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30/01/2017

L’isolationnisme de Trump plonge l’Asie dans l’inconnu

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L’isolationnisme de Trump plonge l’Asie dans l’inconnu
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Moyen-Orient, Europe, Amérique, Asie,... Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse chaque semaine l'actualité internationale pourles Echos.

Pendant des décennies, l'Amérique a joué en Asie un rôle stabilisateur face à une Chine toujours plus puissante. En brisant cet équilibre, Donald Trump pourrait pousser les pays de la zone à s'allier.

Pendant près de soixante-dix ans, les États-Unis ont constitué pour le continent européen une forme d'assurance-vie ultime contre toutes les formes de danger, au premier rang desquels l'appétit de puissance de l'URSS, redevenue la Russie. Puissance européenne, les États-Unis sont aussi une puissance asiatique, jouant sur ce continent (en dépit des guerres de Corée et du Vietnam) le rôle de "balancier" qui était celui de la Grande-Bretagne dans l'Europe du XIXe siècle.

En Asie, les États-Unis ont comme tâche principale d'équilibrer la Chine et de contenir les dérives baroques et dangereuses de la Corée du Nord. La montée des ambitions et des capacités militaires de la Chine, les secondes confortant les premières, a poussé les alliés traditionnels des États-Unis que sont le Japon et la Corée du Sud à rechercher toujours davantage la protection américaine. Du Vietnam aux Philippines, de l'Indonésie à Singapour, sans oublier bien sûr Taïwan, la montée des ambitions de Pékin renforce le besoin de protection.

Doute grandissant

Le problème est que face à ce "plus de Chine", les pays de la région ont le sentiment de "moins d'Amérique". Ce qui n'était qu'une tendance inquiétante chez Barack Obama, avec l'échec relatif de sa politique de "pivot vers l'Asie", peut devenir une réalité infiniment plus dangereuse avec Donald Trump.

Avant l'élection de ce dernier, les Philippines s'étaient rapprochées de la Chine, promettant même de lui acheter du matériel militaire. Ce geste fort ­traduisait certes la personnalité ­"singulière" du nouveau président philippin, Rodrigo Duterte, et son irritation face aux critiques suscitées aux États-Unis par ses méthodes de répression particulièrement brutales. Mais cette "révolution diplomatique" est aussi révélatrice de l'existence d'un doute grandissant sur le prestige et la puissance des États-Unis.

En suggérant, dans ses propos de campagne, qu'il pourrait retirer la protection nucléaire que Washington ­fournit à la Corée du Sud et au Japon, Donald Trump prend le risque d'encourager une course aux armes nucléaires dans le continent asiatique. Il envoie aussi, en substance, un message ­troublant : "Débrouillez-vous seuls, désormais." Les États-Unis ne sont plus le balancier de l'Asie face à la Chine. Le message est rendu plus explicite encore par la dénonciation par Washington de l'accord de partenariat transpacifique (TPP) , et plus confus par le semblant d'ouverture à Taïwan.

Vers un monde multipolaire

Que veut vraiment l'Amérique ? Pousser les pays asiatiques dans les bras les uns des autres, pour qu'ils créent entre eux, à terme, une forme d'"Union pacifique" sur le modèle de l'Union européenne ? Ou, plus prosaïquement, abandonner ces pays à leur sort ?

Dans les deux cas, en rejetant le multilatéralisme au nom de "l'Amérique d'abord", Donald Trump ne fait que hâter l'avènement d'un monde multi­polaire qui aura comme principal ­ressort l'Asie. Seule une Amérique résolue dans son engagement, ouverte et rationnelle dans son comportement, pourrait ralentir un mouvement qui risque de s'accélérer au moment, précisément, où la centralisation toujours plus grande du pouvoir en Chine introduit un élément supplémentaire d'incertitude. La rencontre entre le despotisme, pas toujours éclairé, de la Chine de Xi Jinping et la provocation, érigée en dogme, des États-Unis de Donald Trump peut conduire à des catastrophes.

Au moment où de hauts diplomates du département d’État viennent de présenter collectivement leur démission, pour protester contre la violence et l'amateurisme de leur nouveau ­président, le pays d'Asie le plus "déboussolé" par cette nouvelle Amérique est peut-être, paradoxalement, la Chine. On la sent hésiter entre une certaine forme de jubilation idéologique et une angoisse bien réelle. Dans "Le Quotidien du peuple", l'organe de presse du Parti communiste chinois, on pouvait lire récemment ce commentaire : "La démocratie a atteint ses limites. Elle est devenue une arme pour des capitalistes qui courent après les profits."

Pour un pays qui a multiplié de façon exponentielle le nombre de ses milliardaires, la critique est amusante. Elle n'en est pas moins, en partie, justifiée. Depuis qu'à Washington la notion de vérité est devenue toute relative et qu'il existe des "faits alternatifs", peut-on toujours parler, comme on le faisait hier avec un sens de supériorité morale, de "géographie des valeurs" distinguant l'Occident démocratique du reste du monde ? Que représente encore, à l'heure du "mur" qui doit séparer les États-Unis du Mexique, cette statue de La Liberté éclairant le monde brandie comme un étendard par les manifestants de la place Tian'anmen en 1989 ? Autrement dit, l'Amérique de Trump peut-elle encore donner des leçons de morale démocratique aux Chinois ? C'est la Chine, à l'inverse, qui donne des leçons de capitalisme aux États-Unis. Il suffit, pour s'en convaincre, d'écouter le discours du président Xi Jinping à Davos et son éloge de la mondialisation. Les États-Unis risquent de passer, avec Donald Trump, du statut de puissance protectrice du statu quo à celui de première source d'incertitude sur le plan mondial - autrement dit, un pompier pyromane.

Si la Chine se donne le beau rôle et entend profiter de la donne stratégique nouvelle, il n'en existe pas moins comme un parfum d'inquiétude à Pékin face à l'imprévisibilité du nouveau président des États-Unis. Le temps de la Chine et celui du monde occidental étaient déjà très différents hier : l'écart a littéralement explosé depuis l'élection de Donald Trump. Entre un "empire du Milieu" qui fait référence à des événements de son histoire qui se sont déroulés plus de mille ans avant Jésus Christ et le pays qui vit désormais à l'heure des "tweets" dans une immédiateté totale, il sera difficile de trouver un langage commun.

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