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18/09/2023

Vers un été indien budgétaire ?

Vers un été indien budgétaire ?
 Lisa Thomas-Darbois
Auteur
Directrice adjointe des études France et Experte Résidente

Par sa session extraordinaire de septembre, dédiée à un examen du projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027, le gouvernement tâche de montrer son sérieux budgétaire mais n’emporte pas l’adhésion. Comment tracer une trajectoire pluriannuelle véritablement ambitieuse et apte à répondre à un déficit structurel ? Se contenter d’identifier les niches fiscales inutiles ou trop brunes est un palliatif. Dans ce billet, Lisa Thomas-Darbois en appelle à revivifier le débat budgétaire en le fondant sur une vision politique qui le sorte de son atonie.

Alors que les vagues de chaleur ont semblé prolonger l’été, la présentation prochaine des textes financiers, fin septembre en Conseil des ministres, nous rappelle que la saison automnale est pourtant bien proche. Le 27 septembre prochain marquera en effet le lancement officiel du "sprint budgétaire", période intense pendant laquelle les projets de loi de finances (PLF) et projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) seront de nouveau soumis à l’examen du Parlement.

Mais avant d’ouvrir officiellement cette nouvelle période budgétaire, une session extraordinaire est prévue pour un nouvel examen du projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027 (LPFP). Rejetée l’année dernière par l’Assemblée nationale, cette loi de programmation - qui n’est pas une loi de finances - n’avait pas été sauvée par l’un des multiples 49.3 utilisés à l’automne 2022. Cette année, les choses seront sans doute différentes : grâce à cette session extraordinaire de septembre, le gouvernement pourra recourir au 49.3 sans "griller" sa cartouche annuelle lors de la session ordinaire.

Derrière le nouvel examen de la LPFP : crédits budgétaires européens et nécessité de rétablir une crédibilité budgétaire… à défaut d’un équilibre de nos comptes publics

Pourquoi dédier une session extraordinaire courant septembre à cette loi de programmation budgétaire qui, comme les précédentes, ne sera sans doute pas respectée ? Tout d’abord car l’adoption d’une loi de programmation budgétaire est exigée par la Commission européenne dans le cadre du déblocage de la totalité des près de 40 Md€ alloués à la France dans le cadre du plan national de relance et de résilience (PNRR). Une dizaine de milliards d’euros doivent ainsi être débloqués en 2023 et huit milliards en 2024, en contrepartie de l’adoption d’une loi de programmation budgétaire digne de ce nom.

L’adoption d’une loi de programmation budgétaire est exigée par la Commission, et le gouvernement tient à rassurer ses partenaires financiers. 

Deuxième raison : le gouvernement tient à rassurer ses partenaires financiers. La séquence "retraites" de l’hiver dernier l’avait déjà démontré, le gouvernement tâche de prouver son sérieux budgétaire. La marche est pourtant bien haute… Selon le dernier rapport annuel de la Cour des comptes sur la situation des finances publiques françaises, la France pourrait être, d’ici à 2026 l’unique pays de la zone euro à avoir un déficit supérieur à 3 % du PIB.

Cette loi de programmation - aussi nécessaire soit-elle pour le gouvernement - devrait de nouveau être confrontée à un rejet massif de la part des oppositions - LR, RN et NUPES en tête - comme ce fut le cas à l’automne dernier. Si les positions respectives des députés NUPES et RN se traduisent par une opposition presque systématique à la politique conduite par le gouvernement - et par extension aux textes budgétaires proposés - la défiance des Républicains à l’égard d’un tel projet de loi suscite quelques interrogations. Disciples de la rigueur budgétaire, l’absence de consensus sur la nécessité de l’adoption d’un tel texte peut paraître étonnante. Ces derniers soulignent pourtant le manque d’ambition de la trajectoire pluriannuelle présentée par l’exécutif, notamment en matière de réduction de la dépense publique qu’ils jugent insuffisamment rapide.

Certes, la dégradation de nos finances publiques résulte - en partie - de la mise en œuvre de mesures protectrices pour les ménages et les entreprises face à la crise sanitaire puis énergétique. Toutefois, comme le relève la Cour des comptes, une grande partie du déficit est de nature structurelle et ne pourra se résorber sans maîtrise de long terme de nos dépenses publiques. En ce sens, chaque projet de loi de finances se doit de répondre aux objectifs de réduction de la dépense publique fixés en LPFP. À cet égard, le PLF 2024 a pour ambition initiale de porter de 10 à 15 Md€ d’économies mais se contentera peut-être plus modestement de respecter les prévisions budgétaires du gouvernement qui ont pour objectif un déficit public de - 4,4 % pour 2024.

