Certaines propositions énoncées dans son programme semblent difficilement réalisables sans fondamentalement entraver l'intégration européenne. Par exemple, si Marine Le Pen ne s’oppose pas aux accords de libre échange de l’UE, elle propose d’en exclure l’agriculture. Une telle mesure paraît dès lors difficilement acceptable pour les partenaires commerciaux de l’UE. De plus, les négociateurs européens seraient sans doute contraints de suspendre les négociations en cours avec l’Australie et la Nouvelle Zélande.
D’importantes contradictions peuvent également être identifiées dans son programme : si Marine Le Pen approuve "l’autonomie stratégique" de l’UE dans le domaine du climat et de l’environnement, elle propose de retirer la France du Pacte Vert européen, qui vise précisément à rendre l’UE neutre en carbone d’ici 2050. Elle souhaite que la France décide de manière autonome comment décarboner, et dans quelles énergies investir, même si cela mène à la violation des règles de concurrence. Elle souhaite également retirer la France du marché européen de l’électricité.
De même, Marine Le Pen soutient la libre circulation des personnes mais souhaite la limiter aux détenteurs de passeport de l’UE (la proposition n’est pas claire quant au statut des Suisses, des Norvégiens, des Islandais et des Liechtensteinois qui bénéficient aujourd’hui du régime Schengen). De plus, elle souhaite que la France puisse empêcher les migrants extra-européens d’avoir recours à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme les protégeant de l’expulsion. Elle propose de limiter les aides sociales et les logements sociaux aux citoyens français (certaines aides ne seraient disponibles que pour ceux qui ont travaillé en France un minimum de 5 ans). Elle soutient également la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières de l’espace Schengen.
Marine Le Pen risque de rencontrer d’importants obstacles…
Pour mettre en place un tel programme, Marine Le Pen ne pourra cependant agir seule et de façon unilatérale. Elle doit compter, nous l’avons déjà dit, sur une majorité à l’Assemblée nationale, mais aussi sur l’Union elle-même. Certes, la candidate du Rassemblement National a de bonnes relations avec deux chefs de gouvernements européens : le Premier ministre hongrois Viktor Orbán et le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki. La première rencontre entre Marine Le Pen et Viktor Orbán remonte à octobre 2021, au cours d’une visite à Budapest. Les rencontres entre Marine Le Pen et Mateusz Morawiecki ont été fréquentes au cours des dernières années, la dernière en date remonte au mois de décembre 2021 lors d’un sommet organisé par le Premier ministre polonais réunissant plusieurs dirigeants nationalistes et d’extrême droite. Il y a peu de doute que, de par leurs proximités avec la candidate, Orbán et Morawiecki miseraient sur une France dirigée par Le Pen pour les soutenir dans leur croisade contre la primauté du droit européen. Ce soutien serait d’autant plus important pour ces pays alors que la Commission européenne vient de lancer une procédure contre la Pologne et la Hongrie permettant de suspendre l’accès à certains fonds européens.
Toutefois, il est difficile d’imaginer une situation dans laquelle la France, la Pologne et la Hongrie pourraient, à eux seuls, entraver les décisions européennes. Rappelons d’abord que leurs relations n’ont pas toujours été au beau fixe. La Pologne a récemment menacé de couper ses liens diplomatiques avec la Hongrie qui se garde de critiquer directement la Russie, sous le feu de la communauté internationale depuis le début de la guerre en Ukraine. De plus, ni la Pologne ni la Hongrie, tous deux bénéficiaires nets des fonds de l’UE, ne risquent d’apprécier la proposition de Marine Le Pen visant à réduire drastiquement la contribution française au budget européen. Mais le frein le plus conséquent réside dans le processus décisionnaire du Conseil de l’UE (composé des 27 États membres) et dont la plupart des votes se tiennent selon la méthode de la majorité qualifiée. Cela signifie que la France, la Pologne et la Hongrie auraient besoin de l’appui d’autres États membres afin de bloquer une proposition émise au sein de l’institution (cette majorité devant représenter au moins 55 % des États représentant au moins 65 % du total de la population européenne).
… Mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne pourra pas affaiblir l’Union
Marine Le Pen dispose d’autres moyens pour affaiblir l’Union de l’intérieur.
La candidate du Rassemblement national pourrait être tentée d’entraver toute négociation au sein du Conseil dans le but d’obtenir des concessions pour la France. Si cette option devait échouer, Marine Le Pen pourrait retourner la situation à son avantage et blâmer Bruxelles. En prévision d’une telle posture, des pays comme l’Allemagne tenteraient de calmer les velléités françaises, en laissant se prolonger la durée des discussions. Les divisions européennes pourraient, de facto, s’en trouver aggravées. L'agenda européen serait bousculé et le rythme de travail en pâtirait lourdement.
Ajouter un commentaire