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05/05/2015

Tout savoir sur le projet de loi sur le renseignement

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 Institut Montaigne
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Que contient le projet de loi relatif au renseignement ? Quels seront ses effets immédiats ? Quelles critiques peut-on formuler sur ce sujet ?

Alors que les députés ont adopté en première lecture le projet de loi controversé sur le renseignement, Sébastien-Yves Laurent revient pour l'Institut Montaigne sur les principaux points de la loi, ses effets immédiats ainsi que les sujets d'inquiétude et de débats qu'elle soulève.

"Cette loi est importante, c’est la première loi votée en France portant spécifiquement sur le renseignement et il y a un assemblage de dispositions assez diverses dans la loi, focalisées principalement sur la menace terroriste.

D’abord, la loi donne aux services de renseignements, à ceux qui ont l’étiquette de service de renseignement, une série de moyens nouveaux, en leur donnant une base juridique. Ce sont des moyens que l’on qualifie de moyens spéciaux d’investigation, qui sont particulièrement intrusifs. Désormais, les services de renseignement peuvent en disposer. Deuxième disposition de la loi, elle créée également, au bénéfice d’un des services de renseignement, « Tracfin », des capacités nouvelles à avoir accès à des données d’un type nouveau. Enfin, l’administration pénitentiaire se voit reconnaître la capacité de procéder à des brouillages, à des interceptions. Donc on voit avec ces dispositions qu’elles sont particulièrement spécialisées sur la menace terroriste et le danger de radicalisation.
Deuxième point, la loi créée une nouvelle commission de contrôle, la CNCTR, qui aura la capacité de contrôler l’usage par les services de renseignement, de ces nouveaux moyens spéciaux d’investigation.

Il y a enfin un troisième point important, c’est le fait que les citoyens, et les membres de la commission de contrôle se voient reconnaître la possibilité d’introduire un recours auprès du Conseil d’État. On a là une loi extrêmement composite, et qui, officiellement, porte sur le renseignement, mais qui en fait porte beaucoup plus sur la façon dont les services de renseignement peuvent lutter contre une menace particulière, le terrorisme.

Dans un premier temps, la France sort immédiatement de la situation de vulnérabilité dans laquelle elle était en Europe. Il n’y avait pas de cadre fixé par la loi pour les services de renseignement et pour leurs pratiques. C’est la fin d’une exception française.

L’autre point extrêmement important, c’est que les services sortent d’une certaine forme d’illégalité, parce qu’ils avaient, ponctuellement, rarement on peut le souhaiter, recours à des pratiques intrusives. Désormais, un cadre leur est proposé : cela leur donne une forme de sécurité juridique, et c’est un point tout à fait important.

L’autre point c’est qu’avec la loi, un débat a existé, un débat à l’Assemblée nationale, un débat bientôt au Sénat, et un débat médiatique qui n’est pas inintéressant à observer. Il y a eu une mobilisation d’une partie de l’opinion publique et d’un certain nombre de députés qui n’étaient pas très au fait, jusqu’alors, de ces questions. Là aussi, il faut s’en réjouir, pour l’amélioration de la perception de ce qu’est le renseignement et ce que sont les services de renseignement. Le débat a été si vif, que le Président de la République, craignant un blocage, a décidé de demander une consultation au Conseil Constitutionnel.

Parmi la critique la plus récurrente, et la plus forte, on retrouve celle que le juge judiciaire n’exerce pas de contrôle. En effet, la Commission de contrôle qui a été créée par la loi nouvelle, est une autorité administrative indépendante. Ce qu’il faut relever, c’est que dans aucun pays au monde le contrôle judiciaire n’est possible. Ni en Grande-Bretagne, ni aux États-Unis, le juge judiciaire classique n’intervient, et c’est la même chose en France.

Parmi les autres critiques, il y a celles qui ont émané des acteurs du numérique, soit des citoyens, ou des acteurs économiques, c’est la question de l’interception des données, avec une disposition tout à fait intéressante et importante dans la loi, qui est celle des algorithmes qui seront mis par les services de l’État chez les fournisseurs d’accès, en vue de surveiller les trafics, afin de repérer ce qui serait synonyme ou susceptible d’être une radicalisation ou un indice de radicalisation. S’il y a eu une vive mobilisation contre cela, ce qu’il faut bien dire c’est que lors de la discussion qui a été engagée par le gouvernement lors du processus législatif avec les acteurs du numérique, le gouvernement s’est engagé à ce que ces algorithmes ne touchent en fait qu’aux données de données et pas au contenu des messages échangés, et de toute façon il y aura le contrôle de la commission.

Une autre critique qui a été formulée, c’est qu’en fait la loi est peut-être passée à côté de l’ambition primitive. En effet, la majorité actuelle, dans l’opposition, avait esquissé un projet de loi au début de l’année 2012, qui était un peu l’esprit d’une loi-cadre sur le renseignement. On a là une loi sur le renseignement mais portant spécifiquement sur la menace terroriste. Or, la loi en voie d’être votée ne pose pas la question sur un plan beaucoup plus large, ne met pas le renseignement sur sa finalité ultime, qui est de fournir un service d’analyse stratégique pour les plus hautes autorités de l’État. Le terrorisme est une menace importante, même décisive, on le sait très bien, mais il y a d’autres menaces, et les services de renseignement n’ont pas pour vocation exclusive de lutter contre le terrorisme. De ce point de vue, on peut regretter que la loi ne fasse pas sa place à ce qu’est avant tout le renseignement, un outil au service de l’analyse stratégique."

Retrouvez notre étude Pour une véritable politique publique du renseignement

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