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18/05/2010

Retraites : des orientations sans grande inspiration

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Retraites : des orientations sans grande inspiration
 Jacques Bichot
Auteur
Professeur émérite à l'Université Lyon 3

Le Gouvernement a rendu public ce dimanche soir un "Document d'orientation du Gouvernement sur la réforme des retraites". Ce texte comporte 14 "engagements" ayant pour objectif de ne pas "se réduire à une réforme de paramètres", mais d’engager "une réforme de société". Il n’est pas évident que le texte gouvernemental soit à la hauteur de cette ambition.

Un jour, une réforme systémique ?
Selon l’engagement n° 2, "Le gouvernement n’écarte pas pour le long terme la piste d’une réforme systémique du mode de calcul des droits (régimes par points ou en comptes notionnels)". Très bien ! Mais il s’agit d’un vœu pieux, puisque le gouvernement s’engage parallèlement (n° 8) à "changer les règles de manière très progressive", alors qu’une réforme systémique, le Conseil d’orientation des retraites (COR) l’a montré, comme antérieurement une Etude de l’Institut Montaigne, est bien plus compatible avec un "big-bang".

En outre, si le Gouvernement envisageait sérieusement l’éventualité d’une réforme systémique, il s’engagerait à mettre en place un groupe de travail conséquent. Pour prendre une comparaison, la réforme du contrôle aérien en Europe est préparée par une équipe comprenant plusieurs centaines d’ingénieurs, travaillant depuis plusieurs années, qui ont encore beaucoup de pain sur la planche. La réforme des retraites n’est pas un sujet moins sérieux, ni moins délicat : les dix permanents du COR ne sont pas en mesure d’en assumer la préparation.

Une erreur d’analyse
Selon le document d’orientation, la "véritable cause du déséquilibre de nos régimes de retraite" serait la démographie. C’est inexact. La situation de la France n’est pas celle de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne ou de la Grèce, pays où la faiblesse du taux de natalité est dramatique pour les retraites. Dans notre pays, quelques bébés de plus seraient certes les bienvenus, mais la fécondité n’est pas si faible. Et l’accroissement de l’espérance de vie, dira-t-on ? Cet accroissement ne pose aucun problème aux régimes de retraite, si ce n’est celui de l’adaptation progressive des comportements. En effet, l’espérance de vie en bonne santé progresse non moins vite que la durée de la vie. Travailler aujourd’hui en moyenne jusqu’à 70 ans soulèverait moins de difficultés du point de vue des aptitudes physiques et intellectuelles que travailler jusqu’à 65 ans dans les années 1950, comme c’était le cas.

Le problème n’est donc démographique qu’en apparence. En réalité il est économique, social et politique : notre société, notre système productif (travailleurs et employeurs) et notre système de protection sociale, passablement rigides, s’adaptent mal à la croissance de la longévité. La façon dont est abordée la question de la pénibilité du travail est typique : elle sert à torpiller les tentatives de prolongation de la durée moyenne de la vie active. Fort heureusement, le gouvernement n’est pas tombé dans le panneau : le document d’orientation préconise "un suivi personnalisé de la carrière des travailleurs et non la définition a priori de catégories professionnelles". Autrement dit, un départ à la retraite en moyenne plus tardif s’accompagnera d’un recours plus large aux rentes d’invalidité, comme c’est déjà le cas dans les pays où la "retraite à soixante ans" n’a pas été érigée en dogme (Suède, Finlande, Hollande, notamment).

Un paternalisme obsolète
Le gouvernement ne pose pas à proprement parler la question de la retraite à la carte avec neutralité actuarielle, avec liquidation fractionnable et réversible, dont la Suède fournit l’exemple le plus connu. Incapable, semble-t-il, de raisonner en terme de liberté responsable, il évoque, pour la rejeter, l’hypothèse d’un "renforcement des incitations à liquider sa pension au-delà de 60 ans". Ce "renforcement" aurait pris la forme d’une superposition de décotes pour les assurés sociaux choisissant de liquider avant un âge pivot : le gouvernement balaye évidemment cette perspective, "d’abord parce que le système serait plus complexe". Mais il jette avec cette eau du bain le bébé liberté responsable, qu’il définit pourtant correctement : "laisser le choix (de l’âge de départ) aux assurés, considérant que c’est à eux que revient la décision d’arbitrer leur futur niveau de vie". Autrement dit, pour tuer son chien, le gouvernement dit qu’il a la rage.

