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28/06/2023

Sommet pour un nouveau pacte financier mondial : quel bilan ?

Sommet pour un nouveau pacte financier mondial : quel bilan ?
 Alain Le Roy
Auteur
Expert Associé - Géopolitique et Diplomatie

Que retenir du sommet pour un nouveau pacte financier mondial des 22 et 23 juin dernier ? Avec l’ambition de "construire un nouveau consensus pour un système financier international plus solidaire", ce sommet a réuni à Paris des chefs d’État et de gouvernement, des organisations internationales et des représentants de la société civile du monde entier. Alain Le Roy, Ambassadeur de France et ancien Secrétaire général adjoint de l’ONU, revient sur les objectifs et les résultats de cette rencontre.

Quels enseignements tirez-vous de ce sommet, en particulier sur l’état des relations entre Occident et pays du "Sud global" ?

Une des considérations principales qui a présidé à la décision de réunir ce sommet a été la volonté de lutter contre le risque croissant de fragmentation du monde, entre d’une part "l’Occident", symbolisé par le G7, et d’autre part ce que l’on appelle désormais le "Sud global".

De ce point de vue, le Sommet de Paris a été une réussite. Il a tout d’abord été précédé, le 21 juin, veille du sommet, par une tribune publiée par de nombreux journaux français et internationaux et intitulée Nous devons faire des transitions justes et solidaires. Et cette tribune, dont la France est l’instigatrice, a été signée - il est important de le souligner - par 13 chefs d’État, chefs de gouvernement et responsables politiques, dont, outre le Président Emmanuel Macron, les Présidents des États-Unis, du Brésil, d’Afrique du sud, du Sénégal, du Kenya, des Émirats arabes unis, le Chancelier d’Allemagne, les Premiers ministres du Japon, du Royaume-Uni, de la Barbade accompagnés des Présidents du Conseil européen et de la Commission européenne.

Le sommet a également réuni à Paris un grand nombre de chefs d’État et de gouvernement. Au-delà de la plupart des signataires de la tribune, se sont notamment présentés au rendez-vous le Premier ministre de Chine, la Secrétaire d’État au Trésor des États-Unis, le Prince héritier d’Arabie saoudite, la ministre indienne des finances, ou encore le Secrétaire général de l’ONU, le Président de la Banque mondiale, la Directrice générale du FMI, le Président en exercice de l’Union africaine, la Directrice générale de l’OMC, le Secrétaire général de l’OCDE ainsi qu’un grand nombre d'autres chefs d’État ou de responsables d’organisations internationales, d’institutions financières et d’ONG.

La France a donc réussi son pari, en démontrant sa capacité à réunir autour d’une même table les principaux responsables du G7, de la Chine et du Sud global afin d’échanger de thèmes d’intérêt commun, et ce, alors même que la guerre en Ukraine a largement contribué à accroître les divisions au sein de la communauté internationale. Une dynamique véritablement positive s’est instaurée entre l’ensemble des acteurs présents au sommet.

Un consensus s’est forgé pour éviter une fragmentation sur la question du rapport entre financement du climat et financement du développement. Une grande partie des pays du Sud reproche à ceux du Nord de prioriser la lutte contre le réchauffement climatique au détriment des questions de développement. De leur côté, les chefs d’État africains ont ainsi rappelé que près de 60 % des Africains n’avaient pas encore l’accès à l’électricité et qu’il était donc impossible de se passer des énergies fossiles aussi rapidement.

Les discussions ont permis de faire émerger un consensus sur cet enjeu délicat - consensus reflété dans les conclusions du sommet : "Aucun pays ne devrait avoir à choisir entre la lutte contre la pauvreté et la préservation de la planète. Les pays doivent s’approprier les stratégies en matière de transition, tout en conjuguant leurs efforts pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris".

Un autre consensus s’est également dégagé sur la nécessité de renforcer l’architecture internationale de financement du développement, de redoubler d’efforts du point de vue des aides publiques au développement et de financement de la transition climatique. Le besoin d’obtenir une plus grande implication des financements privés pour atteindre ces objectifs a également été souligné.

Quels résultats ont été obtenus, notamment en termes de réforme de l’architecture internationale de financement du développement ? Sont-ils à la hauteur des espoirs ?

Les attentes étaient très - sans doute trop - élevées, et bien que le sommet ait donné lieu à de nombreuses avancées concrètes, les résultats sur les plus grands enjeux sont considérés par beaucoup comme nettement inférieurs à ces attentes - attentes certes irréalistes pour une bonne part.

Parmi les avancées concrètes, on peut citer :

- L’annonce que l’objectif des 100 milliards de dollars de réallocation de DTS (Special Drawing Rights) des pays riches vers des pays les plus vulnérables, objectif fixé au sommet de mai 2021 sur le financement des économies africaines, a été atteint.

- L’ambition de réunir d’ici à la fin de 2023, les 100 milliards annuels promis de longue date afin d’aider au financement de l’action climatique des pays les moins développés.

- La proposition avancée par Janet Yellen, Secrétaire d’État au Trésor des États-Unis, d’une augmentation de 200 milliards de dollars de la capacité de prêt des banques multilatérales de développement, dont bien sûr la Banque mondiale, grâce à l’optimisation de leurs bilans et à une plus grande prise de risque.

- L’accord conclu, y compris finalement par la Chine, sur la restructuration de la dette de la Zambie. Cet accord intervient après celui conclu sur la dette du Tchad, grâce au Cadre commun de traitement de la dette établi au G20. Le Ghana et l'Éthiopie sont les prochains pays sur la liste, et beaucoup d’autres devraient suivre, à condition de maintenir la volonté chinoise de coopérer de façon plus transparente dans ces restructurations.

- Des progrès vers la mise en place de clauses de suspension de la dette en cas de catastrophes naturelles d’origine climatique.

- La volonté que les banques multilatérales et nationales de développement travaillent de façon plus coordonnée, grâce notamment au réseau Finance in commonqui réunit désormais la majeure partie d’entre elles.

- La conclusion d’un nouveau "partenariat pour une transition énergétique juste" entre le Sénégal et les pays du G7 permettant à ce pays de parvenir d’ici 2030 à une part de 40 % de renouvelable dans son mix énergétique, grâce à des financements publics et privés de 2,5 milliards de dollars.

Les objectifs plus ambitieux comme la réforme de l’architecture du financement international du développement ont suscité de vifs débats et fait l'objet d’esquisse de consensus. Mais ces discussions n’ont pas abouti à de vraies décisions au sommet, tant ces questions sont lourdes et délicates.

Il a bien sûr été rappelé que les institutions de Bretton Woods, la Banque mondiale et le FMI, avaient été créées en 1944, en présence de seulement 44 pays, alors qu’aujourd’hui plus de 190 pays en sont membres.

Un groupe de travail, co-présidé par les représentants de la France et des États-Unis, réunissant les représentants des ministères des finances des principaux pays avait préparé les réflexions du sommet sur cette nécessaire réforme. Entre autres sujets, ces représentants s’étaient notamment concentrés sur la nécessité de mobiliser davantage de financements publics et privés, afin de faire face aux défis relatifs à la pauvreté ou au climat, mais également sur le besoin de recapitalisation des principales banques multilatérales de développement. Ils avaient également abordé la nécessité d’intégrer davantage les enjeux climatiques à leurs objectifs, sur les domaines prioritaires pour bénéficier de l’aide concessionnelle, et sur les meilleures façons d’inciter les capitaux privés à s’investir davantage dans les pays en développement, notamment par le développement de systèmes de garantie.

Les participants au sommet ont bien débattu de ces questions, mais les décisions les plus fortes ne devraient intervenir que dans quelques mois, si ce n’est dans quelques années. Elles nécessitent en effet des discussions plus approfondies au cours des prochaines réunions internationales, puisque ces enjeux touchent à l’équilibre délicat des pouvoirs au sein de ces instances entre pays développés, pays émergents et pays en développement.

Sur une note plus optimiste, il convient de saluer les remarquables interventions du tout nouveau président de la Banque mondiale, Ajay Banga, un américain d’origine indienne, ancien président de la fondation Mastercard, nommé sur proposition de l’administration Biden. Ce dernier a fait très forte impression et est parvenu à susciter un début de confiance des pays occidentaux comme des pays émergents ou en développement.

Quelles sont les prochaines étapes des négociations internationales sur ces sujets ?

D’ici à la fin de l’année 2023, quatre étapes importantes pour ces négociations auront lieu.

Le sommet du G20 d’abord. Sous présidence indienne, il se tiendra les 9 et 10 septembre à Delhi et pourrait permettre d’aboutir à de premières décisions sur ces sujets. Il sera suivi du sommet des Objectifs de développement durable (ODD) les 19 et 20 septembre à New York, au cours de l’Assemblée générale de l’ONU.

Les réunions d’automne de la Banque mondiale et du FMI se tiendront ensuite à Marrakech du 9 au 15 octobre. Enfin, la COP 28 (Conférence de l’ONU sur le changement climatique) se déroulera du 30 novembre au 12 décembre à Dubaï.

Sans oublier le sommet des BRICS en août en Afrique du sud, à Johannesburg…
 
L’Agenda de Paris pour les peuples et la planète, tel qu’issu de ce sommet, indique qu’une réunion se tiendra à nouveau à Paris en 2025 pour faire le point sur les engagements pris au cours de ce sommet des 22 et 23 juin 2023, en amont de la COP 30 qui se déroulera au Brésil.


Copyright Image : Lewis Joly / POOL / AFP

Des dirigeants mondiaux et des responsables financiers assistent à la séance de clôture du sommet du nouveau pacte financier mondial, à Paris, le 23 juin 2023.

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