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27/04/2017

Marine Le Pen et la défense : la grande illusion

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Marine Le Pen et la défense : la grande illusion
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Nicolas Baverez, président de notre groupe de travail Refonder la sécurité nationale, analyse les propositions de Marine le Pen concernant la défense.

"Il y a très loin de la velléité à la volonté, de la volonté à la résolution, de la résolution au choix des moyens, du choix des moyens à l’application". Cardinal de Retz

Le programme de Marine Le Pen dans le domaine de la défense repose sur un réarmement massif et rapide, afin de porter remède au déclassement de l’outil militaire français, ainsi que sur un recentrage de la stratégie de sécurité autour du seul territoire national.

Les propositions de Marine Le Pen

La principale proposition consiste à augmenter le budget de la défense pour le porter à 2 % du PIB dès 2018 et à 3 % du PIB en 2022. L’objectif d’un effort de 2 % du PIB affecté à la défense (pensions comprises) serait par ailleurs inscrit dans la Constitution afin d’interdire que les armées puissent servir de variable d’ajustement pour les dépenses de l’État.

Le réinvestissement dans la défense serait destiné à :

  • construire un second porte-avions baptisé "Richelieu" pour assurer la permanence à la mer du groupe aéronaval ;

  • augmenter le format des armées et leur effectif de 50.000 militaires ;

  • pérenniser la force de dissuasion nucléaire.

Par ailleurs serait rétabli à l’horizon de la fin du quinquennat un service militaire obligatoire de trois mois, principalement civil et civique, militaire à titre accessoire.

La redéfinition de la stratégie de sécurité autour du territoire national se traduirait par la sortie du commandement militaire intégré de l’OTAN et de l’Europe de la défense - sauf pour des coopérations ponctuelles en fonction de l’intérêt national -. Simultanément, les opérations extérieures seraient strictement encadrées, entraînant notamment un moindre engagement de la France au Levant. Enfin, une offre industrielle française serait reconstituée dans tous les domaines afin de garantir notre indépendance stratégique.

Un constat partagé : la nécessaire redéfinition de la posture de défense et de ses moyens

La sécurité constitue avec le chômage la première préoccupation des Français. Leurs inquiétudes sont légitimes, compte tenu de l’accroissement des menaces et de la dégradation de l’environnement stratégique du continent européen à la suite du Brexit et de la déstabilisation de l’OTAN par l’administration Trump. La France doit ainsi faire face au terrorisme islamique et à la pression des démocratures chinoise, russe et turque. Simultanément, les attaques cybernétiques se multiplient contre les entreprises, les institutions mais aussi la vie de la cité. Il ne fait donc aucun doute que la France, du fait de son histoire, de ses valeurs comme de ses engagements au Sahel et au Levant, est en première ligne et se trouve ciblée, tout particulièrement par les djihadistes.

Dans le même temps, le décalage entre l’augmentation des menaces, le sur-engagement des armées et les moyens humains, matériels et financiers dont elles disposent n’a cessé de se creuser. L’outil militaire français se trouve aujourd’hui à la limite de la rupture, comme ce fut le cas pour l’armée britannique après ses engagements en Afghanistan et en Irak.

Le système de défense français, avec un budget de 32,7 milliards d’euros en 2017, est notoirement sous-financé par rapport à ses missions, ce qui compromet à court terme la pérennité du modèle complet d’armée. Ceci est confirmé par la comparaison avec les autres grandes nations européennes. L’Allemagne va consacrer 37 milliards d’euros à sa défense en 2017 et augmente son effort de 3 milliards par an, alors même qu’elle ne supporte pas les coûts de la dissuasion nucléaire et n’intervient que très peu à l’extérieur. Le Royaume-Uni a engagé la reconstitution de son potentiel militaire avec un budget de 46 milliards d’euros correspondant à 2,2 % de son PIB et, là encore, sans soutenir d’engagements significatifs à l’extérieur.

Une nouvelle ligne Maginot : la sécurité sur le seul territoire national

La renationalisation de la stratégie de défense compromet la sécurité nationale en ignorant la nature des nouvelles menaces qui pèsent sur notre pays. Et ce pour trois raisons principales.

