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24/01/2024

Informer pour agir : la diplomatie scientifique au cœur des COP

Informer pour agir : la diplomatie scientifique au cœur des COP
 Sylvain Antoniotti
Auteur
Directeur de recherche au CNRS

Le premier bilan mondial, dévolu aux énergies fossiles et adopté lors de la COP 28, consacre le principe de fin des énergies à émissions de carbone à l’horizon 2050. Décision majeure qui, même si elle se prête à un spectre d’interprétations qui pourraient en affaiblir la portée, montre aussi la reconnaissance du rôle crucial joué par les scientifiques dans la prise des décisions. L’annonce récente, par Emmanuel Macron, de la constitution d’un Conseil présidentiel de la science, va dans le même sens. Quelles sont les dynamiques en cours pour favoriser une meilleure diplomatie scientifique ? Comment éviter que ne se creuse l’écart entre l’état des connaissances et la prise de décision ? Éclairage de Sylvain Antoniotti.

Suite à la COP28 de Dubaï, de nombreux observateurs, y compris les plus avisés, comme certains des membres du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), saluent des décisions importantes, voire historiques. D’autres sont plus mitigés ou critiques. Si chacun peut voir le verre à moitié plein ou le verre à moitié vide, les décisions plus ou moins contraignantes des Conférences des Parties (COP) ne sont prises que par la voie du consensus, c’est-à-dire sans rencontrer d’opposition formalisée ou, autrement dit, presque à l’unanimité. On attribue à Georges Clemenceau ces mots : "Pour prendre une décision, il faut être un nombre impair de personnes, et trois c'est déjà trop". À la COP 28, les États étaient cent quatre-vingt-dix-huit. La quête du consensus explique ainsi la lenteur des progrès face à l’urgence climatique et environnementale et alimente cette déception et ce sentiment, éprouvés tant par les ONG et les représentants des pays qui subissent le plus ces changements que par le grand public, que les COP ne progressent que trop faiblement sur le sujet.

[...] certains des membres du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), saluent des décisions importantes, voire historique.

L’extrait suivant de la Decision -/CMA.5 Outcome of the first global stocktake adoptée à l’issue de cette 28e édition portant sur le premier bilan mondial, relatif au sujet le plus controversé des énergies fossiles, comporte pourtant 3 éléments notables :

"Transitioning away from fossil fuels in energy systems, in a just, orderly and equitable manner, accelerating action in this critical decade, so as to achieve net zero by 2050 in keeping with the science".

  • l’évocation d’une transition hors des énergies fossiles, chacun à son rythme, même s’il ne s’agit pas d’une sortie claire (phasing-out), réclamée par l’Union européenne et plus d’une centaine d’États ;
  • la cible de 2050 pour la fin des émissions de carbone (net zero) ;
  • la référence à la science.

Cette dernière mention est une reconnaissance supplémentaire pour les nombreux scientifiques qui, depuis la première COP et à longueur de publications scientifiques, de rapports, de conférences et d’interventions dans les médias, mettent à disposition des décideurs des informations de première qualité trop souvent négligées ou ignorées. En effet, bien qu’ils ne soient pas toujours entendus, les membres de la communauté académique occupent depuis de nombreuses années, notamment à travers le GIEC, une place essentielle dans le dialogue multilatéral et ils apportent un éclairage scientifique essentiel dans la compréhension des enjeux et des phénomènes à l’œuvre.

L’indispensable mais si compliqué dialogue multilatéral

En marge des négociations, la COP représente également des dizaines, des centaines d’animations et d’évènements au sein de la zone bleue (réservée aux représentants d’institutions accréditées) et de la zone verte (plus largement dévolue à la société civile et qui ne nécessite pas d’accréditation officielle de l’UNFCCC). En zone bleue, de nombreux États, organisations ou entités peuvent disposer, moyennant finance, de pavillons et d’espaces pour partager, échanger et délivrer leur(s) message(s). Au détour d’une table ronde sur l’industrie minière, on écoute par exemple des échanges entre le président d’une entreprise d’exploitation de gisements de lithium, indispensable à la fabrication des batteries des véhicules électriques qui nous aideront à sortir des énergies fossiles, un professeur d’université, une conseillère principale du groupement IRMA (Initiative for Responsible Mining Assurance), et une représentante d’un peuple autochtone de l’Atacama au Chili vivant à proximité d’une exploitation.

