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14/12/2023

Sortie des fossiles : coup de théâtre d'une COP historique ?

 Sortie des fossiles : coup de théâtre d'une COP historique ?
 Joseph Dellatte
Auteur
Expert Résident - Climat, énergie et environnement

Stratégies de communication ambigües, sujets cruciaux mais clivants, géopolitique tendue : principalement consacrée aux énergies quand la COP 27 s’était surtout concentrée sur les pertes et dommages, la COP 28 qui s’est achevée à Dubaï a laissé planer jusqu’au dernier moment le suspense. Le coup de théâtre tant attendu a bien eu lieu et la perspective de s’orienter progressivement vers un abandon définitif des hydrocarbures est explicitement celle de la déclaration finale.

Plongée in medias res dans les enjeux des négociations avec Joseph Dellatte, qui a observé et analysé les coulisses de ce rendez-vous international orchestré par les Émirats et qui conclut pour nous cette COP 28.

Les sujets phares de cette COP 28 étaient doubles : le bilan mondial et la question épineuse de l’atténuation des émissions mondiales. À l’heure où la COP 28 s’est conclue, les négociateurs sont-ils parvenus à avancer sur ces deux enjeux ?

La COP 28 s’est d’abord ouverte sous le signe auspicieux d’un succès inattendu

La COP 28 s’est d’abord ouverte sous le signe auspicieux d’un succès inattendu : les parties sont tombées d’accord sur le mode d’organisation du nouveau fonds pertes et dommages, qui sera confié à la Banque mondiale, sous la gouvernance d’un conseil d'administration paritaire Nord/Sud. La COP de Dubaï n’était toutefois pas "consacrée" aux enjeux de financement et pas grand chose de significatif, sur cette question, n’a été décidé : ce sera un des sujets cruciaux de la prochaine COP.

Le sujet majeur de cette COP a finalement bien été la sortie des énergies fossiles. Les visions semblaient inconciliables. D'un côté, les Européens et les petites îles, désireuses d’inscrire dans le marbre une sortie définitive et complète des hydrocarbures. De l'autre, certains pays estiment que la neutralité carbone équivaut surtout à réduire les émissions, de quelque manière que ce soit, y compris via des technologies avancées de séquestration des émissions, ce qui permettrait selon eux de continuer à brûler des hydrocarbures… Dans ce camp se trouvaient les monarchies pétrolières du Golfe, certains pays africains ou d’Amérique latine ainsi que les grands émergents. Ces pays ont fait valoir que, comme leurs capacités de croissance dépendent à l’heure actuelle des énergies fossiles, déclarer la sortie des hydrocarbures risquerait d’obérer ou de ralentir leur développement. Ils réclamaient donc aux pays du Nord des compensations en contrepartie d’une sortie planifiée. Cette position, qui n’est pas neuve, s’est heurtée, une fois de plus à un refus des pays dit “développés", qui se refusent à envisager ce genre de financement afin de ne pas risquer devoir payer des pays pétroliers, comme l’Arabie Saoudite, pour qu’ils gardent leur pétrole dans le sol.

Et pourtant, la déclaration finale de la COP 28 de Dubaï, et surtout le volet énergie du Bilan Mondial, engage bel et bien les parties prenantes à une "transition hors des énergies fossiles [comprenant le pétrole, le gaz et le charbon]". Les États s'engagent également à tripler leurs énergies renouvelables en 2030, un des engagements les plus forts de cet accord. Un engagement immédiatement salué par la plupart des grands dirigeants du monde, se félicitant de cette première historique. Ainsi, Emmanuel Macron a immédiatement salué un accord qui "engage le monde dans une transition sans énergies fossiles, en triplant les renouvelables et en reconnaissant le rôle clé du nucléaire".

Mais jusqu'à quel point cette déclaration est-elle, en effet, "historique" ? Si on peut l'avancer, c'est qu'en effet, auparavant, aucune déclaration précédente n’avait ne fût-ce que mentionné les mots "énergies fossiles". Notons néanmoins que ni le financement, ni la méthode (abandon des hydrocarbures ou financements pour parvenir aux objectifs) ni l’échéance de cette transition ne font l’objet d’une décision claire, et que ces trois points constituent autant d’enjeux profondément clivants... De plus, de manière un peu contre-intuitive, le texte reconnaît en même temps le rôle de certains hydrocarbure comme " fuels de transitions".

