Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
23/01/2015

"Ne sanctuarisons pas dans la loi le statut des intermittents du spectacle !" par Bertrand Martinot

Imprimer
PARTAGER
 Institut Montaigne
Auteur
Institut Montaigne



À l'issue de la remise du rapport de la mission sur l'intermittence du spectacle, menée par Hortense Archambault, Jean-Denis Combrexelle et Jean-Patrick Gille, Manuel Valls qui a repris à son compte ses principales conclusions a retenu "trois principes pour engager sans attendre la réforme nécessaire" : la "reconnaissance des acteurs", la "responsabilité" des partenaires sociaux et "l'exigence". D?ores et déjà, il annonce que la loi reconnaîtra la spécificité des modalités d'indemnisation des intermittents qui resteront "une composante intégrante de l'assurance chômage". Dans une tribune publiée par l'AEF, Bertrand Martinot, ancien DGEFP, économiste et auteur de Chômage : inverser la courbe, critique le choix du Premier ministre de "sanctuariser" législativement le statut des intermittents qu'il qualifie d'"inique" et d'"inefficace".

"Un nouveau rapport sur le régime d’assurance chômage vient d’être remis au gouvernement. Répondant fidèlement à la commande qui leur a été passée de ne pas proposer une remise en cause du régime, les auteurs choisissent la voie assez radicale de le sanctuariser dans la loi. On en finirait donc avec le psychodrame de la renégociation triennale de l’assurance chômage, qui se déroule toujours en trois actes : (I) Les partenaires sociaux s’entendent au niveau interprofessionnel sur une réforme incluant le régime particulier des intermittents ; (II) les intermittents, menés par la CGT-spectacle et soutenus par leurs employeurs, protestent et menacent de bloquer les festivals ; (III) le gouvernement cède, dévitalise les résultats de la négociation interprofessionnelle et rétablit ses propres dispositifs pour que rien ne change. Si la piste proposée a au moins le mérite de sortir de cette mauvaise farce, il est pourtant évident que la sanctuarisation du dispositif des intermittents aurait des conséquences fâcheuses.

Sur le principe, tout d’abord. Sortir un secteur économique du champ de la solidarité interprofessionnelle ne serait pas anodin. C’est qu’il ne manque pas de secteurs qui pourraient revendiquer le caractère 'intermittent' de leur activité pour réclamer eux aussi des systèmes particuliers aux frais du régime général. L’agriculture est spécifique, le tourisme est spécifique, l’activité de consulting est spécifique…

Le propre de l’assurance chômage est d’opérer des redistributions financières entre secteurs. Cela s’appelle la solidarité interprofessionnelle. Mais pour que cette solidarité soit soutenable, encore faut-il que certains secteurs ne bénéficient pas de règles qui s’éloignent trop du droit commun, comme c’est le cas du statut des intermittents. Et lorsque le régime spécial en question est structurellement déficitaire de 1 milliard d’euros par an, on est clairement au-delà du raisonnable.

En outre, comment justifier qu’un secteur économique se voie tout simplement exonéré de tout effort de redressement financier dans le contexte actuel (finances de l’Unédic ou finances de l’État dans le cas où celui-ci prendrait en charge une partie du régime spécial) ? Comment l’expliquer aux millions de salariés et à leurs employeurs, qui supportent déjà les cotisations d’assurance chômage les plus lourdes d’Europe ?

Au-delà des principes, cette orientation interroge aussi le modèle économique du secteur du spectacle qu’induit en France son dispositif dérogatoire d’assurance chômage. Il faut rappeler quelques faits et chiffres. En moyenne, plus de 40 % de la rémunération annuelle d’un intermittent est payée non pas par son ou ses employeurs, mais par l’Unédic. Le secteur bénéficie donc d’une subvention publique massive, qui permet à des milliers d’employeurs de vivoter, soutenus à bout de bras par les finances publiques. Les contrats signés sont de plus en plus courts, le passage par le chômage concerne 80 % des intermittents une année donnée alors même que le volume d’emplois du secteur a progressé fortement ces deux dernières décennies, ce qui aurait dû logiquement diminuer le chômage. En fait, en calant les durées d’embauche sur les durées d’affiliation nécessaires pour pouvoir bénéficier du statut, le régime des intermittents a fortement contribué à disloquer les relations de travail.

Parallèlement, la précarité dans ce secteur est extrême. Non pas pour les intermittents eux-mêmes, mais pour tous ceux qui ont été attirés par ce statut sans parvenir à atteindre ce saint-Graal, ou ceux qu’ils l’ont perdu. Ceux-là constituent une forme d’armée de réserve, bien utile pour perpétuer le système. Mais est-ce là vraiment une conception des rapports sociaux que nous voulons promouvoir ?

Aujourd’hui, donc, le statut des intermittents empêche toute restructuration du secteur et enferme les protagonistes dans un jeu absurde et de trop nombreux jeunes dans la précarité. Que les employeurs du secteur entrent en collusion avec les éléments les plus rétrogrades de la CGT (la CGT-spectacle) en dit long sur la confusion intellectuelle ambiante.

Avant de sanctuariser ce statut inique et inefficace dans la loi, il vaudrait mieux comprendre pourquoi nos voisins européens parviennent à développer leur industrie culturelle sans recourir à un tel système. Cela supposerait, certes, un effort d’humilité, d’ouverture sur le monde et de dépassement des corporatismes. Mais le jeu en vaut la chandelle".

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne