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08/07/2016

Fiscalité, climat, enseignement supérieur, sécurité : le Brexit change-t-il la donne ?

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Fiscalité, climat, enseignement supérieur, sécurité : le Brexit change-t-il la donne ?
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Dans sa note Bremain ou Brexit : Europe, prépare ton avenir !, publiée le 20 juin dernier, l'Institut Montaigne analyse en profondeur les enjeux politiques et économiques du maintien comme de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Deux semaines après la décision du peuple britannique de quitter l'Union, les modalités techniques du divorce avec le Royaume-Uni sont au centre du débat. L'Institut Montaigne a ainsi formulé cinq recommandations précises afin que l'Union européenne protège au mieux ses intérêts dans la période de négociations qui vient de s'ouvrir.

Au-delà de ces considérations, d'autres champs sont impactés par le Brexit. C'est le cas des finances publiques et de la fiscalité, de l'énergie et du climat, de l'enseignement supérieur ou encore de la sécurité.

I - Finances publiques et fiscalité


Quel sera l’impact du Brexit sur les finances du Royaume-Uni et de l’Union européenne ?


Le Royaume-Uni est un contributeur net au budget de l’Union européenne : en 2014, il a versé 11,3 milliards d’euros et a reçu 6,4 milliards de la part de l’Union, soit un solde budgétaire négatif de 4,9 milliards d’euros. Cette balance est le fruit du principe de solidarité européenne : les "gros pays" paient plus qu’ils ne reçoivent, la France (7,2 milliards d’euros) et l’Allemagne (15 milliards d’euros) témoignant d’un solde encore plus négatif.

Les conséquences du Brexit pour le Royaume-Uni sont encore floues, car nul ne sait aujourd’hui quel statut lui sera accordé. S’il reste membre de l’espace économique européen – à l’instar de la Norvège ou de la Suisse – et profite ainsi des avantages du marché unique, il devra continuer à contribuer au budget européen, dans une proportion encore non définie.

Le seul scénario facilement chiffrable est celui d’une sortie "totale" du Royaume-Uni. En cas de sortie de l’espace économique européen, le Royaume-Uni, à terme, ne paierait plus sa contribution à l’Union, "économisant" ainsi 5 milliards d’euros, soit 0,23 % de son PIB – qui s’élevait en 2014 à 2 232 milliards d’euros. En proportion, la part de la contribution à l’UE dans le PIB britannique est plus faible que celles de la France (0,33 %) ou de l’Allemagne (0,52 %).

Au moment où Londres s’inquiète d’une possible dislocation du Royaume-Uni, il est utile de se pencher sur la situation budgétaire des quatre nations qui le constituent au regard des financements européens. Seule l’Irlande du Nord est un bénéficiaire net des fonds européens, à hauteur de 58 millions d’euros, l’Écosse et le Pays de Galles sont quant à eux très légèrement contributeurs nets.

Une fois la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne effective, le budget européen – qui a atteint 162 milliards d’euros en 2015 – perdra les 5 milliards d’euros de la contribution britannique nette. L’Union européenne devra alors faire le choix entre la diminution de ses dépenses ou l’augmentation de la contribution des États membres restants. Dans le contexte politique actuel et au regard de la montée des idées eurosceptiques au sein des opinions publiques européennes, il est probable que les institutions européennes décident d’une diminution des dépenses. Nul n’est capable de dire exactement quel budget précisément paiera le prix de ces économies.

Le Brexit alimentera-t-il la concurrence fiscale en Europe ?

Dès sa nomination au poste de chancelier de l’Échiquier en 2010, George Osborne a fait évoluer le taux d’imposition sur les sociétés de 28% à l’époque, à 20% aujourd’hui, avec pour objectif d’atteindre 17 % en 2020. Dans un entretien au Financial Times du 3 juillet dernier, le ministre annonce désormais un objectif de 15%. Un taux aussi bas devrait permettre, selon le gouvernement britannique, d’augmenter l’attractivité économique du pays et donc de limiter les conséquences négatives du Brexit.

Plusieurs États membres européens ont annoncé vouloir modifier leur fiscalité dans le but d’attirer des entreprises britanniques soucieuses de conserver leur accès au marché intérieur. C’est le cas du président du Conseil italien Matteo Renzi, qui souhaite créer des zones franches à Milan et Naples afin de faciliter l’implantation d’entreprises britanniques.

En France, Europlace, l’organisme en charge de la promotion de la place financière parisienne propose au gouvernement des mesures fiscales qui permettraient de renforcer l’attractivité de Paris en cas de Brexit. Manuel Valls a annoncé le 6 juillet dernier un renforcement du régime fiscal des "impatriés" qui permet à certains cadres de bénéficier d’un abattement de 30 à 50 % lors de leur implantation en France. Il prévoit également une diminution progressive du taux de l’impôt sur les sociétés avec pour objectif 28 % contre 33,33 % aujourd’hui.

Par ailleurs, l’Autorité des Marchés Financiers a annoncé le 4 juillet dernier une série de mesures destinées à faciliter la création de nouveaux fonds en France en introduisant un concept de "pré-commercialisation" qui permet de limiter les obligations administratives préalables au lancement d’un fonds sur le marché français.

II – Climat et énergie


Le Brexit conduit à envisager sous un angle nouveau le futur de la stratégie énergétique européenne et, de façon corrélative, l’implication de l’Union européenne dans la lutte contre le réchauffement climatique. En effet, dans le cadre des conférences internationales sur le climat, l’Union européenne constitue une "partie" à part entière. Elle se fixe donc des objectifs et des engagements, notamment en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, dans le cadre des INDC (contributions déterminées à l’échelle nationale). Ils concernent par conséquent l’ensemble des Etats membres, et ce en sus des objectifs et des engagements pris individuellement par les États membres. Or, la sortie du Royaume-Uni, deuxième contributeur le plus important aux émissions de l’Union, modifiera la répartition des efforts prévus par l’UE.

Le Brexit consacre donc la sortie d’un membre essentiel à la construction de la stratégie énergétique européenne : si le Royaume-Uni émet plus de CO2 que tous les Etats membres à l’exception de l’Allemagne, les efforts qu’il a engagés lors des dernières années montrent des résultats très positifs.

C’est dans cette dynamique que s’inscrit le projet d’EPR à Hinkley Point. Le Brexit n’a pas d’impact significatif sur les termes du contrat et sur la volonté partagée de mener à bien ce projet. Cependant, il contribue à alimenter le climat d’incertitude autour la décision finale d’investissement, qui doit être rendue par EDF en septembre prochain. Dans notre rapport, Nucléaire : l’heure des choixparu en juin 2016, nous recommandons de mettre en place les conditions indispensables au financement de projets nucléaires sur le sol européen. Les gouvernements, de part et d’autre de la Manche, devraient ainsi soutenir clairement ce projet déterminant pour l’avenir de la filière industrielle nucléaire, de la sécurité d’approvisionnement du Royaume-Uni et la stratégie de décarbonation européenne. À 27 ou à 28, il est nécessaire que le réchauffement climatique reste une priorité politique.

III - Enseignement supérieur


Il y a un an, Universities UK – conférence britannique des présidents d’université – inaugurait sa campagne "Universities for Europe"… quel avenir pour l’enseignement supérieur britannique après le Brexit ?


Le Royaume-Uni peut-il se passer des fonds européens ?

Jo Johnson, ministre britannique de l’Enseignement supérieur et de la recherche, l’affirmait il y a quelques jours : dans l’immédiat, le Royaume-Uni continuera de recevoir des fonds européens. Si les acteurs du monde universitaire s’accordent sur le fait que le Brexit ne mettra pas un terme à la collaboration qui lie le Royaume-Uni et l’UE, plusieurs zones d’ombre subsistent quant à l’avenir des financements européens perçus par le Royaume-Uni.

Horizon 2020, programme cadre de l’UE pour l’enseignement supérieur, finance en effet une grande partie des projets à financements conjoints entre le Royaume-Uni et les États membres, tandis qu’Erasmus+ finance la majorité des échanges d’étudiants et de personnels. Pour la seule année 2014-2015, le Royaume-Uni a reçu 836 millions de livres (995 millions d'euros) en subventions et contrats de recherche ; depuis le 1er janvier 2014, le Royaume-Uni a déjà reçu 2,1 milliards d'euros, soit 15% du total des subventions allouées aux pays qui participent au programme ; juste après l'Allemagne (16,3%). Les craintes de la communauté universitaire se voient renforcées par le contexte d’austérité budgétaire qui prévaut actuellement au Royaume-Uni : d’ici à 2019-2020, le budget de l’enseignement supérieur sera amputé de 170 M€.

Jo Johnson a en revanche tenu à rassurer les étudiants européens quant à la pérennité des dispositifs de prêts et de subventions auxquels ils ont accès actuellement, tout en ne s’engageant pas au-delà de l’année prochaine.

Quelles conséquences sur la coopération dans la recherche ?

Les principales craintes se cristallisent autour du risque de complexification des collaborations, entre chercheurs et entre institutions, induit par le Brexit. Sir Steve Smith, vice-chancellor d’Exter, indique que 80% des papiers co-signés internationalement sont écrits avec des partenaires à l’intérieur de l’Union européenne. Il insiste également sur le fait que l’Union européenne "casse les barrières à la collaboration et facilite le travail transnational en réduisant le niveau de bureaucratie". Leszek Borysiewicz, vice-président de l’université de Cambridge, rappelle, quant à lui, que les opportunités de collaborations "sont aussi importantes que les financements eux-mêmes".

D’autres mettent en avant les exemples suisse et norvégien, qui démontreraient selon eux que l’appartenance à l’UE n’est pas indispensable à la collaboration entre universités. Le Royaume-Uni pourrait en outre continuer à prendre une part active à Horizon 2020 comme pays associé.

Quel impact sur la mobilité des étudiants et des enseignants-chercheurs ?

   
En 2012-2013, 5,5% des étudiants au Royaume-Uni étaient originaires des pays de l’Union européenne ; leur présence a généré un revenu de 3,7 milliards de livres et a garanti 34 000 emplois. Selon Universities UK, 15 % des enseignants-chercheurs et 5% des étudiants sont ressortissants d’un État-membre de l’Union européenne ; 20% des étudiants français effectuent leur mobilité Erasmus au Royaume-Uni et, parallèlement, plus de 30% des étudiants britanniques effectuent la leur en France.

La présence d’étudiants européens sur le sol britannique revêt donc d’importants enjeux économiques. Si le risque d’une désertion massive relève certainement du fantasme, il est probable que les étudiants et les enseignants-chercheurs fassent le choix d’une autre destination européenne si un accord de libre-circulation – et donc la mise en place de titre de séjour plus contraignant – n’était pas trouvé avec l’Union européenne.

À l’inverse, d’autres voient dans le Brexit l’opportunité d’accueillir davantage d’étudiants internationaux, lesquels paient plus cher leur scolarité. Le UKIP affirme ainsi que le Brexit permettrait de mettre fin aux prêts accordés aux étudiants européens, dont 30 % ne seraient aujourd’hui pas remboursés.

Depuis 2012, les universités britanniques fixent librement leurs "tuitions fees" (frais de scolarité) au niveau licence, sans qu’ils puissent excéder 9 000£ (12 100€) pour les étudiants britanniques et européens. La fin du statut d’étudiants communautaires, qui permet aux étudiants ressortissants d’un pays de l’UE de payer des frais d’inscription bien inférieurs à celui acquitté par les étudiants internationaux, pose également la question de l’attractivité future du Royaume-Uni pour les étudiants européens.

IV - Défense et sécurité


Historiquement opposé au projet de défense européenne, le Royaume-Uni a toujours cherché à empêcher la mise en place d’une politique de défense et de sécurité commune (PESC). Ce postulat stratégique a conduit les dirigeants britanniques à conclure plusieurs accords avec ses alliés européens, de manière bilatérale ou au sein de l’Alliance atlantique, lesquels ne devraient en rien être remis en question ou modifiés par le Brexit. 


Les accords de Lancaster House signés en 2010 par Nicolas Sarkozy et David Cameron dans le but de renforcer la coopération franco-britannique en matière de défense ont ainsi volontairement été conçus en dehors du cadre européen. Portant sur la défense et la sécurité d’une part, sur la coopération nucléaire d’autre part, ces traités tendent à construire un partenariat de long terme entre les deux pays et constituent à ce titre un gage inédit de la confiance qui les unit.

Axe majeur de cette coopération, la force expéditionnaire commune interarmées – Combined joint expeditionary force – a vu son principe validé en avril dernier lors de l’important exercice militaire conjoint de Griffin Strike. En outre, François Hollande et David Cameron ont récemment lancé un programme commun de fabrication de drones de combat, par un investissement de plus de deux milliards d’euros.

Ainsi, depuis la signature des traités de Lancaster House, la coopération de défense franco-britannique s’est toujours affranchie des contingences politiques européennes, au travers d’un partenariat intense marqué par l’alignement des intérêts stratégiques, industriels et financiers des deux parties, seules puissances européennes pouvant véritablement se projeter sur des théâtres d’opération extérieurs.

La procédure de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne n’aura très certainement aucun effet juridique sur ces accords, ni vraisemblablement de conséquences politiques ou stratégiques sur la nature de la coopération franco-britannique

Néanmoins, le Brexit pourrait altérer les capacités britanniques en matière de sécurité ou de lutte contre le terrorisme. En effet, comme le souligne Chatham House, premier think tank britannique pour les questions internationales, le terrorisme et le crime organisé sont "transnationaux par nature". La sortie du Royaume-Uni de l’agence européenne Europol aura donc des conséquences sur la qualité de la coopération entre les services européens et les agences britanniques ce qui pourrait affaiblir la capacité du Royaume-Uni à affronter ces menaces criminelles. Le Royaume-Uni sera contraint de signer de nombreux accords bilatéraux avec ses partenaires européens en matière de sécurité et, bien que les traités de Lancaster House conclus avec la France ont prouvé leur efficacité, cela nécessitera plus d’effort et engendrera plus de complexité que la coopération existante au sein du cadre européen.

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