que les générations plus âgées.

34 % des cas d’infection recensés en Corée du Sud concernent des adolescents ou des patients dans leur vingtaine.

Au-delà de Daegu et de l'affaire de l’Église Shincheonji, la gestion de crise sud-coréenne repose sur une campagne de dépistage de grande échelle. Après l'épisode de la mauvaise gestion de l'épidémie de MERS en 2015, le KCDC crée un processus d'autorisation rapide des kits de dépistage, qui autorise un lancement immédiat de la production en cas d'épidémie. Auparavant, le secteur privé, qui pèse pour 90 % de la production coréenne de kits de dépistage, était soumis à une procédure longue d’autorisation.

C’est grâce à ce nouveau système que, dès le 4 février, l’entreprise coréenne Kogene Biotech Co Ltd obtient l’autorisation d’urgence du ministère de l’Alimentation et de la Sécurité des médicaments pour le nouveau kit de dépistage qu’elle vient de développer - soit deux semaines seulement après la publication, par la Chine, de la séquence génétique du Covid-19. Ce kit de dépistage, capable de fournir un résultat en six heures, devient disponible dans 50 cliniques trois jours seulement après son approbation officielle. Les autorités sanitaires coréennes sont ainsi en mesure de procéder au dépistage de centaines de milliers de citoyens en l'espace de quelques jours.  Fin mars, cinq entreprises coréennes produisaient des kits de dépistage et la Corée du Sud avait commencé à exporter des tests, notamment vers l'Europe.

La campagne de dépistage combine gratuité et, dans certains cas, traçage obligatoire. Les tests sont gratuits pour les cas suspects (c'est-à-dire présentant des symptômes ou en lien avec un cas confirmé) depuis janvier, y compris pour les ressortissants étrangers. Le gouvernement prend à sa charge les frais d'hospitalisation et de traitement et offre une indemnisation aux individus qui se sont spontanément mis en quarantaine. Après l'expérience de Daegu, le gouvernement coréen crée des centres de dépistage "drive-through", permettant aux individus d’être gratuitement testés en restant dans leur voiture. Les résultats sont ensuite envoyés par SMS. L'objectif de ces structures est de limiter les contacts entre patients et personnel médical et de gagner du temps sur le processus de dépistage, puisqu'il est possible de tester 10 personnes par heure. En un mois, 40 centres de dépistage de cette nature sont déployés à travers le pays. Pour faire face à la vague de voyageurs infectés de retour en Corée ou souhaitant s’y rendre après la mi-mars, le gouvernement décide, le 22 mars, de procéder à des dépistages à l'aéroport pour tous les voyageurs en provenance d'Europe. Les passagers arrivant de pays membres de l’Union européenne testés positifs sont transférés à l'hôpital et pris en charge immédiatement. Les passagers dont le test est négatif doivent se plier à une période de quarantaine ; les ressortissants coréens sont soumis un deuxième examen dans les trois jours suivant leur arrivée.

Le gouvernement coréen a également recours à une recherche intrusive des antécédents de contacts (contact tracing, ou analyse des dernières interactions des individus) pour suivre les cas confirmés et suspects ; le consentement préalable des individus en question n’est pas nécessaire. Dans un premier temps, pour déterminer qui est entré en contact avec un porteur du virus, le KCDC utilise principalement les données issues des téléphones portables et les enregistrements fournis par les caméras de vidéosurveillance. Le quotidien Chosun Ilbo décrit le processus comme suit : 1/ identification des personnes qui se sont trouvées à moins de 2 mètres d'un cas confirmé un jour avant que l’individu n’ait commencé à présenter des symptômes, et 2/ approfondissement du processus d’identification en fonction des conditions de l’interaction (si l’individu portait un masque, s’il éternuait, etc.). Les cas suspects sont ensuite placés en quarantaine pendant 14 jours, et ce, qu'ils présentent ou non des symptômes (des dépistages sont effectués si des symptômes apparaissent, sauf pour les "groupes à haut risque" liés aux principaux foyers de contamination). Les relevés des cartes bancaires sont également utilisés pour améliorer la traçabilité, car ils sont plus précis que les données téléphoniques : environ 80 % des transactions en Corée sont désormais effectuées par paiement en carte bancaire. Ce traçage se fait en collaboration avec les sociétés de cartes bancaires : le KCDC leur transmet des informations portant sur un cas avec la date de ses premiers symptômes, et les sociétés renvoient ses données bancaires. La législation coréenne prévoit en temps normal que l’accès à ce type d'information nécessite l’approbation du tribunal ou le consentement individuel. Mais en temps de crise nationale, le KCDC est légalement autorisé à s’affranchir de cette étape. L'article 76-2 de la "loi sur le contrôle et la prévention des maladies infectieuses" stipule que, si cela est nécessaire pour prévenir les maladies infectieuses et enrayer la propagation du virus, le ministère de la Santé et le KCDC peuvent demander aux agences administratives, aux gouvernements locaux, aux institutions publiques, aux institutions médicales, aux entreprises, aux organisations et aux individus de fournir des informations personnelles sur les cas confirmés et suspects (y compris des informations relatives aux déplacements des patients).  Cet article a été ajouté le 6 juillet 2015, après l'épidémie de MERS, afin de conférer au ministère de la Santé et au KCDC l'autorité légale de collecter des données personnelles sans mandat (les autorités sanitaires, sous la loi précédente, avaient rencontré des difficultés dans la compréhension du cheminement de la contagion pendant l'épidémie de MERS, ce qui leur avait valu beaucoup de critiques).