Une grande partie du déficit est structurel et ne pourra se résorber sans maîtrise de long terme de nos dépenses.

Le retour de l’éternelle méthode de la revue des dépenses fiscales ?

Si l’on se réfère aux plafonds de dépenses du PLF 2024 publiés en juillet dernier par Bercy, les dépenses publiques devraient être réduites de 4,8 Md€ en 2024 par rapport à l’année précédente. Cette baisse sera notamment le fruit de l’arrêt progressif de certaines mesures coûteuses en faveur du pouvoir d’achat des ménages - bouclier tarifaire - et de l’éternelle chasse aux dépenses fiscales.

Grand marronnier de la préparation budgétaire, l’identification des dépenses fiscales - dispositions législatives dérogatoires qui représentent ainsi une perte de recettes fiscales pour l’État - inutiles ou trop coûteuses, est un incontournable des projets de loi de finances. Représentant chaque année près de 90 Md€, le coût de ces niches fiscales est scruté de près par les gouvernements successifs en quête de pistes d’économies. Cette année, et après près de quatres tentatives avortées au cours des dernières années, la niche fiscale sur le gazole non routier (GNR) risque d’être définitivement supprimée pour certains secteurs : agriculture ou BTP pourraient ne plus en bénéficier. 

De même, les dépenses fiscales jugées trop "brunes" - comme c’est le cas de celle sur le GNR - font désormais l’objet d’une revue spécifique dans cette nouvelle dynamique du "budget vert", initiée en 2020. Brunes, vertes ou jaunes, ces niches fiscales qui touchent aussi bien les entreprises que les ménages, seront une fois encore au cœur des débats parlementaires.

Pour une réinvention de nos débats budgétaires : l’évaluation contre le dogme

Il est dommage que ces heures de discussion et d’examen à venir, en commission et en séance publique, à l’Assemblée nationale et au Sénat, ne se réduisent désormais plus qu’à des arbitrages techniques. Les intérêts catégoriels sont pesés, analysés et confrontés : qui des agriculteurs, des ménages les plus modestes, des travailleurs sociaux, des grandes entreprises du BTP, des retraités ou encore des restaurateurs réussiront, cette année, à conserver certaines des dérogations qui leur ont été accordées il y a des années voire des décennies ?

Qui réussira à conserver certaines des dérogations accordées il y a des années voire des décennies ?

Ces questionnements révèlent l’atonie du débat budgétaire, qui, depuis l’année dernière et dans cette configuration politique, est amenée à perdurer. À l’heure où près d’une dizaine de 49.3 jalonneront encore le chemin des multiples navettes parlementaires qui attendent nos textes budgétaires, il convient de changer notre logiciel d’évaluation de nos dépenses. Car, il faut sans doute le rappeler, aucune dépense n’est due.

Si le consentement à l’impôt et une contribution commune pour l’entretien de la force publique sont nécessaires - Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 - rien n’oblige l’État à reconduire éternellement de multiples dépenses qu’il aurait engagées les années précédentes. Sociales ou non. Légitimes ou non. Politiquement acceptables ou non.

La mise en œuvre d’une nouvelle méthode de vote et d’évaluation de nos crédits budgétaires est prioritaire. Seules les dépenses efficaces, ayant fait leur preuve, doivent pouvoir être reconduites sur le fondement d’une discussion budgétaire éclairée et dont la polémique politique pourrait être atténuée par ce nouveau principe de réalité.

Il convient de changer notre logiciel d’évaluation de nos dépenses. Car, il faut sans doute le rappeler, aucune dépense n’est due.

En ce sens, l’instauration des "Printemps de l’évaluation" dès 2018 est louable et permet un dialogue budgétaire entre parlementaires, exécutif et administration publique sur les dépenses engagées l’année précédente. Toutefois, l’absence d’exhaustivité des dépenses évaluées, d’organisme indépendant et de méthodologie statistique, économique voire sociologique fiable, ne permet pas une revue efficace des dépenses. Sur le modèle des "sunset clauses" - clauses d’extinction - au Royaume-Uni, certaines nouvelles dépenses pourraient être bornées dans le temps et ainsi uniquement renouvelées si les évaluations sont concluantes.

Certaines dépenses pourraient être bornées dans le temps et uniquement renouvelées si les évaluations sont concluantes.

Ces dernières pourraient être confiées à des institutions ou organismes indépendants et qualifiés tels que des centres de recherches universitaires. Face à la multiplication des crises notamment politiques à venir, donnons-nous les moyens de recréer un débat parlementaire de qualité… et notre budget nous le rendra ! 

Copyright Image : Bertrand Guay / AFP

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