Pas de solution globale durable sans prendre en compte les connaissances, les points de vue, les intérêts, les besoins et les contraintes de chacun. Ce dialogue multilatéral doit aussi inspirer la conception, la mise en œuvre, le pilotage et l’évaluation des programmes de recherche et d’innovation impliquant le monde académique, le monde socio-industriel, les autorités, les citoyens et l’environnement.

 

Pas de solution globale durable sans prendre en compte les connaissances, les points de vue, les intérêts, les besoins et les contraintes de chacun.

Le rôle des institutions d’enseignement supérieur et de recherche

Les institutions d’enseignement supérieur et de recherche sont en première ligne pour  produire et diffuser des connaissances nouvelles, apporter des solutions techniques ou organisationnelles, former les jeunes générations et les futurs décideurs et sensibiliser le grand public. À ce titre, l’alliance U7+ et une vingtaine de réseaux d’universités sont impliqués dans la création du Network of climate networks, coalition d’universités engagées face à l’urgence climatique. La nouveauté de cette coalition est qu’elle assume clairement son souhait d’exercer une influence sur les décisions politiques.

Dépassant leurs missions fondamentales, de plus en plus d’universités prônent fortement le multilatéralisme et la participation à des forums de discussions diversifiés, réunissant toutes les parties prenantes pour accompagner ces grandes transitions. Les défis nombreux auxquels il faut faire face nécessitent une approche interdisciplinaire ou transdisciplinaire. C’est un aspect en plein essor de la diplomatie scientifique, qui au-delà d’être un instrument de la politique d’influence des États et un vecteur de leur rayonnement, permet le traitement de sujets diplomatiques en lien avec les enjeux globaux (changement climatique, développement et équilibre durable, santé globale, paix et démocratie, accès à l’éducation et à l’enseignement supérieur…).

La diplomatie scientifique, qui au-delà d’être un instrument de la politique d’influence des États et un vecteur de leur rayonnement, permet le traitement de sujets diplomatiques.

La science dans la diplomatie apporte un éclairage indispensable à la compréhension de problématiques complexes et à la prise de décisions pertinentes en vue de l’intérêt général, transcendant celui des États. Il appartient également aux membres de la communauté académique de faciliter le transfert de connaissances vers les décideurs, de comprendre les besoins et d’y répondre, et de faire la transition d’une science d’impact au sens bibliométrique à une science d’impact sociétal, par de la recherche fondamentale comme de la recherche appliquée de qualité.

Bien que cela commence à être pris en compte dans certains pays, on constate tout de même un écart entre la somme des connaissances accumulées par les scientifiques et les grandes décisions prises par les autorités et cette situation ne peut être analysée de façon caricaturale. La création d’espaces de discussion entre les parties et la formation des décideurs et négociateurs doivent avoir pour objectif de combler ce fossé. Certains s’étonnent pourtant de la constitution en France d’un Conseil présidentiel de la Science, annoncé par le président de la République française Emmanuel Macron le 7 décembre 2023, dans lequel certaines grandes disciplines scientifiques sont absentes, tandis que notre pays ne manque pas d’instances et de structures à qui confier des travaux d’expertise scientifique : France Université, Udice, CoNRS, expertises collectives en Santé Publique (INSERM), sociétés savantes, académies… Il existait également des liaisons entre parlementaires et scientifiques avec l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Tout dépendra donc de la nature des travaux ou questions soumis à cette nouvelle structure, ainsi que des modalités de fonctionnement de ce conseil présidentiel, qui ne sont pas encore connues.

Au-delà d’un conseil scientifique, il serait sûrement opportun de renforcer la formation scientifique dans certains cursus conduisant à la haute fonction publique, ainsi que la formation continue des décideurs sur les grands sujets globaux, avec prioritairement le changement climatique, la gestion des ressources et les transitions.

Laisser s’accroître l’écart entre scientifiques et dirigeants publics ou privés nous fait risquer de décorréler la prise de décision ou les orientations suivies et l’état des connaissances. Or, rompre les flux savoirs/actions, c’est engendrer erreurs et arbitraire, renforcer la défiance envers les institutions, favoriser l’obscurantisme, y compris dans son volet numérique avec les fake news et c’est conduire, in fine, à la dégradation des conditions de vie sur terre et la ruine de nos civilisations.

Rompre les flux savoirs/actions, c’est engendrer erreurs et arbitraire

Remerciements : Saranne Comel, Erwin Franquet, Jean-Christophe Martin et Cécile Sabourault.
Copyright image : Giuseppe CACACE / AFP

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