Les personnes mises en quarantaine sont strictement surveillées, comme à Singapour et à Taiwan. Le ministère coréen de l'Intérieur et de la Sécurité a développé une application mobile intitulée "self-quarantine safety protection", mise à la disposition des utilisateurs d'Android et d'IoS. L'application surveille la localisation de l'utilisateur mis en quarantaine et propose un canal direct permettant de contacter les autorités sanitaires et de rendre compte de l'évolution de ses symptômes. Les représentants sanitaires peuvent statuer de la nécessité ou non d’un dépistage plus tard dans la période de quarantaine. A partir du 1er avril, tous les passagers entrants sont contraints à se plier à une quarantaine de 14 hours, subissent un dépistage à leur arrivée s’ils montrent des symptômes ou viennent d’Europe (pour les individus sans symptôme, la quarantaine peut se faire à domicile ou dans un centre dédié). Toute violation des termes de la quarantaine est sanctionnée par une amende pouvant atteindre 3 millions de wons pour une première infraction (2 477 dollars US), puis dix millions de wons (8 257 dollars US), voire une peine d’un an de prison depuis le 5 avril

L'application surveille la localisation de l'utilisateur mis en quarantaine et propose un canal direct permettant de contacter les autorités sanitaires et de rendre compte de l'évolution de ses symptômes.

Élément plus spécifique encore au cas sud-coréen, la polémique au sujet de la divulgation publique de l'identité et de la localisation des patients et des individus mis en quarantaine. Sur son site web, le KCDC fournit des listes de cas confirmés. Même si les noms sont tus, un large éventail d'informations personnelles est divulgué : âge, sexe, quartier, lieu où l'infection a eu lieu. Les autorités locales relaient ces informations par le biais des médias locaux et sociaux. Certaines villes diffusent même des "alertes d'urgence" par SMS pour porter à la connaissance des habitants du voisinage, la recension de cas confirmés. Les noms ne sont pas mentionnés, mais des informations comme la profession de l’individu, la structure qui l’emploie et ses antécédents de voyage sont relayées et même traduites en anglais pour les habitants étrangers. Des initiatives privées voient même le jour, procédant à une agrégation de toutes ces données fournies par le KCDC via le site web Coronamap.

L'atteinte à la vie privée devient si forte que la Commission nationale des droits de l'Homme s'inquiète de la divulgation excessive d'informations privées sur les patients, trop aisément identifiables par leur lieu de travail ou leurs antécédents de voyage. Le 10 mars, le KCDC en vient à prendre de nouvelles directives visant à empêcher les gouvernements locaux de divulguer des informations comme l’adresse postale ou l’employeur, trop susceptibles de faciliter l’identification personnelle des patients. Une exception est néanmoins concédée pour les cas où un patient a infecté un grand nombre de collègues au travail. Le 26 mars, le gouvernement lance un nouveau programme numérique de contact tracing s’appuyant sur le big data, qui réduit à 10 minutes le temps nécessaire pour mener une enquête épidémiologique. Seul le KCDC est autorisé à accéder aux données - et aucune autre agence gouvernementale

