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20/05/2016

Olivier Duhamel : "Les primaires s'imposent partout"

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Olivier Duhamel :
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Interview d'Olivier Duhamel, professeur émérite de droit constitutionnel et de science politique à Sciences Po, co-auteur avec l'Institut Montaigne de l'ouvrage Les primaires pour les nuls, parue dans Le Figaro, le 8 mai 2016.

La primaire de la droite et du centre en vue de l'élection présidentielle alimente les conversations. De leur côté, nombre de sympathisants de gauche en réclament une à cor et à cri. Olivier Duhamel, professeur émérite à Sciences Po, a ausculté la genèse et le développement des primaires dans les démocraties. Il publie, avec l'Institut Montaigne, Les Primaires pour les nuls, chez First Éditions.

LE FIGARO. - Les primaires sont apparues aux États-Unis à la fin du XIXe siècle. Dans quel contexte ?

Olivier DUHAMEL. - Les primaires sont nées d'une contestation des partis, de plus en plus coupés des citoyens, contrôlés par des bureaucrates, des «bosses». Cela vaut pour les États-Unis, au niveau local, dès la fin du XIXe siècle, et pour la France, au niveau national, au XXIe. L'explication de l'apparition et du succès des primaires est à la fois tocquevillienne et schumpétérienne. Tocquevillienne, car l'apparition et l'extension des primaires correspondent à la progression continue du mouvement démocratique : extension du suffrage universel, droit de vote effectivement accordé à toutes et à tous et, désormais, choix non seulement de l'élu, mais aussi du candidat. Schumpétérienne, car les partis connaissent un processus de destruction-reconstruction, de transformation sous la pression de crises. En France, il a fallu l'élimination de Jospin au premier tour de 2002 et les déchirements du congrès socialiste de Reims, en novembre 2008, pour décider d'une primaire ouverte afin de désigner le candidat à la présidentielle. À droite, il a fallu, là encore, la montée du Front national et la violence de l'affrontement Copé-Fillon en novembre 2012. L'équation est la même: tripartition + absence de leadership = primaire nécessaire.

Contrairement à l'opinion commune, aux États-Unis, les primaires ne se sont pas imposées sans difficulté ?

Durant les deux premiers tiers du XXe siècle, précisément de 1912 à 1968, seuls un quart des États avaient recours à des primaires. Les dirigeants des appareils politiques, locaux et nationaux, continuaient de maîtriser la désignation des candidats à la présidentielle. Roosevelt, gouverneur de New York, dut, pour obtenir une majorité des deux tiers des délégués à la Convention, choisir le Texan John Garner comme candidat à la vice-présidence. Il fallut l'accident de 1968, les protestations des pacifistes lors de la Convention de Chicago, la désignation par les «bosses» démocrates de Humphrey, qui n'avait participé à aucune primaire, sa défaite devant le républicain Nixon, pour que les primaires se généralisent. Et, au fil des années, le choix des candidats a échappé aux appareils pour appartenir aux électeurs.

Comment expliquer que l'Italie soit devenu le champ d'expérimentation des primaires en Europe ? Quels autres pays européens ont adopté ce système ?

Puisque les primaires offrent une réponse - partielle, certes, mais une réponse - à la crise des partis, il est logique qu'elles soient apparues en Europe d'abord dans le pays où cette crise explosa en premier. Elles se répandent ensuite, selon des modalités propres à chaque pays. Le Royaume-Uni retient par exemple des primaires fermées, réservées aux adhérents, mais avec adhésion facilitée, ce qui a permis l'élection inattendue de Corbyn à la tête du Parti travailliste. Le travail de l'équipe de l'Institut Montaigne montre bien que chaque pays qui recourt à des primaires calque leur organisation sur son système politique. Les partis américains recourent à "des" primaires, étalées dans l'espace et dans le temps. Les socialistes en 2011, les Républicains en 2016 organisent "une" primaire, nationale, à deux tours comme la présidentielle.

S'agissant de la France, quel crédit accorder à un sondage réalisé six mois avant une primaire ?

Si l'échantillon est conséquent, ce sondage décrit les rapports de force à l'instant T. Ce qui pèse sur la suite, avec l'effet de ralliement au vainqueur. Les sondages sur une primaire doivent, plus que toute autre enquête d'intentions de vote, être interprétés avec beaucoup de prudence, surtout lorsqu'il s'agit d'une première, comme la primaire de la droite et du centre en novembre prochain. Nous ne disposons d'aucune référence passée. Ajoutons que nous vivons des temps de grande contestation des establishments et de volatilité des électeurs. Pas un spécialiste des États-Unis n'aurait parié un dollar sur l'investiture de Trump comme candidat républicain, et les électeurs, venus en masse voter aux primaires républicaines, ont démenti tous les experts. Cela rappelé, durant la campagne des primaires, les sondages ont bien perçu la montée de Trump, confirmée et amplifiée au fil des votations.

Si 10% des sympathisants de gauche se déplacent pour participer à la désignation du candidat de la droite et du centre, celui-ci ne risque-t-il pas d'être fragilisé dans le cas où il l'emporterait de peu ?

Deux fois non. Parce que cet apport est rarement décisif, se contentant d'augmenter l'ampleur de la victoire. Et parce que les mêmes répéteront probablement leur venue lors de l'élection présidentielle. Les ex-hollandais décidant de voter Juppé à la primaire de novembre, pour la plupart d'entre eux voteront Juppé, s'il est investi, dès le premier tour de la présidentielle. Il ne s'agit donc pas d'un vote "tactique", pour perturber le jeu dans le camp adverse, mais d'un vote de conviction. Quant aux hollandais fidèles qui viendraient voter Sarkozy dans l'espoir de voir investi à droite le candidat que Hollande aurait le plus de chances de devancer, ils ne seront qu'une poignée. Il s'agit souvent d'élus, ou de proches d'élus connus dans leur commune, qui ne peuvent se faire voir à une primaire de la droite. L'expérience américaine montre que les électeurs adversaires calculateurs n'existent presque pas.

Le leadership du nouveau président, obligé de former un gouvernement comprenant certains des vaincus ralliés à lui pendant la campagne, ne va-t-il pas être précaire? Ne va-t-il pas se retrouver dans la position d'un premier ministre en régime parlementaire, qui peut toujours voir surgir un rival dans son parti?

Ce que vous décrivez comme une conséquence des primaires se produit en réalité presque toujours. De Gaulle associe des indépendants, des radicaux et des socialistes dans ses premiers gouvernements. En 1969, Pompidou y fait entrer des centristes qui l'ont soutenu contre Poher. Mitterrand prend des communistes en 1981 et nomme Rocard en 1988. Quant à l'exception Chirac en 2002, tous ou presque s'accordent aujourd'hui à y voir une erreur. S'agissant du surgissement d'un rival, nul besoin de primaires pour que Pompidou s'émancipe, Chirac conteste Chaban, Sarkozy défie Chirac, etc. Les primaires rendent simplement beaucoup plus visibles et un peu plus démocratiques les expressions du pluralisme au sein même des partis. Cela déplaît forcément aux tenants de nos anciennes et toujours pesantes cultures politiques très verticales, qu'elles soient monarchiste ou jacobine, césarienne ou catholique, bonapartiste ou stalinienne, guesdiste ou gaulliste… Peuvent en revanche s'en réjouir les démocrates de droite, de gauche, du centre ou d'ailleurs.

Avec l’aimable autorisation du Figaro.

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