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25/02/2016

"Il faut équilibrer notre système de retraites" - Interview de Laurent Bigorgne sur BFM Business

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Laurent Bigorgne, directeur de l'Institut Montaigne, était l'invité de Stéphane Soumier dans l'émission Good Morning Business sur BFM Business le 18 février 2016, à l'occasion de la publication de la note Retraites : pour une réforme durable.

Laurent Bigorgne : Notre grande crainte est que ce débat ne soit pas adressé dans l’élection présidentielle. Que comme d’habitude on le contourne, puis qu’à mi-mandat on vous dise qu’il y a un petit problème d’équilibre. Ou bien que ce débat soit adressé mais de façon complètement fantasque. Généralement, on part sur des débats ou des modalités qui deviennent l’objectif de la réforme.

Stéphane Soumier : Par exemple, les réformes par points auxquelles on ne comprend rien ?

Laurent Bigorgne  : On a publié une étude sur la réforme à points, il y a dix ans de cela - et on a eu raison de le faire. Mais la France n’a pas la sagesse de la Suède. Ma grande crainte est que, quand on parle de réforme à points, la réforme ou la modalité devienne l’objectif, alors que l’objectif c’est l’équilibre du régime des retraites. Il ne faut pas perdre cette étoile du berger de notre champ de vision.

Stéphane Soumier : Quelles que soient les modalités, cela ne change rien de toute façon ?

Laurent Bigorgne  : Que l’on passe par des fonds de pension ou des points, de toute façon à la fin il faut équilibrer notre système, sachant que l’on dépense plus que les autres pays européens, plus que les autres pays de l’OCDE et que l’on a des conditions qui sont évidemment beaucoup plus généreuses.

Stéphane Soumier : L’ensemble des spécialistes le disent, il faut partir plus tard, il n’y a pas d’autre solution. Vous dites 63 ans, mais on ne règle rien à 63 ans ? C’est à 65, 67 ans !

Laurent Bigorgne  : Nous disons deux choses. Allons tout de suite à 63 ans parce qu’il y a un enjeu : améliorer la situation dès 2025. Ensuite, inscrivons mécaniquement que les évolutions se font en fonction de l’espérance de vie. Ce que l’on propose aux Français, c’est un contrat : il faut faire un effort là maintenant, tout de suite, parce qu’objectivement notre régime n’est pas dans une situation qui lui permet de tenir la comparaison par rapport à l’effort qu’ont fait d’autres pays. Ce n’est pas soutenable, c’est trop d’argent mis sur les seniors par rapport aux jeunes. Les retraites représentent 14 points de PIB, c’est trois points de plus que partout ailleurs dans l’Union européenne et c’est beaucoup plus que dans les autres pays de l’OCDE ! Et pour ne pas revenir tous les trois ans sur le sujet, ayons la sagesse d’avoir un dispositif mécanique qui fait que tous les cinq à six ans, on gagne un an sur ces questions de durée parce qu’on suit l’espérance de vie.

Stéphane Soumier : Le problème que l’on a sur cette borne d’âge, c’est le comportement des entreprises. Hier, l’Association Française des Entreprises Privées expliquait qu’il y a un problème avec les chômeurs de plus de 50 ans parce qu’on les oriente vers des dispositifs de préretraite. Avec des bornes d’âge à 63 ou 65 ans, il faut transformer le logiciel mental de l’ensemble des services RH des entreprises !

Laurent Bigorgne : C’est aussi un problème culturel.

Stéphane Soumier  : Cela ne va pas se faire du jour au lendemain.

Laurent Bigorgne : C’est en train de se faire, je vous donne un indicateur : l’âge auquel on part à la retraite ne cesse de reculer en France. Parmi toutes les mauvaises nouvelles sur le marché du travail, il y a une chose que l’on fait beaucoup mieux. Le taux d’activité des 50-64 ans, qui était de 56,5% en 2009, est de 63% en 2014. Ce n’est pas rien, 7 points en l’espace d’un peu moins d’une décennie ! On peut y arriver.

Stéphane Soumier : Est-ce qu’aujourd’hui les entreprises comprennent qu’il est encore intéressant d’investir sur un cadre, ou un travailleur quel qu’il soit, de 50, 55 ans ? Est-ce qu’elles ne se disent pas qu’investir dans sa formation est inutile, dans la mesure où l’on considère qu’il est au bord de la retraite ?

Laurent Bigorgne : Il y a eu, et c’est dommage, un grand ratage au niveau du contrat de génération. On a fait une usine à gaz alors qu’on pouvait laisser les entreprises faire un peu à leur main. Pour les seniors dans l’entreprise, au niveau exécution, au niveau maîtrise, au niveau cadre, il y a énormément de choses à faire. Pour l’insertion des jeunes et l’apprentissage également. Le fait que l’apprentissage en France n’ait cessé de reculer au niveau intermédiaire, Bac, Bac +2 et évidemment infra Bac, c’est une catastrophe car de ce point de vue, on n’utilise pas en entreprise des ressources qu’on aurait tendance à utiliser si on avait le même nombre d’apprentis que l’Allemagne. Pour moi, le fait que l’apprentissage soit faible en France est un facteur explicatif du fait que l’on n’arrive pas à montrer la valeur d’un certain nombre de seniors en entreprise. On aurait trois fois plus d’apprentis, je vous garantis que cela se verrait !

Stéphane Soumier : Et si on avait trois fois plus d’apprentis, on aurait davantage de seniors qui resteraient en entreprise ?

Laurent Bigorgne : On verrait en tout cas beaucoup mieux comment les utiliser, quelle est leur valeur ajoutée à tous les postes de l’entreprise.

Stéphane Soumier : Les fonds de pension ne sont-ils pas une solution ? Tout le monde en parle.

Laurent Bigorgne : Il faut être pragmatique et efficace. Le pragmatisme et l’efficacité c’est d’aller sur des mesures d’âge, des mesures de durée d’assurance sachant que le gouvernement et les gouvernements successifs ont épuisé les mesures de désindexation. Quand il y avait de l’inflation cela rapportait effectivement de désindexer. Mais quand il y a très peu d’inflation, il faut bien trouver autre chose pour équilibrer les régimes et donc être un peu courageux, enfin.

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