Le document gouvernemental précise nettement le lien qu’il établit entre dirigisme et protection : "Le système des retraites est d’abord un dispositif de protection des personnes. Cette protection a fondé le caractère obligatoire des cotisations de retraite elle doit également s’exprimer au moment du départ à la retraite : un choix fait à 60 ans ne doit pas être regretté pendant toute la retraite." Peu importe que l’exemple suédois, dans lequel la liquidation est fractionnable et réversible, ait été étudié sous toutes ses coutures par le législateur et par le COR : une liquidation, dans l’esprit des rédacteurs de ce texte, ne saurait être que totale et définitive. Au lieu de donner la possibilité à ceux qui s’aperçoivent qu’ils ont liquidé trop tôt de se remettre au travail et de recommencer à accumuler des droits à pension, le gouvernement préfère obliger tous les assurés sociaux à attendre 61, puis 62, puis 63 ans. Au lieu de donner un droit à l’erreur et une possibilité de corriger les erreurs commises, on retient la solution la plus dirigiste. Dommage ! Les Français ne sont certes pas parfaits, mais ils ne méritaient quand même pas un tel manque de confiance.

Un refus de miser sur les citoyens
Le document, conforme à de nombreuses déclarations gouvernementales et présidentielles, insiste sur le refus de "la baisse des pensions de retraite". En clair, il s’agit d’éviter que des personnes ne se mettent dans une situation pécuniaire difficile en liquidant leur pension relativement tôt. Mais, pour éviter les situations de grande pauvreté durant le troisième et le quatrième âge, il existe des dispositifs de minimum vieillesse. On aurait compris que le gouvernement annonce une réforme du dispositif français, remplaçant à la fois le minimum contributif et l’allocation de solidarité aux personnes âgées par une garantie de pension à la suédoise, qui progresse avec les efforts contributifs. Mais utiliser dans ce but l’âge minimal à la liquidation est pour le moins curieux : on ne voit pas du tout l’adéquation du moyen au but poursuivi.

En revanche, on voit bien que le gouvernement n’envisage pas de s’appuyer sur l’énergie de Français mis en situation d’améliorer par eux-mêmes leur situation et celle de leurs proches. Il estime de son devoir de faire le bonheur des citoyens malgré eux, conformément à la figure du "pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort", si bien campée par Alexis de Tocqueville. Il s’agit là d’une erreur stratégique majeure. Des hommes responsables de leur propre bien-être (et soucieux de celui des êtres qui leur sont chers) sont beaucoup plus enclins à se retrousser les manches, à faire ce qu’il faut pour arriver à leurs fins, que des assistés auquel un Etat-providence guide leur conduite. Dans la perspective des bouleversements planétaires qui vont s’accentuer durant les prochaines décennies, à mesure de la montée en puissance des pays émergents, une France dont les habitants ne se prendront pas en charge et qui attendront que le gouvernement "sauve leur retraite" sera en mauvaise position.

Imposition du capital
Il n’y a guère plus à dire des concessions faites en la matière aux syndicats que ce qu’écrivaient Elie Cohen, Jean-Paul Fitoussi et Jean Pisany-Ferry dans Libération du 12 juin 2003, sous le titre "L’illusoire taxation du capital" : "Un point de prélèvement sur les seuls revenus du capital rapporte aujourd’hui moins d’un milliard d’euros par an ; il faut encore une fois se rendre à l’évidence : c’est seulement en mettant à contribution les salaires ou les retraites que l’on peut dégager des ressources à la hauteur du problème."

Une fenêtre de tir manquée
Dans un contexte européen où la rigueur budgétaire s’impose, l’idée d’un effort supplémentaire pour sauver les retraites est aujourd’hui partagée par la majorité des Français. C’est nouveau. Les conditions étaient réunies pour une avancée majeure. Il faut craindre, hélas, que cette occasion soit déjà ratée.

En savoir plus sur les propositions de l'Institut Montaigne pour réformer les retraites :
Réforme des retraites : vers un big-bang ? (Jacques Bichot), Etude, Institut Montaigne, mai 2009

Télécharger le Document d'orientation du Gouvernement sur la réforme des retraites

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