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13/01/2015

Maladies mentales : alerter sur le retard français

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Maladies mentales : alerter sur le retard français
 Marion Leboyer
Auteur
Responsable du pôle de Psychiatrie des hôpitaux universitaires Henri Mondor, directrice de la Fondation FondaMental


Tribune de Laurent Bigorgne, directeur de l'Institut Montaigne, et de Marion Leboyer, directrice de la Fondation FondaMental parue dans l'ena hors les murs, décembre 2014.

Par leur fréquence, leur sévérité et leurs impacts économiques et sociétaux, les maladies psychiatriques constituent un enjeu majeur de santé publique, pourtant sous-estimé en France. Dans une étude parue au mois d'octobre, l'Institut Montaigne et la Fondation FondaMental alertent les pouvoirs publics sur ces maladies méconnues et proposent des leviers d'action pouvant s'inscrire dans le cadre d'une politique de prévention innovante et efficace.

Les maladies psychiatriques se caractérisent par des troubles émotionnels et comportementaux qui altèrent le fonctionnement social, familial et professionnel des personnes qui en sont atteintes. L’OMS retient cinq maladies mentales parmi les dix pathologies majeures du XXIe siècle : la schizophrénie, les troubles bipolaires, les dépressions, les addictions et les troubles obsessionnels compulsifs.

Les maladies mentales sont des pathologies fréquentes et sévères. Elles touchent plus d’une personne sur cinq chaque année et une sur trois si l’on se réfère à la prévalence sur la vie entière. A l’origine de handicaps majeurs, ces pathologies sont responsables d’une mortalité prématurée due à la fréquence des suicides ainsi qu’aux pathologies somatiques qui leurs sont associées (maladies métaboliques et cardio-vasculaires), insuffisamment diagnostiquées et soignées chez les patients atteints de troubles mentaux.  

Leur pic d’apparition entre 15 et 25 ans en font des pathologies qui débutent chez le jeune adulte et durent la vie entière. L’Inspection générale des affaires sociales estime ainsi qu’un enfant ou adolescent sur huit souffrira d’une pathologie mentale. Pourtant, ces troubles ne sont que rarement détectés à ces âges, entraînant les jeunes patients vers une évolution chronique de leur pathologie grevant souvent leurs perspectives d’avenir. Parfois peu visibles dans les premiers temps, les maladies mentales s’accompagnent de souffrances aigües pour le patient et ses proches et sont souvent responsables d’une désinsertion sociale, familiale et professionnelle.

Alors même que le fardeau représenté par les maladies mentales s’avère considérable pour notre pays, les différents plans mis en œuvre n’ont, à ce jour, pas permis la conduite d’une politique de santé mentale satisfaisante. La Cour des Comptes évalue à 107 milliards d’euros par an les coûts directs (médicaux et médico-sociaux) et les coûts indirects (recouvrant la perte de productivité et de qualité de vie pour les patients) liés aux troubles psychiatriques. Accès aux soins tardif, retard au diagnostic, saturation de l’hospitalisation complète (…) caractérisent la prise en charge psychiatrique des patients en France et contribuent au poids colossal de ces maladies. De nombreux travaux ont démontré que la réduction de ce fardeau est corrélée à un investissement accru dans la recherche. Malgré cela, seuls 2 % du budget de la recherche biomédicale sont consacrés à la recherche en psychiatrie en France (soit environ 21 millions d’euros), contre 7 % en Grande-Bretagne et 16 % aux Etats-Unis.

Comment comprendre ces retards ? Les préjugés et la stigmatisation entourant les troubles psychiatriques jouent un grand rôle. La connaissance encore fragmentaire de leurs causes comme de leurs mécanismes physiopathologiques alimente l’image de "maladies à part". Enfin, le manque de consensus et les dissensions qui traversent la communauté médicale constituent un dernier obstacle.

Pourtant, aujourd’hui, des solutions existent qu’il est possible de mettre en œuvre rapidement. Les enseignements tirés de la recherche sont à cet égard éclairants : de nombreux travaux ont démontré qu’un diagnostic correct associé à la mise en œuvre d’une stratégie thérapeutique adaptée permet de favoriser une insertion familiale, sociale et professionnelle des patients de bonne qualité. Des exemples à l’international confirment qu’il est possible d’agir efficacement pour sensibiliser davantage aux maladies mentales et améliorer leur dépistage. En Australie, les autorités de santé ont constaté en 2007 que les adolescents et les jeunes adultes avaient peu d’accès aux informations et aux soins : l’Etat a alors investi près de 144 millions d’euros pour développer sur le territoire des structures attrayantes et accessibles aux jeunes de 12 à 25 ans, sous la forme de centres pluridisciplinaires en lien avec des services médicaux, scolaires et associatifs. En Suisse, un programme de prise en charge précoce des troubles psychotiques s’appuyant sur des équipes mobiles spécialisées a également démontré son efficacité en apportant la preuve de son bénéfice médical, humain et financier.

