Le document cite quatre risques soulevés par les fournisseurs extra-européens :
- De forts liens voire une dépendance du fournisseur vis-à-vis d'un gouvernement,
- Le dispositif législatif de cet État et les obligations qui en découlent pour les entreprises (question de l’existence ou non de contre-pouvoirs démocratiques dans le pays tiers),
- La structure actionnariale du fournisseur,
- Les formes de pression dont dispose le pays tiers vis-à-vis de ce dernier, en matière de fabrication du matériel par exemple.
Ces quatre critères ne sont pas sans évoquer l'image que l’on a généralement de Huawei, même si l'entreprise se défend d’une telle image. Par ailleurs, l'Union européenne recommande vivement de s'appuyer sur plusieurs fournisseurs plutôt que sur un seul.Cette recommandation ne joue pas en faveur de Huawei, car l’entreprise chinoise a tendance à proposer des systèmes fermés, qui impliquent un coût plus important en cas de changement de fournisseur.
Face à cette situation, les grands États membres de l’Union européenne ont conçu des réglementations ou des lois nouvelles qui, sans viser les entreprises ou les fournisseurs de pays tiers, fixent en revanche des critères d'autorisation ou de refus pour la participation des fournisseurs aux réseaux de télécommunications nationaux. Cela s'applique tout particulièrement au réseau 5G (au Royaume-Uni, l’idée d'un démantèlement des réseaux 4G existants a été discutée). Ces règles sont censées être non discriminatoires, mais elles laissent un certain pouvoir de décision aux gouvernements - ce qui signifie que les décisions qui seront prises seront, en fin de compte, discrétionnaires. Ces mesures européennes ne vont pas non plus jusqu'à une interdiction totale de certaines entreprises en matière d’approvisionnement, contrairement à ce qu’ont institué les États-Unis.
Tout ceci ne clôt pas pour autant le débat, débat qui est aujourd’hui particulièrement vif en Allemagne. En septembre dernier, au retour de son déplacement en Chine, Angela Merkel avait déclaré qu'aucun fournisseur ne serait exclu en raison de sa nationalité en Allemagne. Une autre déclaration a évoqué la possibilité d’un test de fiabilité à faire passer au fournisseur. La chancelière allemande a également soulevé l’enjeu du développement par l’Europe, de services cloud visant à réduire la dépendance de l’UE vis-à-vis des entreprises américaines. Pourtant, les investissements nécessaires pour parvenir à cette autonomie en matière de cloud seraient plus importants encore que ceux que nécessite le développement de la 5G... Cela n’a pas manqué d’agiter le débat public, y compris au sein du gouvernement allemand.
Plus globalement, le dilemme européen autour de la 5G est fortement lié à la politique industrielle, au soutien à l'innovation et à la souveraineté économique. L'approche traditionnellement adoptée par l’UE a souvent impliqué le recours à des subventions et l’idée de "champions nationaux", des éléments contestés par les défenseurs du libre marché et de l'accès à l'innovation mondiale. Pourtant, les entreprises européennes clés de la 5G sont nées en Finlande et en Suède, et non au sein des grands États membres. Recevront-elles autant de soutien pour devenir des "champions européens" ? Les arguments en faveur de cette voie sont immenses, d'autant plus que le marché américain de la 5G sera lui aussi immense et que la concurrence exercée par les entreprises chinoises soutenues par l'État dans les pays tiers est intense.
Une chose est claire : si les Européens ne soutiennent pas directement les entreprises qui, en Europe, participent à cette course mondiale, ces derniers risquent de tomber sous le contrôle de concurrents tiers ou de géants de l'informatique qui auront décidé de s'engager en tant que fournisseurs 5G. Autre évidence, la virtualisation des réseaux, associée à des solutions cloud et à des réseaux d'accès radio (radio access networks), les logiciels en open source et le chiffrement de bout en bout sont des solutions préférables à une distinction contestable entre "cœur" et "périphérie" des réseaux. Si les entreprises européennes sont bien placées en matière de hardware et d'intégration, les entreprises américaines sont, elles, en tête en ce qui concerne les solutions logicielles ou software. Cette réalité invite à une coopération réfléchie entre les parties qui sont sur la même ligne générale. L'appel américain en faveur de la sécurité a un fondement solide ; il faudrait néanmoins qu’il s’accompagne d’une coopération vers des solutions communes, notamment en matière de vérification et de définition des fournisseurs de confiance. Les négociations à venir devront être détaillées, avec la mise en place de garanties de sécurité fiables. En cela, l'Union européenne a un rôle important à jouer, bien au-delà des capacités de chaque État membre et des opérateurs de télécommunications existants.
Ce texte a d’abord été publié en anglais par l’Observer Research Foundationdans le cadre de The Raisina Edit, traduit et adapté avec son aimable autorisation.
Copyright : HECTOR RETAMAL / AFP
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