1. Les risques stratégiques du XXIème siècles sont globaux. La guerre et la violence mutent et il existe un continuum des menaces qui se déploient du civil au militaire, du national à l’international. La guerre est ainsi de plus en plus hybride, échappant au monopole des États et se déployant au cœur de nos sociétés, à l’instar du terrorisme islamique. Même les États-Unis, dont la puissance militaire reste inégalée, ont éprouvé les limites de leurs capacités d’action face au terrorisme, au chaos du Moyen-Orient ou à la Corée du Nord. Autant l’autonomie de décision est vitale, autant une défense purement nationale est vouée à l’échec.

2. La sécurité est globale et ne peut être seulement nationale ou militaire. La France doit se doter d’une stratégie globale de sécurité qui s’inscrive dans une logique réellement interministérielle et la mettre méthodiquement en œuvre. Ce ne sont pas seulement les moyens qu’il faut redimensionner mais les principes, les doctrines et les organisations qu’il faut repenser. Le refus a priori des alliances et des coalitions limiterait drastiquement nos possibilités d’intervention. Par ailleurs, la sécurité de notre pays se joue au-delà de ses frontières. En particulier, il n’est pas possible de lutter contre le terrorisme islamique sans traiter ses sources et le combattre dans ses sanctuaires, à commencer par le Moyen-Orient.

3. Le réarmement est indissociable d’une accélération de la modernisation du ministère de la Défense et de l’adaptation de l’outil militaire et industriel aux nouvelles technologies, notamment à l’irruption du cyber. Or toutes les propositions d’investissement de Marine le Pen portent sur le modèle d’armée et les équipements du passé. Par ailleurs, la mise en place de barrières protectionnistes couperait la base industrielle de défense française des marchés d’exportation sans lesquels elle n’est pas viable.

Les dépenses ne font pas nécessairement la défense

L’objectif de consacrer 2 % du PIB en 2025 à la défense a été fixé par les chefs d’États au sommet de l’OTAN de Newport, en septembre 2014, et confirmé en juillet 2016 lors du sommet de Varsovie. Pour la France, cela correspondrait à un budget de 54 milliards d’euros en 2025 contre 32,7 milliards d’euros en 2017.

La proposition de porter le budget de la défense à 2 % du PIB dès 2018, soit 46,7 milliards d’euros, implique une hausse de 14 milliards d’euros sur l’exercice 2018. L’objectif de 3 % du PIB en 2022, soit 84 milliards d’euros, passe par l’injection de plus de 8 milliards d’euros supplémentaires chaque année. En 2022, le surcoût par rapport à la trajectoire cible d’une dépense de 2 % du PIB serait de 34 milliards d’euros.

Cette hausse considérable et fulgurante du budget de la défense pose plus de problèmes financiers qu’elle ne répond aux urgences stratégiques. Elle n’est pas réaliste car ni le ministère de la défense, ni les industriels ne disposent des capacités pour répondre à une remontée en puissance aussi rapide des effectifs et des équipements. L’augmentation des dépenses est déconnectée de l’analyse des objectifs poursuivis et des missions que l’on souhaite assurer. Elle s’affiche en contradiction complète avec la volonté de désengagement des opérations extérieures : à titre d’illustration, la construction d’un deuxième groupe aéronaval dont le coût initial est compris entre 3,5 et 4 milliards d’euros et dont la vocation exclusive est la projection de puissance, est incompatible avec le recentrage sur le territoire national.

La forte accélération des dépenses militaires participerait de l’envolée des dépenses publiques prévues par le programme économique de Marine Le Pen à hauteur de 102 milliards d’euros en 2022 - hors les charges exceptionnelles liées à la nationalisation d’EDF ou des banques et des assurances à la suite de la sortie de l’euro -. Les dépenses publiques seraient ainsi portées autour de 65 % du PIB, le déficit autour de 10 % du PIB et la dette autour de 150 % du PIB à l’horizon 2022. Ceci conduirait inévitablement à un défaut de la France sur sa dette souveraine, ce qui n’est plus arrivé depuis la banqueroute des deux tiers décrétée par le Directoire en 1797.

Le réarmement massif préconisé par le programme de Marine Le Pen n’obéit à aucune raison stratégique. Il n’améliorerait en rien la sécurité mais serait insoutenable d’un point de vue industriel et financier. Sa seule vertu est de rappeler que le rétablissement de la sécurité et le redressement économique de la France sont indissociables. Il n’existe pas de développement ni de liberté sans sécurité. Il n’existe pas davantage de sécurité sans croissance pour assurer la soutenabilité de l’effort de défense que de sécurité sans respect des libertés publiques.

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