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09/11/2016

Les primaires : une avancée démocratique

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Les primaires : une avancée démocratique
 Marc-Antoine Authier
Auteur
Chargé d'études - Energie, Développement durable

L'élection présidentielle de 2017 constituera une étape importante dans l'histoire de la Ve République : les candidats des deux grandes familles politiques seront issus de primaires ouvertes, d'un côté celle de la droite et du centre, de l'autre celle de la Belle Alliance populaire. Elles consacreront ainsi la dynamique impulsée en 2012 par la double victoire du candidat François Hollande, d'abord aux primaires, puis à la présidentielle. Cette innovation n'en étant qu'aux prémices de son institutionnalisation dans le champ politique français, rien d'étonnant à ce qu'elle soit encore largement débattue.

Les primaires n’ont en effet pas fini de convaincre les Français. Les partis des deux extrêmes, dont la popularité révèle les clivages dont souffre notre société, ne s’y sont d’ailleurs pas ralliés. Mais avant de les récuser, soit au nom des stratégies politiciennes qui en auraient commandé l’apparition, soit au nom des discours démagogiques dont elles favoriseraient le développement, essayons d’abord d’envisager sereinement les avancées qu’elles peuvent porter.

Une dynamique démocratique

Les primaires constituent bel et bien un moyen de redynamiser notre démocratie. Dans le cadre du travail conduit pendant près d’un an par l’Institut Montaigne et piloté par Olivier Duhamel, politologue et professeur émérite à Sciences Po, une trentaine d’entretiens avec des personnalités issues d’horizons divers a clairement fait émerger l’idée que les primaires constituent tout à la fois une liberté supplémentaire pour les citoyens, une opportunité salutaire pour les partis et une chance pour notre démocratie.

En 2011, plus de 2,6 millions de citoyens se sont déplacés pour voter à la première élection primaire ouverte organisée à l’échelle nationale. Cette réussite pourrait suffire à justifier l’organisation de telles élections : les primaires constituent pour ainsi dire leur propre plébiscite. Alors que les citoyens se montrent de moins en moins enclins à se rendre aux urnes, tout instrument qui permet de les mobiliser davantage pour la chose publique est digne d’intérêt. Ce succès populaire s’explique d’ailleurs assez simplement, le citoyen apprécie le nouveau pouvoir qui lui est confié : choisir celui qui portera sa voix lors de l’élection présidentielle. Cette permission consacre le transfert vers la base électorale d’une prérogative trop longtemps accaparée par les appareils des partis : la désignation du champion. À l’heure où seulement 12 % des Français ont encore confiance dans les partis politiques, l’occasion semble trop belle de s’emparer de cette liberté nouvelle.

Certes, les primaires dépossèdent les caciques d’un apanage, mais les partis n’en sont pas nécessairement affaiblis pour autant. À tout le moins, leur rôle évolue. Ainsi, ils ne détiennent plus l’exclusivité de l’élaboration programmatique, et chaque candidat cherche à se distinguer par sa contribution personnelle, au risque de verser dans les promesses populistes. Tous clament alors à l’envi qu’ils sauront rassembler les Français, s’appropriant ainsi le rôle essentiel jusqu’alors dévolu à l’organisation qui leur donne la tribune. Les partis cèdent donc du pouvoir pour regagner en légitimité aux yeux des citoyens. Mais en ont-ils vraiment le choix ? Alors que notre économie se recompose progressivement sous les effets de l’"ubérisation", les intermédiaires sans valeur ajoutée sont appelés à se transformer ou à disparaître. Il appartient aux partis aussi d’apporter la preuve qu’ils constituent encore un élément clé du fonctionnement de notre démocratie.

De ce fait, les primaires constituent une opportunité tout autant qu’une menace pour les partis politiques : s’ils ne peuvent se rendre capables de mobiliser les citoyens, d’organiser à l’échelle nationale une élection en deux tours, de stimuler et d’encadrer le débat, les primaires précipiteront la disparition de ceux qui n’auront pas su s’adapter à leur temps ; dans le cas contraire, elles seront un puissant moyen de revitalisation. Ne rendons pas les primaires responsables du désamour des Français envers les partis. Elles représentent une opportunité de mobiliser, et ce au-delà même de leur seule base militante. La tâche, du reste, n’est pas aisée : alors que Les Républicains visent une participation supérieure à trois millions de citoyens, les listes déjà closes des inscrits à la primaire de l’écologie font état de quelque 17 000 votants par correspondance. Cela veut dire qu’un parti politique est certes une condition nécessaire au succès d’une primaire, mais certainement pas une condition suffisante.