Le gouvernement coréen, comme celui de Taiwan, a adopté une politique industrielle visant à soutenir et à contrôler la production et la distribution de masques. Le pays a une capacité de production quotidienne de 10 millions de masques, mais 90 % des matières premières rentrant dans la production sont importées de Chine. Cela explique pourquoi la politique coréenne visant à stimuler la production s'est concentrée sur la production locale et la vente au détail de la principale matière première utilisée pour ce faire : les filtres non-tissés par voie fondue. Selon le ministre des Finances, Hong Nam-ki, la Corée du Sud vise une augmentation de sa production quotidienne de masques de 10 millions d’unités à au moins 13 millions. Pour éviter les pénuries, le gouvernement limite d'abord les exportations de masques (plafonnées à 10 % de la production) avant de les interdire complètement à partir du 5 mars. Le même jour, pour éviter les phénomènes de stockage auxquels il a été confronté quelques temps plus tôt, le gouvernement coréen décide de rationner et de contrôler leur distribution à l’échelle nationale. Le Premier ministre Chung Sye-kyun annonce que les masques seront d'abord mis à la disposition des secteurs médicaux, policiers et en quarantaine, puis distribués uniformément à l'ensemble de la population. Le service postal coréen est mobilisé pour distribuer 650 000 masques dans l'ensemble de son réseau de bureaux de poste, l'achat étant limité à cinq masques par personne au prix de 1 000 wons par unité (environ 0,75 dollar US). Si l’on compare les stratégies de production et de distribution de masques sud-coréenne et taiwanaise, l’approche coréenne semble moins réussie. Conscient de cet échec relatif, le vice-ministre coréen de la Santé déclare le 1er mars : "Nous présentons nos profondes excuses à la population concernant les problèmes de masques".

Une réaction rapide, centrée sur le traçage et la surveillance dans le but d’éviter une contagion d’ampleur, des contrôles aux frontières ciblés puis progressivement étendus, et une politique de quarantaine stricte.

La crise de Daegu conduit l'administration de Moon Jae-in à déclarer, le 15 mars, "zone spéciale de catastrophe" la ville et trois municipalités voisines de la province du Gyeongsang du Nord. C'est la première fois que ce statut est déclaré pour une situation sans lien avec une catastrophe naturelle. En vertu de la législation coréenne, les habitants des zones désignées peuvent bénéficier d'une aide de l'État couvrant leur frais de subsistance et bénéficier d'exemptions de paiement pour des frais inhérents à des services publics ou de frais liés à l'assurance maladie. Le gouvernement coréen prévoit même un budget supplémentaire de 11 700 milliards de wons sud-coréens (environ 8,81 milliards de dollars US), dont 1 000 milliards de wons pour la zone de Daegu et la province du Gyeongsang du Nord (environ 753 millions de dollars US) - la loi est adoptée par l'Assemblée nationale le 17 mars.

Les médias associent la réponse sud-coréenne à l’idée de dépistages de masse. Il est vrai que la mise à disposition de tests gratuits (et la possibilité de se faire dépister en restant dans sa voiture) a été un élément majeur de la réponse gouvernementale sud-coréenne. Elle inspire aujourd'hui d’autres États. Pourtant, force est de constater que ni le nombre de masques disponibles, ni la quantité de tests, ne suffisent à couvrir l'ensemble de la population sud-coréenne. La particularité de la réponse sud-coréenne réside dans deux éléments complémentaires à l’approche du dépistage. D'abord, l'enquête d’ampleur menée pour gérer l’accélération des cas à Daegu et éviter la contagion, à l’échelle nationale, des membres de la secte de l’Église Shincheonji, en mettant à profit toutes les données disponibles. Deuxièmement, le fait que la réponse de la Corée du Sud la rapproche de la gestion de crise mise en œuvre par les autres dragons asiatiques : une réaction rapide, centrée sur le traçage et la surveillance dans le but d’éviter une contagion d’ampleur, des contrôles aux frontières ciblés puis progressivement étendus (mais sans fermeture à la fin mars, contrairement à Taiwan et Singapour), et une politique de quarantaine stricte. La divulgation de l’identité des patients infectés et la manière dont le gouvernement central est intervenu pour mettre fin à ces pratiques souligne une tension forte entre, d’une part, les avantages du rôle dissuasif d’une approche de type "name and shame" sur le comportement d’une population, et, d’autre part, l'impact de cette dernière sur la vie privée et les droits individuels.

 

Mathieu Duchâtel, François Godement, Fiona Trichard et Viviana Zhu -  Programme Asie de l’Institut Montaigne

 

Copyright : ED JONES / AFP

 

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