C’est en nous appuyant sur les expériences prometteuses et les données de la recherche que nous avons, à l’issue de nos travaux communs, identifié quatre leviers d’action prioritaire.

Quatre axes prioritaires
Il convient tout d’abord de réduire la stigmatisation des maladies mentales. Si pour plus de 6 0% des Français, informer sur les maladies, leurs facteurs de risque et les moyens de prévention et de traitements est prioritaire, peu d’actions d’envergure ont finalement été mises en œuvre et celles qui ont pu l’être ont connu un impact limité. L’enjeu est pourtant d’importance : à travers la diffusion d’une information de qualité, il s’agit de contribuer à un meilleur repérage des troubles par les proches, à un accès aux soins plus précoce ainsi qu’à une meilleure observance des traitements.  

Il faut ensuite améliorer leur dépistage précoce, qui accuse un retard lourd de conséquences pour la réussite des traitements et la qualité de vie des malades et de leur famille. Pour ce faire, il faut soutenir tous les mécanismes d’alerte. Cela implique notamment de renforcer les interactions entre les différents professionnels de santé et les acteurs des milieux scolaires et professionnels, mais aussi de développer la formation des professionnels de santé de première ligne – et notamment des médecins généralistes, qui sont les premiers au contact des malades non-diagnostiqués.

Le troisième axe prioritaire consiste à repenser l’organisation des soins psychiatriques. La lutte contre le cloisonnement des soins est essentielle pour améliorer la prise en charge somatique des patients aujourd’hui très défaillante. Cela nécessite de renforcer la formation continue des psychiatres et de créer des places dédiées pour les patients psychiatriques au sein des différents services des centres hospitaliers généraux. D’autre part, en complément de l’offre de soins existante, la psychiatrie doit se doter de filières de soins spécialisées par pathologies – à l’image des évolutions observées dans les autres disciplines médicales. Dans le champ de la psychiatrie, le dispositif des Centres Experts FondaMental pourrait être déployé. La création de ces unités spécialisées, associant soins et recherche est de nature à contribuer aux avancées dans la prise en charge des malades, grâce à une meilleure adéquation avec les recommandations internationales d’une part et à un transfert rapide des avancées scientifiques au bénéfice des patients d’autre part.

Enfin, il est urgent de renforcer la recherche. Pour ce faire, les pouvoirs publics doivent non seulement augmenter les financements mais aussi orienter cet effort vers la compréhension des causes et des mécanismes, l’identification des biomarqueurs et des facteurs de risque et l’innovation thérapeutique. Notre capacité à mieux comprendre, mieux diagnostiquer et mieux soigner ces pathologies dépend entièrement de la recherche et du progrès de nos connaissances. De récents travaux, menés par Rand Europe, démontrant l’importance du retour sur investissement de la recherche en psychiatrie devrait encourager nos décideurs à plus de volontarisme en la matière.

Les dernières avancées de la recherche appellent à changer radicalement de paradigme : les maladies mentales doivent être considérées comme des maladies comme les autres. Leur prévention se trouve à la croisée de problématiques nombreuses qui touchent non seulement aux questions de santé mais aussi de pauvreté, de migration, d’éducation et de cohésion sociale.

La politique de santé doit promouvoir la recherche et la prévention en mobilisant tous les acteurs, y compris les patients, autour d’objectifs communs : faire un diagnostic le plus précoce possible, proposer aux patients les meilleures stratégies thérapeutiques et instaurer un suivi rigoureux permettant de prévenir l’apparition du handicap et la prise en charge des comorbidités médicales.

La mise en œuvre d’une politique de prévention efficace en psychiatrie apparaît comme la seule stratégie à même de s’attaquer au fardeau énorme que représentent les troubles psychiatriques et d’améliorer significativement la vie des patients. Les maladies mentales ne sont pas une fatalité et le retard de la France peut être comblé : il est de notre devoir collectif de nous en saisir.

- Voir l’étude de l’Institut Montaigne et de la Fondation Fondamental : Prévention des maladies psychiatriques : pour en finir avec le retard français, octobre 2014.
- Découvrir des infographies inédites réalisées à partir de données extraites de l'étude
- Lire la tribune de David de Rothschild, président de la Fondation FondaMental et Claude Bébéar, président de l’Institut Montaigne
 
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