Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
09/02/2010

Réforme des retraites : le rapport du Conseil d’orientation va-t-il être mis au placard ?

Imprimer
PARTAGER
Réforme des retraites : le rapport du Conseil d’orientation va-t-il être mis au placard ?
 Jacques Bichot
Auteur
Professeur émérite à l'Université Lyon 3

Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a remis le 27 janvier un rapport que le législateur lui avait commandé il y a 13 mois : "Retraites : annuités, points ou comptes notionnels[1] ?". Ce rapport étudie la faisabilité du passage des annuités aux points dans notre système de retraites par répartition.

Notes

[1] Les comptes notionnels sont une variété particulière de comptes de points.

Il montre que la transformation est possible, si l’on s’en donne les moyens. Il montre aussi qu’elle est intéressante à bien des égards, notamment pour rendre le système plus lisible et plus facilement pilotable, mais qu’elle prendra des années : en attendant l’aboutissement d’une réforme structurelle, qui changera les instruments de pilotage, il faut utiliser ceux dont nous disposons actuellement afin d’éviter que les déficits ne deviennent insupportables – faire ce qu’il est convenu d’appeler des "réformes paramétriques". Parmi celles-ci, la modification de l’âge légal de la retraite est l’objet de toutes les attentions au risque d’occulter des enjeux décisifs. Hélas, les Français sont très mal informés sur les défis de ce changement. Essayons d’éclairer le débat.

  • Le rapport du COR

Ses 260 pages contiennent beaucoup d’informations déjà connues, mais elles ont le mérite de montrer une fois de plus l’effroyable complexité des systèmes par annuités, qui induisent des transferts dans tous les sens, lesquels interfèrent les uns avec les autres de telle manière que même les spécialistes ne parviennent pas à dresser un tableau fiable des résultats. Un système par points, surtout s’il s’agissait d’un système unique, remplaçant le patchwork de régimes actuels (de base et complémentaires), assurerait une lisibilité d’autant plus fructueuse que les transformations du monde du travail multiplient les "polypensionnés" (personnes qui dépendent simultanément ou successivement de plusieurs régimes de base, sans parler des complémentaires).

Cela étant, l’enregistrement des droits à pension sous forme de points n’entraînerait pas comme par magie la résolution de toutes les difficultés financières de nos retraites par répartition. Tout dépend des objectifs que l’on se fixe et des instruments de pilotage que l’on adopte. Les belles formules mathématiques sur lesquelles ont voulu s’appuyer Allemands et Suédois n’ont pas fait leurs preuves à ce jour : ils n’avaient pas intégré le rôle de "stabilisateur automatique" joué par le système de pensions en cas de crise économique, si bien qu’il leur a fallu mettre ces règles de côté quand les cotisations ont ralenti. Concluons, avec moins de précautions que le COR : des ajustements "manuels" en fonction de la conjoncture, méthode utilisée par l’ARRCO[1] et l’AGIRC[2], à condition d’être rendus possibles par une situation financière saine (en clair : des réserves) sont plus efficaces que des automatismes.

  • Une réforme de longue haleine

Passer des annuités aux points, surtout si cela signifie aussi réunir en un seul régime des dizaines de régimes, requiert un colossal travail de préparation et de mise en œuvre. Juridiquement, dit le COR, il n’existe pas d’obstacle rédhibitoire, mais il faut préparer un ensemble de textes tout à fait impressionnants, pour détricoter le patchwork actuel et le remplacer par un tissu sans coutures. Techniquement, il faut transformer des dizaines de systèmes informatiques, et procéder à des opérations analogues à des liquidations pour plus de vingt millions de personnes : c’est un investissement considérable. Ce que le COR ne dit pas, c’est que cet investissement serait très rentable en ce qui concerne les frais de gestion : d’après nos calculs[3], ceux-ci pourraient être réduits de moitié, réalisant ainsi quelque 2 milliards d’euros d’économies annuelles. Revenir de 2 % de frais de gestion (par rapport aux prestations versées) à 0,7 % comme en Suède ou 0,6 % aux Etats-Unis ne suffirait certes pas à ramener le système à l’équilibre, mais refuser de lutter contre le gaspillage engendré par le désordre institutionnel serait une bien mauvaise façon d’engager la lutte contre le déficit.

  • Et en attendant ?

Sept à dix ans sont nécessaires pour préparer juridiquement et techniquement une bonne réforme structurelle. Si la France s’y était mise plus tôt – en 1992 nous préconisions déjà de se mettre au travail – le problème ne se poserait pas, mais les choses sont ce qu’elles sont : au cas où les pouvoirs publics, devenus enfin lucides, décideraient de préparer une réforme structurelle, il faudrait néanmoins procéder à des ajustements paramétriques. Parmi ceux-ci, en dehors de l’augmentation des cotisations et de la durée d’assurance requise pour avoir droit au taux plein à 60 ans, le débat porte sur l’âge légal de la retraite.

Rarement problème fut si mal posé. Il existe en effet au moins 3 âges légaux : 70 ans, pour la mise à la retraite d’office ; 65 ans, pour l’obtention du taux plein sans condition de durée d’assurance ; 60 ans, pour la possibilité de liquider sa pension. Le premier peut être modifié, comme il l’a été récemment, sans toucher aux deux autres. En revanche, 60 et 65 ans sont liés : le calcul de la décote s’effectue en tenant compte de l’intervalle de 5 ans qui sépare ces deux curseurs. Il faudrait donc que nos responsables politiques nous disent si, pour eux, augmenter d’un an l’âge légal, c’est passer à 61 et 66 ans, ou seulement à 61 ans, en modifiant alors les règles de calcul de la décote. Pour les personnes qui ont validé peu de trimestres, des femmes en majorité, 66 ans au lieu de 65 ans signifie une année de plus à attendre pour ne pas subir la décote : la mesure pèserait spécifiquement sur cette catégorie.

  • Quelle répartition des inéluctables sacrifices ?

Dans les régimes par annuités, il est impossible de répartir équitablement le poids des économies sur l’ensemble des assurés sociaux. Une modification des paramètres du régime général ou du régime des fonctionnaires est très inégalitaire, alors qu’un freinage de la valeur du point ampute tous les droits à pension du même pourcentage.

  • Conclusion

Mettre au placard le rapport du COR serait se priver définitivement du moyen de répartir équitablement les inévitables sacrifices qu’il va falloir consentir pour préserver nos retraites par répartition.

Lire à ce sujet :

- l’article du Monde Argent du 16 janvier 2010 (payant) : Retraite : faut-il passer au régime en points ? - Pour Jacques Bichot "Il faut mettre en place un régime unique à la manière de l’Arrco"

- l’Etude de Jacques Bichot (Institut Montaigne, mai 2009) Réforme des retraites : vers un big-bang ?

Notes

[1] Association pour le Régime de Retraite Complémentaire des Salariés

[2] Association Générale des Institutions de Retraite des Cadres

[3] Cette estimation provient de calculs personnels. Voir à ce sujet mon article, "Les frais de gestion des régimes de retraites des salariés du privé", dans la Revue Française de Comptabilité, janvier 2010.

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne