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25/07/2011

Libérons le philanthrope français !

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Libérons le philanthrope français !
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Tribune de Pierre-Charles Ranouil (1) parue dans "Le Figaro" du 25 juillet 2011

Si d'aventure un Français voulait disposer, à l'instar de Warren Buffett ou de Bill Gates, de sa fortune, acquise par son talent et son travail, au profil d'une institution philanthropique, il ne le pourrait pas. Il se heurterait à la réserve héréditaire imposée par le Code civil et ne disposerait que de sa quantité disponible : la moitié de ses biens s'il ne laisse qu'un enfant ; le tiers s'il en laisse deux ; le quart s'il en laisse trois ou plus. Il constaterait en outre que cet état de droit n'a pratiquement pas évolué depuis 1804, date de promulgation de ce code.

Deux évolutions sont à noter : en 2001, un nouveau réservataire a été créé : le conjoint survivant, non divorcé, pour le quart des biens du défunt, en l'absence de descendant ; en 2006, les ascendants ont perdu leur qualité de réservataires. Ce philanthrope français constaterait donc que rien n'a été fait pour libérer de son carcan celui qui voudrait faire prévaloir l'intérêt général, représenté par de véritables institutions philanthropiques, sur les intérêts particuliers d'une famille. Pour être libre en France aujourd'hui comme l'est celui soumis à un droit issu de la Common Law, il devra donc n'avoir ni descendant direct, ni conjoint survivant. Cet asservissement est la perpétuation d'une idée venant de temps et de mœurs anciens, toujours ancrée dans nos mentalités : les biens d'un individu appartiennent à sa lignée.

Mais ce n'est plus l'état de notre société. Les patrimoines ne sont souvent plus l'accumulation de biens acquis de génération en génération, mais le fruit du talent et du travail d'un seul homme. Cela est particulièrement vrai des fortunes bâties à la fin du siècle dernier et depuis. S'il peut donc apparaître légitime que celui qui a reçu des biens de ses parents n'en dépouille pas sa famille directe, il ne l'est pas de le priver de disposer librement de ce qu'il a acquis seul, dès lors qu'il entend en disposer dans l'intérêt général. C'est pourquoi il conviendrait de libérer celui qui veut donner à une institution philanthropique, ou tester en sa faveur, de la réserve héréditaire pour tous les biens qui n'ont d'autre origine que son talent et son travail.

Naturellement, il ne s'agirait pas de disposer de ses biens au profit de n'importe quelle institution : une liste limitative serait dressée, par décret pris par le garde des Sceaux en Conseil d'État et révisée régulièrement, des institutions philanthropiques propres à justifier une telle dérogation. En revanche, pour tous les biens reçus des ascendants, et ceux qui leur auraient été subrogés, qui pourraient être appelés "biens réservés", la réserve continuerait à s'imposer, et de manière renforcée, puisque la quotité disponible ne pourrait être accordée qu'à un descendant.
Cependant, il ne faut pas exclure qu'une extrême générosité puisse avoir des conséquences excessives pour le conjoint survivant non divorcé ou les descendants directs. C'est pourquoi il devra être prévu que ce dernier, marié sous un régime de séparation de biens (sous un régime communautaire il aurait en effet au moins la moitié des biens acquis), bénéficiera d'un usufruit sur le quart des biens non réservés. C'est pourquoi aussi il doit être pris en considération l'hypothèse où un descendant direct à la mort de son ascendant, par l'effet des libéralités dérogatoires de celui-ci, se trouverait à son corps défendant dans l'incapacité de mener une vie décente. Tout descendant direct, dans une telle situation, pourrait alors saisir le tribunal de grande instance afin de voir fixer une rente à la charge de ou des institutions bénéficiaires, révisable, lui permettant de vivre en "bon père de famille".
De telles propositions ne préjugent en rien du traitement fiscal qui sera réserve par la loi de finances à ces libéralités dérogatoires. Les Français de 2011 oseront-ils penser différemment que ceux de 1804 ? Renonceront-ils enfin dans l'intérêt général aux droits surannés des enfants sur les pères et mères ?

(1) Pierre-Charles Ranouil est agrégé des Facultés de Droit et avocat associé au cabinet August & Debouzy. Il est également l'auteur, pour l'Institut Montaigne, de la note :
Pourquoi Bill Gates et Warren Buffet ne peuvent pas faire d'émules en France... (2011)

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