Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
30/10/2023

Emmanuel Macron au Proche-Orient : de l’utile au possible

Emmanuel Macron au Proche-Orient : de l’utile au possible
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

La visite d’Emmanuel Macron en Israël, en Cisjordanie, en Jordanie et au Caire, les 24 et 25 octobre, témoigne de la volonté de la France de se positionner comme force de proposition apte à obtenir "des choses utiles". L’idée d’une coalition anti-Hamas a été mal reçue tant par Israël que par les pays arabes, mais Paris reste l’un des rares acteurs capables d’apporter une contribution à "l'après-Gaza". Michel Duclos esquisse ici un bilan du déplacement du président de la République et des défis à relever pour remettre sur les rails l’idée d’un règlement politique au conflit-israélo-palestinien.

Le vendredi 20 octobre, le président Macron recevait quelques journalistes, qui lui demandaient pourquoi, à la différence de Biden, Scholz ou Sunak, il ne se rendait pas en Israël.

Le président répondait qu’il n’excluait pas un déplacement au Proche-Orient "dans les prochains jours, les toutes prochaines semaines" s’il parvenait à "obtenir des choses utiles" grâce à ce voyage. Mentionnant ses contacts étroits avec différents acteurs régionaux, Emmanuel Macron poursuivait : "j’essaie d’obtenir des éléments [...] qui permettent d’assurer la sécurité d’Israël, la lutte contre les groupes terroristes, qui éviteront l’escalade du conflit et qui permettront de reprendre un processus politique". Il va de soi qu’une partie de cet entretien avec la presse était consacré au sort des otages français - de l’ordre de 6 ou 7 à cette date - pour lequel le chef de l’État faisait état de nombreux canaux que la France avait activés et d’un certain espoir d’aboutir.

C’est dès le mardi 24 que M. Macron s’envolait vers Israël. Quel a été le facteur déclencheur de son voyage ? Des indications qu’il pourrait "obtenir des choses utiles" ? Ou plus prosaïquement un message israélien l’informant que le moment approchait où Tsahal allait entrer en force à Gaza ?

Bilan d’un déplacement à haut risque

Et en définitive, ce déplacement aura-t-il été "utile" ? Il a sans doute atteint un certain nombre de ses objectifs, même si la proposition d’une coalition anti-Hamas, greffée sur la coalition contre Daesh, a été mal accueillie, jetant ainsi une ombre sur le bilan de la visite.

Il était indispensable que le chef de l’État français marque la solidarité de la nation à l’égard d’Israël tout en faisant des gestes vis-à-vis des Palestiniens.

D’abord, sur le plan de la politique intérieure, il était indispensable que le chef de l’État français marque la solidarité de la nation à l’égard d’Israël tout en faisant des gestes vis-à-vis des Palestiniens, notamment sur le plan humanitaire (envoi d’un navire hôpital au large de Gaza, déblocage de crédits supplémentaires). L’exercice comportait évidemment une dose de risques élevée.

Sur un plan plus stratégique, l’objectif était de contribuer à éviter une escalade dans la région, en incitant les dirigeants israéliens, comme l’avait fait M. Biden, à ne pas concevoir une riposte trop coûteuse en vies civiles palestiniennes, en les appelant donc au respect du droit humanitaire, mais aussi en rappelant la nécessité d’une perspective politique : l’un des effets de l’attaque du Hamas est la résurrection d’un soutien international à la "solution à deux États", réhabilitée par le président français comme elle l’avait été auparavant par le président Biden.

Dans ce registre, la plus-value de la visite de M. Macron aura été que le Président, après son entretien avec M. Netanyahou, ait fait le déplacement à Ramallah, pour rencontrer Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne, puis à Amman pour voir le roi Abdallah, enfin au Caire, où il s’est entretenu avec le maréchal Sissi. Cela n’avait pas été le cas du président américain, dont on se souvient que la rencontre à Amman avec ces dirigeants avait été annulée au dernier moment. Alors que le président de la République était dans la région, la reine Rania de Jordanie a donné à CNN une interview qui a fait le tour du monde. La reine dénonçait le "deux poids deux mesures" observé dans les réactions des Occidentaux : totale sympathie à l’égard des Israéliens, indifférence aux pertes civiles palestiniennes. Le président de la République s’est attaché à répéter qu’une "vie palestinienne vaut une vie française, qui vaut une vie israélienne". Dès sa conférence de presse commune avec M. Netanyahou, il avait dénoncé les victimes palestiniennes des exactions venant de colons en Cisjordanie. On peut noter une évolution marquée de son langage d’une étape à l’autre de son périple : mettant l’accent en Israël sur sa solidarité avec l’État juif, refusant par exemple de parler de cessez le feu ou même de "pause humanitaire", pour insister lors de sa conférence de presse au Caire sur la nécessité de mettre en œuvre des solutions humanitaires à Gaza et de relancer un processus politique.

Dans quelle mesure la proposition d’une coalition anti-Hamas a-t-elle nui aux messages de M. Macron ? C’est difficile à dire mais elle était incontestablement de nature à affecter la crédibilité du président : les Israéliens n’attendent pas de leurs alliés (sauf des États-Unis) un soutien armé et les opinions arabes ne peuvent accepter l’assimilation entre Daesh et le Hamas. Dès lors, l’Elysée a dû rétropédaler et indiquer qu’il s’agissait de tirer les leçons de l’expérience de la coalition anti Daesh par exemple dans le domaine des financements ou des transferts d’armes. 

Dans quelle mesure la proposition d’une coalition anti-Hamas a-t-elle nui aux messages de M. Macron ? 

On peut s’attendre qu’ayant identifié un vrai problème - la remontée du terrorisme, dont témoignent l’action du Hamas mais aussi des attentats en Europe ou encore le lancement de missiles par les Houtis du Yémen contre Israël, sans compter le problème posé par le vide sécuritaire au Sahel - les autorités françaises prennent d’autres initiatives sur le sujet. Il faut espérer qu’elles soient mieux calibrées et davantage préparées en amont. 

Certains signaux laissent penser par ailleurs que le président Macron, au-delà de la gestion de la crise immédiate, se préoccupe de l’avenir. On aura remarqué par exemple qu’il s’est gardé, lorsqu’il a rencontré M. Netanyahou, de se livrer à des accolades démonstratives comme l’avait fait le président Biden, et qu’il a rencontré M. Gantz et M. Lapid, les principaux leaders de l’opposition.

Quelles perspectives ?

Il n’est pas impossible que la crise actuelle puisse entrainer un changement de leadership des deux côtés, israélien comme palestinien.Un espace politique permettant une relance des négociations pourrait alors s’ouvrir, même si l’espoir est ténu qu’il en soit ainsi. Avant d’en arriver là, il reste de nombreux obstacles à franchir. Certains sont d’ordre interne aux sociétés israéliennes et palestiniennes : à l’issue d’une confrontation aussi sanglante que celle qui est en cours, peut-on attendre des deux parties qu’elles surmontent leurs souffrances, leurs ressentiments, leurs traumatismes pour rétablir une forme quelconque de dialogue ?

D’autres relèvent davantage de l’action internationale. Citons-en deux. D’abord la reconstruction de Gaza, y compris la reconstruction d’une gouvernance pour Gaza. Sur ce dernier point, ni l’Égypte ni Israël, ni, du moins dans un premier temps, l’Autorité palestinienne, ne voudront prendre en charge un tel fardeau. En second lieu, la reconstitution d’un interlocuteur palestinien acceptable pour Israël et la communauté internationale.

La crise actuelle [pourrait] entrainer un changement de leadership des deux côtés [et ouvrir] un espace politique permettant une relance des négociations.

Les deux points sont d’ailleurs liés : le règne du Hamas sur Gaza était utilisé par la droite dominante en Israël pour expliquer que l’Autorité Palestinienne ne constituait pas un interlocuteur crédible pour Israël. Un affaiblissement majeur du Hamas, la perte de son contrôle sur Gaza, offriront donc une opportunité mais ne suffiront pas à rétablir une Autorité palestinienne pleinement crédible.

Dans cette crise qui se déroule à ses portes, l’Europe montre son impuissance et ses divisions, encore illustrées par la dispersion des voix européennes lors du vote de la résolution de l’Assemblée Générale des Nations-Unies demandant un arrêt des combats à Gaza. Pourtant, sur les deux sujets que l’on vient d’évoquer - gouvernance future de Gaza et reconstitution d’un interlocuteur palestinien - certaines capitales européennes, dont Paris, en conjonction avec des États de la région, pourraient apporter une contribution.

De ce point de vue, il ne faut pas surestimer l’influence française dans la région - ni maintenant ni d’ailleurs par le passé - mais des relations étroites avec différents acteurs régionaux n’en font pas moins de Paris, derrière Washington, certes, et loin derrière, un des rares acteurs occidentaux apte encore, à jouer un rôle, du moins si les conditions en sont réunies.

Reste qu’il est aventureux à ce stade de tirer des plans sur la comète. Beaucoup dépendra de la suite des événements sur le terrain et des réactions des opinions et des principaux gouvernements de la région. Certes, les États-Unis ont pris des mesures fortes (unités navales en Méditerranée, frappes en Syrie sur des bases des Gardiens de la Révolution) pour dissuader les Iraniens et leurs proxies d’alimenter une escalade.Cependant, plus l’offensive israélienne durera, plus elle comportera une action au sol et un nombre de victimes élevé, plus il sera difficile d’éviter un embrasement de la région.

Copyright Image : Christophe Ena / POOL / AFP 

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne