Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
06/02/2017

Le monde attend de la France qu’elle retrouve son exemplarité

Imprimer
PARTAGER
Le monde attend de la France qu’elle retrouve son exemplarité
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Moyen-Orient, Europe, Amérique, Asie,... Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse chaque semaine l'actualité internationale pourles Echos.

Affaire Fillon, montée de Marine Le Pen, absence de réformes en profondeur : la France est de nouveau sous les projecteurs à l'étranger, non pas pour l'admirer, mais pour s'inquiéter d'une dérive de la démocratie.

Il y a quelques jours le Los Angeles Times consacrait un article à Benoît Hamon décrit, probablement à tort, comme le Bernie Sanders français. Jamais sans doute la presse étrangère ne s'est à ce point passionnée pour une élection présidentielle en France. Comment expliquer cet intérêt qui par certains cotés nous flatte - une telle attention n'est-elle pas la preuve que nous sommes toujours la "Grande Nation" ? - mais qui doit plutôt nous interpeller. A moins de cent jours de l'élection, le monde nous regarde avec un mélange grandissant de curiosité, d'incompréhension et d'inquiétude que "l'affaire Fillon" ne fait que renforcer. Avec la France tout apparaît toujours si incertain, sinon imprévisible.

Depuis les attentats de janvier et de novembre 2015 à Paris puis celui de juillet 2016 à Nice, la France est sous les projecteurs du monde. A l'incertitude sécuritaire, s'ajoute désormais l'incertitude politique. Aujourd'hui en plein tourbillon médiatique, "le pays des Droits de l'homme" peut apparaître alternativement comme le dernier rempart face à la montée des populismes ou une étape supplémentaire et peut-être décisive dans la remise en cause du modèle démocratique. Avant même l'éclatement de l'affaire Fillon, la principale préoccupation des marchés et des chancelleries était de savoir si Marine Le Pen pouvait réellement arriver au pouvoir en France.

Les explications rassurantes, données généralement par les Français eux-mêmes, ne suffisent plus à convaincre au lendemain de la victoire du Brexit et de Donald Trump. "Jamais deux sans trois", dit la sagesse populaire. Pourquoi les élites françaises feraient-elles preuve de plus de lucidité et de vision dans leurs prévisions électorales, que leurs homologues britanniques et américaines ?

Le dernier clou dans le cercueil de la démocratie ne risque-t-il pas d'être planté par le pays européen qui se sent depuis la Révolution Française comme le plus porteur d'un message universel ? Après Washington, Paris. La victoire de Trump marque la fin ou du moins la mise entre parenthèses du monde occidental, tel qu'on l'entendait hier encore. La victoire de Marine Le Pen en France marquerait la fin de l'Euro et celle du projet européen. C'est ainsi en tout cas que l'on regarde la situation de l'autre coté du Rhin. La venue de Marine Le Pen au pouvoir serait perçue comme un tremblement de terre à Berlin. "On ne demande pas grand chose aux Français, mais pourraient-ils enfin faire preuve de sérieux ? Qu'ils n'arrivent pas à faire des réformes économiques est une chose. Qu'ils se sabordent politiquement et donnent de la démocratie la pire des images en est une autre. Reprenez-vous vite avant qu'il ne soit trop tard, pour vous comme hélas pour nous, car vous entraîneriez le projet européen dans votre chute !"

C'est à peu près en ces termes qu'un ami allemand, qui a exercé d'importantes responsabilités, me confiait ses inquiétudes face à la "fluidité" de la situation politique en France. Au delà de l'inquiétude d'un "Européen de cœur", il y a chez mon interlocuteur comme l'expression d'une préoccupation plus profonde et plus morale. "Qu'est-il arrivé à la classe politique française, pour qu'elle ait perdu ainsi le contact avec la réalité et le sens des responsabilités ? Il y a ce qui est légal, il y a aussi ce qui est acceptable politiquement !".

Du coté de l'Europe du Nord, où il n'est pas permis d'employer des membres de sa famille dans des fonctions d'assistants parlementaires, on comprend moins encore les mœurs politiques françaises. Au Danemark, pays de la série télévisée "Borgen", le sort de François Fillon aurait été scellé beaucoup plus rapidement.

De l'autre côté de la Manche, les inquiétudes sont les mêmes mais proviennent davantage des milieux économiques et financiers, que des responsables politiques. L'avenir de l'Europe n'est pas leur problème. Ils se demandent à l'heure des scandales politiques, si le risque France n'a pas été sous-évalué et en particulier si la dette française est toujours aussi sure qu'on pouvait le penser hier ? Il n'est pas bon de rajouter de l'incertitude à l'incertitude.

Du côté des pays autoritaires, comme la Russie ou la Chine, la confusion politique française est perçue comme la preuve supplémentaire du dysfonctionnement systémique du modèle démocratique à l'occidentale. "Arrêtez de nous faire des leçons de morale, vous voyez bien que votre mode de fonctionnement politique ne marche plus, s'il a jamais marché !".

L'affaire Fillon est tout à la fois emblématique de la crise du modèle démocratique dans son ensemble et révélatrice de ce qui demeure comme une quasi exception française au sein des pays démocratique. La corruption n'est pas seulement affaire d'argent. Elle commence dans les esprits, quand on cesse de se fixer des limites et que ces limites ne sont plus fixées par le système en place. La France de 2017 est-elle à ce point différente de la France à la veille de la seconde guerre mondiale, celle que décrivait avec talent et férocité, Jean Renoir, dans un film sorti en juillet 1939 qui demeure comme un des chefs d’œuvre du cinéma français : "La Règle du Jeu" ?

Pour son bien, pour celui de l'Europe et de la cause de la démocratie, la France et surtout sa classe politique, doivent regarder du coté des Lumières du Nord. Une étude récente publiée par Les Echos plaçait le Danemark, la Norvège, la Suède parmi les cinq meilleurs pays où il faisait bon travailler pour les jeunes, et on serait tenté de rajouter, pour tous ceux soucieux de rigueur et d'éthique et qui voient dans "les Lumières du Nord" le seul modèle capable de régénérer et donc de sauver la démocratie. Comment les élites peuvent-elles être porteuses d'un message d'espoir si elles se placent elles-mêmes au-dessus des règles ou si, plus grave encore, elles ne comprennent plus qu'il doit exister des règles de décence et de bon sens qui s'appliquent à tous'

Pour aller plus loin

L'onde de choc du décret anti-immigration de Donald Trump

Le chemin de croix de Theresa May

Trump est l’incarnation d’un système démocratique dévoyé

Tenons-nous à distance de Poutine

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne