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16/02/2015

Le coût du travail doit-il encore être réduit ?

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Le coût du travail doit-il encore être réduit ?
 Institut Montaigne
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Tribune parue dans Challenges, le 12 février 2015, par David Thesmar, professeur à HEC et Augustin Landier, professeur à la Toulouse School of Economics,co-auteurs de l'étude Marché du travail : la grande fracture
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Souvent les politiques ont l'impression d'être allés très loin dans les baisses de charges sur les bas salaires, mais ils oublient que celles-ci ont permis de compenser une hausse élevée du smic, qui, en vingt ans, a grimpé trois fois plus vite que le salaire moyen. On s'est tragiquement trompé en voulant forcer l'entreprise à être le lieu de la redistribution : la productivité minimale des individus ne se décrète pas, et les technologies les ont rendues plus hétérogènes. Il faut donc séparer, c'est crucial, la question du coût du travail et celle du revenu minimum dont on souhaite que chacun dispose. Se résoudre à voir exclue de l'emploi plus de 10 % de la population active est une option qui est, moralement et économiquement, insoutenable. Face au chômage, prétendre qu'on ne sait pas quoi faire est faux : il faut pousser plus loin les baisses de charges au niveau du smic, dont on sait qu'elles fonctionnent, ou adopter l'idée d'un smic régional indexé sur le coût de la vie.

Depuis trente ans, l'économie française a subi un choc inégalitaire sans précédent, d'origine technologique, qui a dispersé la productivité des individus. Dans les années 1980-1990, c'est l'automatisation qui a détruit une partie des emplois de l'industrie. Les emplois intermédiaires (ouvriers non qualifiés de l'industrie, secrétaires, employés de banque) ont disparu progressivement au profit d'emplois très qualifiés (médecins, ingénieurs) et d'emplois peu qualifiés (assistantes maternelles, aides-soignants). Cette polarisation, on l'observe dans tous les pays développés. Dans les pays anglo-saxons, où les salaries sont fixés sans contrainte par les forces de marché, il en résulte une forte hausse des inégalités, qui combine baisse des bas salaires et hausse des salaires les plus élevés. En France, les écarts de salaires ont été contenus par le smic, les accords de branche et les hausses de cotisations sociales. C'est même un des seuls pays où les inégalités salariales n'ont pas augmenté. En apparence, car bloquer les salaires ne protège pas que les travailleurs en CDI dans des entreprises profitables. De l'autre côté de la digue du smic, le niveau du chômage a monté. En 2012, pour les titulaires d'un diplôme universitaire, le chômage est d'environ 5 %. Pour les titulaires du bac ou même d'un CAP, on est aux alentours de 8 %. Pour ceux qui sont moins diplômés, le taux de chômage est de 15 %. Dans la société postindustrielle, et malgré la crise, les diplômés connaissent le plein-emploi, et c'est sur eux qui sont sortis de l'école sans qualification que le sous-emploi se concentre. Or, en France, la population non qualifiée est l'une des plus importantes de l'OCDE. La présence simultanée de cette population et du smic le plus élevé du monde se traduit mécaniquement par un taux de chômage très élevé, même dans les années d'avant-crise.

Qui sont les sans-diplômes ? Contrairement aux idées reçues, ce ne sont ni les immigrés ni les jeunes, mais plutôt des seniors. La part de personnes ayant fini leurs études secondaires est de 84 % chez les 25-34 ans (dans la moyenne de nos partenaires européens), contre seulement 55 % chez les 55-64 ans (environ 30 % au dessous de nos partenaires !). Le système éducatif français, en dépit de son piteux score dans l'enquête Pisa de l'OCDE, ne produit pas plus de jeunes sans diplôme que nos voisins ; mais la population active plus âgée reste peu qualifiée, et est touchée de plein fouet par la concurrence des robots et des logiciels. Améliorer l'éducation est, bien sur, une des clés de l'avenir, mais au moins pour la population d'âge mûr, ce n'est pas la solution à une réintégration dans la vie économique.

Faut-il baisser les bras ? Ce serait une attitude absurde, tant le réservoir d'emplois dans les services à la personne est grand. Pour s'en convaincre, on peut se demander de combien diminuerait le chômage si la part de la population active travaillant dans l'hôtellerie-restauration ou le commerce était la même qu'aux États-Unis. La réponse est qu'il serait réduit de moitié ! Difficile de prétendre que la comparaison est absurde. Dans un pays qui se flatte d'être la première destination touristique du monde, pourquoi les besoins de main d’œuvre seraient-il plus faible ? Ils ne le sont pas, mais la barrière du smic empêche simplement ces emplois de services peu qualifiés d'exister.


Consulter l’étude - Marché du travail : la grande fracture, février 2015
Consulter les graphiques

Consulter le rapport - Rester le leader mondial du tourisme, un enjeu vital pour la France, juin 2014

A lire :

L’Éducation nationale, plus que jamais fabrique à chômeurs ? - L'Opinion, 12 février 2015

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