En réalité, le défi est intrinsèquement lié à l’intérêt que les citoyens porteront aux primaires. Elles doivent à cette fin articuler deux logiques apparemment contradictoires : faire primer le débat des idées sur la compétition des ambitions et faire émerger de nouvelles idées que de nouvelles figures pourront incarner. La tâche n’est pas simple, mais le jeu en vaut la chandelle. L’élection de Barack Obama, encore inconnu du grand public en 2006, en a fourni une excellente illustration outre-Atlantique. L’investiture présidentielle de Donald Trump par le Grand Old Party en souligne au contraire les limites.

Les primaires ne sont évidemment pas vertueuses en elles-mêmes : elles ne constituent jamais qu’un moyen de redynamiser notre démocratie. Or toutes les avancées démocratiques que l’on voudra bien en attendre ne pourront être effectivement obtenues que si les conditions sont réunies. Celles-ci répondent à quatre principes généraux qui doivent présider à l’organisation des primaires : honnêteté, équité, pluralité, délibération. De leur respect dépend le succès de ces initiatives.

Le respect des règles

L’honnêteté tout d’abord. Les primaires sont l’occasion de refonder le pacte de confiance entre les citoyens et les partis. Cela signifie qu’elles doivent répondre de règles claires et précises, qui seront rigoureusement appliquées par les acteurs concernés. Qu’il s’agisse de la tenue du scrutin, des modalités de participation ou du financement des campagnes, la transparence du processus constitue un préalable indispensable à sa réussite. Et si la régularité du vote est sujette à caution, l’entreprise manquera à coup sûr son objectif. Aussi l’avancée majeure des primaires revient-elle à clarifier les modalités du processus qui doit aboutir à la désignation d’un candidat à l’élection : sinon, les règles du jeu ne sont connues que des seuls initiés.

Contrairement à une impression superficielle, les primaires n’attisent pas les tensions entre les prétendants à l’investiture : elles peuvent même les tempérer en les soumettant à des règles précises et partagées et en rendant publiques les luttes d’influence au sein d’une famille politique. Il suffit, pour s’en convaincre, de voir que les deux protagonistes du scandale qui avait suivi les élections pour la présidence de l’UMP en 2012 concourent aujourd’hui à la primaire de la droite et du centre dans des conditions, jusqu’à preuve du contraire, plus saines sur le plan démocratique.

La société civile fait figure de juge de paix : les médias rendront la justice par la publicité des mauvaises pratiques constatées et les électeurs par leur bulletin de vote. Les règles qui encadrent le processus doivent également garantir l’équité entre les candidats. Les primaires ne sauraient s’affranchir de ce principe essentiel : les règles qu’elles suivent constituent la garantie d’une compétition équitable entre les candidats, qu’il s’agisse du traitement médiatique qui leur est réservé ou des plafonds de financement en vigueur lors de la campagne.

On peut certes se poser la question : à qui incombe la responsabilité de fixer ces règles et d’en vérifier l’application ? Le Code électoral constitue déjà une source d’inspiration qu’il serait malencontreux d’ignorer. Cependant, le succès des primaires réside largement dans son indépendance vis-à-vis de l’État. Chacun doit pouvoir participer à cette célébration démocratique aux avant-goûts d’élection présidentielle : les partis par l’organisation du scrutin, les médias par le récit qu’ils feront de la campagne, les citoyens par leur participation active et, bien sûr, les candidats par la qualité du débat qu’ils sauront instruire.

L’équité est fondamentale aussi parce qu’elle permet l’expression des différentes sensibilités au sein d’une même famille politique. Comme les élections qu’elles préparent, les primaires se caractérisent par une tension entre le filtrage des candidatures, qui en assure la qualité et l’ouverture, qui garantit la pluralité des points de vue exprimés. Elles participent de la sorte au renouvellement des idées et des personnes qui les incarneront dans le paysage politique français. On saluera à cet égard toute initiative visant à l’émergence de candidatures hors parti, au moyen par exemple de parrainages issus de la société civile.

Si les primaires doivent favoriser la pluralité des points de vue, c’est aussi pour stimuler le débat en amont de l’échéance finale, ce qui est nécessaire et salutaire pour notre démocratie. Les candidats y saisiront l’opportunité de muscler leur programme, de tester leurs propositions et d’affiner leur discours. Dans cette perspective, la société civile en général et les lieux d’élaboration des idées en particulier ont un rôle clé à jouer : leurs efforts devront contribuer à stimuler le débat d’idées afin de s’assurer que le cœur des primaires demeure l’élaboration d’un projet ambitieux et constructif.

Article extrait de la revue Esprit.

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