Ni le financement, ni la méthode ni l’échéance de cette transition ne font l’objet d’une décision claire, et ces trois points constituent autant d’enjeux profondément clivants

C’est le cas du gaz naturel (GNL, etc…). Ce dernier permet, il est vrai, de diminuer les émissions par rapport au charbon ou au pétrole, et sera utilisé, notamment par l’industrie, avant de transitionner totalement vers des technologies neutres en carbone. Le gaz est néanmoins bien un hydrocarbure et c’est également la principale des ressources fossiles des Émirats arabes unis, hôtes de cette COP, et de son président, Sultan Al Jaber, par ailleurs PDG de la principale compagnie pétrolière du pays, richissime en gisement gazier.

Bref, si beaucoup de gens sont contents du résultat de cette COP 28, les résultats n'en sont pas moins en demi-teinte… Ainsi certains points de l'agenda sont restés en suspens. C'est le cas, par exemple, du casse-tête continuel autour des règles techniques de l’article 6 sur les marchés carbones internationaux, ou du Mitigation Work Program, qui reste encore sur le tapis pour les prochaines COPs .

Cette COP a aussi vu émerger une initiative ambitieuse qui pourrait s’avérer cruciale, appelant à une taxation mondiale des énergies fossiles. Cette task force, portée par la France, la Barbade et le Kenya, permettrait de fournir des financements climatiques sans qu’il ne revienne exclusivement aux budgets publics des États du Nord d’abonder aux différents fonds d'adaptation, d’atténuation ou de pertes et dommages : les opinions publiques et la plupart des gouvernements du Nord sont en effet très réticents à l’idée d’une augmentation inexorable de cette redistribution directe vers le Sud. Comme on pouvait s’y attendre, cette proposition a été, du moins pour l’instant, balayée d’un revers de la main par de nombreux pays, dont les membres de l’OPEP, mais la discussion demeure sur la table entre une coalition de pays et pourrait revenir dans l’actualité d’une prochaine COP.

Un dernier sujet concerne l’évolution du statut de l'énergie nucléaire. Énergies auparavant marginalisées durant les COPs, elles ont gagné, à Dubaï, une véritable considération puisqu’une coalition de pays (dont la France, les États-Unis, la Corée du sud) a déclaré qu’elle allait tripler les capacités du secteur nucléaire d’ici 2050. La déclaration finale du bilan mondial fait elle aussi référence à l’énergie nucléaire comme solution pour atteindre la neutralité carbone.

Enfin, à Dubaï encore plus qu’avant, on mesure l’écart entre les ambitions mises sur la table par toute une série d'acteurs (ONG, sociétés civiles occidentales, petites îles extrêmement vulnérables) et le cours suivi par les négociations. La publication du premier bilan mondial requis par l'accord de Paris, qui était une des grandes premières de la COP de Dubaï, a pourtant permis de montrer le décalage entre les objectifs fixés en 2015 lors de la COP21 de 2015 et l’état réel de nos trajectoires. Ce décalage est considérable.

Représentation politique et stratégie de communication : comment pourrait-on résumer l’ambiance qui régnait lors de cette COP 28 de Dubaï ? Quel temps fort semble à même de la résumer et de l’incarner ?

L’ambiance générale était assez spéciale : la géopolitique a fait immersion d’une manière singulière.

L’ambiance générale était assez spéciale : la géopolitique a fait immersion de manière singulière dans cette conférence. Certes, il y a toujours eu des protestations autorisées par la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques) lors des COP. Toutefois, afin d’échapper à la censure, très présente aux Émirats, les activistes se sont cette-fois ci réfugiées dans l’enceinte de la COP où c’est la règle onusienne qui prévaut.

Beaucoup d’activistes écologistes ont ainsi voulu mettre le drapeau palestinien en avant pour souligner leur soutien à la cause, mais ce dernier a été interdit. Les militants se sont alors rabattus sur le port de keffiehs qui ont ensuite été réprimandés à leur tour, sans qu’ils ne disparaissent entièrement. De façon tout à fait emblématique, le Fossil of the Day, récompense parodique organisée lors des COP par les ONG climatiques et décernée chaque jour aux plus mauvais joueurs lors des négociations, a été attribué, certains jours, autour de la question du sort de la Palestine et non vis-à-vis du climat … Cela n’a pas été sans provoquer le malaise chez certains militants climatiques, rétifs à l’idée de cette dispersion des combats et ne voulant pas être mêlés aux affaires de géopolitique ou très gênés de se retrouver à des réunions aux airs de meetings pro-Palestine dénonçant de manière univoque Israël.

Comment Sultan al-Jaber, le président de la COP 28, a-t-il "tenu son rôle" ? Comment est-il apparu tout au long de cette COP ?

Tant du fait d’un biais de confirmation dans la réalité des positions du président tant décrié de cette COP émiratie, il n’y a en fait pas grand chose de notable à souligner concernant Sultan al-Jaber : il est apparu fidèle à ce qu’on pouvait en attendre et il s'est montré conscient de ses intérêts. Il a été au cœur d'un scandale, dès la première semaine, au moment de la parution d’un entretien dans le Guardian : réalisé plusieurs semaine avant la conférence, on lit qu'il a affirmé à l'ancienne présidente de l'Irlande Mary Robinson, activiste climatique d’envergure mondiale, qu’il n’y a aucune preuve scientifique prouvant que lutter contre le réchauffement climatique implique nécessairement la fin des énergies fossiles.
Le scandale a agité les opinions mais il est très vite retombé après qu’il a obtenu le soutien de plusieurs acteurs proéminents. Les textes qu’il a proposés au début de la semaine ministérielle étaient souvent très faibles par rapport aux attentes. Ils ont été réévalués, mais même si Sultan al-Jaber a une expertise réelle sur les énergies renouvelables et qu’il affirme avoir à cœur de parvenir à la neutralité carbone, il s’est bien révélé être l'avocat de la continuation des hydrocarbures avec options de séquestration des émissions - ce qui a indisposé et divisé beaucoup de monde, notamment en Europe.

Sultan al-Jaber s’affiche en fait comme un pragmatique : il considère qu’on doit discuter avec les grandes compagnies pétrolières lors des négociations climatiques. De fait, à la COP, se trouvaient plus de deux mille accrédités du lobby pétrolier. Au point culminant de la conférence, on a même appris par les médias que l’OPEP avait fait parvenir une lettre à ses pays membres présents à la COP, affirmant qu’il serait fortement préjudiciable à l’économie d’aboutir à une déclaration finale évoquant la sortie des hydrocarbures. Certains activistes ont été outrés, d’autres ont interprété cela comme la démonstration de faiblesse de pétroliers gagnés par l’inquiétude. C’est le jeu habituel des COP…

Géopolitique de la COP28 : peut-on opposer un Sud global et un Occident ? Quelles sont les lignes de clivage et de convergence ? Quelles sont les alliances de pays qui ont émergé ?

On a observé, lors de cette COP 28, de vraies divergences par rapport à la COP 27. Alors qu’à Charm el-Cheikh, la ligne Nord/Sud était claire, structurée autour de la question du fonds pertes et dommages, la ligne de fracture était cette fois différente puisque, sur la question de l'atténuation et de la décarbonation, certains pays du Sud sont alliés aux Européens (petites îles, certains pays africains) tandis que d’autres, parmi les émergents, se sont opposés à la sortie des fossiles (Inde, Chine). La ligne de partage revient ponctuellement, dès qu’il est question de financement. Les coalitions sont mouvantes et se construisent au cas par cas.

Après les Émirats, l’Azerbaïdjan : quel signe est envoyé par le choix de ce pays assez critiquable au regard des critères des démocraties occidentales ?

Ce choix peut sembler étonnant. C’est en réalité la seule solution permise par les fortes contraintes géopolitiques : les COP sont organisées par roulement dans chacune des aires géographiques de l'ONU. La prochaine devait se tenir en Europe de l’Est. La Russie a mis son veto sur la totalité des pays de l’Union européenne, l’UE le sien sur la Russie si bien que, si aucun accord n’était trouvé, l’organisation devait en échoir à la ville de Bonn, où la CCNUCC a son siège, ce dont les Allemands ne voulaient pas. Il restait donc la Serbie, la Macédoine et la Moldavie, qui n'en avaient pas les moyens, ou l'Azerbaïdjan et l’Arménie, qui se mettaient mutuellement un veto. L’Arménie a finalement levé son veto sur l’Azerbaïdjan. Le symbole est assez désagréable… Alors que l'organisation d’une COP aux Émirats, pays dont le PIB dépend à 30 % des énergies fossiles, avait déjà fait grincer des dents, celle d’une COP azerbaïdjanaise, dont le PIB repose cette fois à 60 % sur les hydrocarbures, ne suscitera pas non plus l’enthousiasme, c’est un euphémisme que de le dire…

Propos recueillis par Hortense Miginiac
copyright Giuseppe CACACE / AFP

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