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31/03/2016

Campagne de testing sur les discriminations : une fausse bonne idée ?

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Campagne de testing sur les discriminations : une fausse bonne idée ?
 Angèle Malâtre-Lansac
Auteur
Ancienne directrice déléguée à la Santé

Le gouvernement vient d'annoncer le lancement d'une campagne de testing sur CV pour mesurer les discriminations à l'embauche à raison de l'origine. On pourrait se réjouir d'une telle annonce : en refusant les statistiques ethniques, notre pays semble en effet trop souvent enclin à jeter un voile pudique sur la question des discriminations. Pourtant, à y regarder de plus près, le dispositif annoncé risque de passer à côté de ses objectifs pour deux raisons au moins : son annonce, qui annule l'effet de surprise et biaisera les résultats ; et surtout son ciblage, qui oublie les petites et moyennes entreprises comme la fonction publique.

En premier lieu, on peut s’étonner qu’une mesure visant à détecter les discriminations par l’envoi de candidatures fictives soit annoncée avant son déploiement. L’annonce faite par le gouvernement laisse peu de place à la surprise : entre 20 et 50 entreprises de plus de 1 000 salariés seront ainsi "testées" sur leurs offres de recrutement entre avril et juin afin de déterminer si les candidats portant un patronyme à consonance étrangère sont traités de la même façon que ceux aux noms réputés d’origine française.

Les entreprises de plus de 1 000 salariés ne sont pas si nombreuses en France, et la probabilité est forte qu’elles changent de façon temporaire leurs pratiques sans pour autant faire baisser les taux de discrimination. En effet, le testing proposé ne permet que de mesurer le taux de convocation à des entretiens d’embauche, et on peut aisément penser que les entreprises ciblées s’organiseront dans les prochains mois pour recevoir de façon systématique l’ensemble des candidats sans véritable volonté de les embaucher. Ainsi, les résultats risquent d’être biaisés et sans effet sur les pratiques des recruteurs.

En second lieu, le ciblage proposé par le gouvernement est insuffisant. Dans le testing mené par l’économiste Marie-Anne Valfort et l’Institut Montaigne entre septembre 2013 et septembre 2014, 6 230 employeurs avaient été testés, sur l’ensemble du territoire, montrant une forte discrimination à l’embauche à raison de la religion. Ce testing avait également révélé l’ampleur du phénomène qui touche largement les petites et moyennes entreprises comme les grandes, la fonction publique comme le secteur privé et le monde associatif. Dans l’étude Discriminations religieuses à l’embauche : une réalité, issue de ce testing, nous montrions qu’un candidat musulman a quatre fois moins de chances d’être convoqué à un entretien d’embauche qu’un candidat catholique. Un candidat juif a, pour sa part, 20 % de chances en moins d’être convoqué à un entretien d’embauche par rapport à son homologue catholique. A titre de comparaison, la discrimination à l’encontre des musulmans en France est six fois supérieure à celle subie par les afro-américains par rapport aux blancs aux Etats-Unis. Ces chiffres sont alarmants et laissent peu de place aux doutes sur la réalité de la discrimination.

Vouloir montrer du doigt uniquement les pratiques des grandes entreprises, alors qu’elles sont les plus équipées aujourd’hui pour traiter le phénomène, disposent bien souvent de directions de la diversité et forment leurs cadres à la question, c’est occulter que les discriminations touchent l’ensemble du marché de l’emploi et reflètent des stéréotypes et des peurs véhiculées dans l’ensemble de la société française. Les petites et moyennes entreprises représentent l’immense majorité du secteur privé et la fonction publique emploie 20 % des salariés. Ne pas chercher à connaître la réalité des pratiques de ces secteurs et se contenter de quelques dizaines d’entreprises de grande taille est extrêmement regrettable.

A l’heure où le dialogue social est au cœur de tous les débats, il aurait sans doute été fort utile de s’appuyer sur les branches professionnelles pour organiser des testing par secteurs d’activité afin d’inclure tous les recruteurs dans le dispositif et de mesurer le degré de discrimination avec finesse, secteur par secteur. Des solutions adaptées auraient ainsi pu être recherchées avec les partenaires sociaux.

Les discriminations sur le marché de l’emploi minent la cohésion sociale dans notre pays et privent les entreprises de nombreux talents. C’est l’ensemble des acteurs du marché de l’emploi qui doivent être mobilisés autour de cette question. Alors qu’une grande campagne de sensibilisation et de lutte contre les stéréotypes devrait être lancée et qu’une ligne de conduite claire concernant l’application du principe de laïcité en entreprise devrait être définie, on peut regretter la faiblesse des mesures proposées qui semblent bien en deçà des enjeux.

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