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23/05/2008

La juste polémique des gros salaires

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 Philippe Manière
Auteur
Président-fondateur de Footprint > consultants

On avait jusqu’alors l’impression que la rémunération des dirigeants était un sujet très franco-français mais on se rend subitement compte que la polémique semble se généraliser en Europe.

La révolte des peuples européens

L’opinion a déjà eu un peu partout des crispations sur ce genre de sujets, souvenez-vous de la campagne contre les "fat cats", les chats gras, il y a 4 ou 5 ans en Angleterre. La France avait sans doute quand même une sorte de particularité, souffrant d’un prurit permanent à ce sujet depuis au moins 10 ans, disons depuis l’affaire Jaffré.

La commission contre les golden parachutes

Or, on change effectivement de dimension, puisqu’un vent mauvais commence à souffler en Europe sur les salaires exorbitants. Et le plus étonnant, c’est que tout cela est relayé au plus haut niveau politique ! Après Jean-Claude Juncker, le Premier ministre luxembourgeois, qui a qualifié certains dérapages de « scandaleux » c’est Joaquin Almunia, le commissaire européen aux affaires économiques, qui parle de rémunération « irresponsables ». On en est au point que la Commission travaille sur la fiscalité des parachutes dorés et autres bonus de départ – même si ces questions là sont officiellement de la compétence des Etats.

Tous les patrons ?

Ces salaires mirobolants, sont-ils économiquement un problème majeur en France ? Tout d’abord, il faut bien garder en tête que la rémunération annuelle moyenne des 1,2 million de chefs d’entreprises français ayant des salariés est de 50 000 €, ce qui est très raisonnable, donc il ne faut pas généraliser, ce ne sont pas tous les patrons qui se surpayent ! En fait, les gros chèques sont à peu près le privilège des patrons du CAC40 et de leurs grosses filiales. Disons qu’il y a peut-être 500 à 1000 personnes concernées et là, c’est vrai que ce sont de très grosses sommes.

A la fin du mois

En moyenne, pour le CAC par exemple, les rémunérations atteignent presque 2,5 millions d’euros par an, stock-options exclues. Avec les options cela représente presque le double, soit presque 5 millions d’euros par an. Il s’agit là d’énormes sommes d’argent, certes, mais soyons honnêtes, ces salaires restent à peine supérieurs à la moyenne européenne, et largement inférieurs à ceux des grands patrons américains. Ils sont enfin largement moins exorbitants que ceux perçus par les grandes stars. Thierry Henry gagne par exemple 9 millions d’euros par an, sans que personne n’en soit choqué.

Au-delà des montants

Honnêtement, nous avons besoin de bons capitaines à la tête de nos grandes entreprises et leurs qualités ont un prix. D’ailleurs, si on ne les paie pas bien, on risque de voir les meilleurs partir dans la finance ou le private equity, ce qui n’est évidemment pas souhaitable. Ce qui me choque, ce ne sont donc pas les rémunérations des « périodes de croisière », mais celles des ruptures. On voit surtout des chiffres insensés et honnêtement pas défendables au niveau des parachutes dorés.

Le double statut des grands patrons

En France, et c’est assez unique, les grands patrons ont pour la plupart le double statut de mandataire ET de salarié avec un contrat de travail. Du coup, ils bénéficient à la fois de la rémunération atypiquement élevée d’un mandataire social et de la protection très forte d’un salarié. Officiellement, leur contrat de travail est « suspendu » durant le mandat social, mais généralement, il ressort du tiroir comme par magie au jour de la séparation – avec la menace à peine voilée d’aller devant le Tribunal des Prud’hommes. Par conséquent, au moment de partir, on multiplie un gros chiffre de rémunération par une grosse protection légale, et tous les compteurs explosent…

Le devoir de choisir

Je crois que ce traitement "beurre et argent du beurre" au moment de la séparation est indéfendable. Il faut donc vraiment commencer par lever définitivement les ambiguïtés du statut du dirigeant, de sa relation avec l’entreprise. Soit un patron est mandataire, et alors il gagne très bien sa vie mais on peut le remercier sans rien lui devoir, soit il est salarié, et alors il a une bonne protection en cas de licenciement mais il a un gros salaire de gros salarié, pas un super-salaire de mandataire social.

A l’Institut Montaigne, nous avons justement publié une note sur la rémunération des dirigeant. Elle suggère, entre autres, de bannir une fois pour toutes le cumul mandat social-contrat de travail en interdisant à un mandataire d’être salarié de la société qu’il dirige, même dans le cadre d’un contrat suspendu. Voilà une mesure toute simple qui, si elle était appliquée, effacerait la quasi-totalité des excès qui font hurler l’opinion à juste titre !

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